Entreprises & Marchés

L’objectif des 20% aux PME sera difficile à tenir

Le nouveau code des marchés publics est entré en vigueur le 1er janvier. Parmi les nouveautés, le décret intègre le principe de la préférence nationale et accorde à priori 20% des marchés aux PME nationales.

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e nouveau code des marchés publics est entré en vigueur le 1er janvier. Une des mesures importantes du nouveau décret concerne l’obligation faite aux organismes publics de réserver 20% de leur montant annuel prévisionnel des marchés aux PME nationales. «Le maître d’ouvrage est tenu de réserver vingt pour cent (20%) du montant prévisionnel des marchés, qu’il compte lancer au titre de chaque année budgétaire, à la petite et moyenne entreprise nationale», stipule, en effet, l’article 156 du code des marchés publics. Cependant, le même article précise aussi qu’un arrêté ministériel devra préciser les modalités d’application de cette mesure. Pour Philippe de Richoufftz, avocat associé au Cabinet Adamas, il est clair que les objectifs de ce nouveau texte, en premier lieu, sont la réduction des dépenses publiques, le prix apparaissant comme le seul critère de classement des offres, et, en second lieu, de faire davantage participer les entreprises, grandes ou petites, et les architectes marocains à la commande publique. Au sujet de l’imposition des 20% aux PME nationales, Nabil Bayahya, associé en charge de l’offre consulting chez Mazars Audit & Conseil, estime, de son côté, que l’objectif affiché est de stimuler l’activité des PME en leur apportant des commandes additionnelles, compte tenu de leur importance dans le tissu économique et social.

Stimuler l’activité des PME

«La commande publique au Maroc a pendant longtemps été la chasse gardée des grandes entreprises et des multinationales, face à des PME dont de nombreuses études soulignent le manque de compétitivité. Toutefois, pour pouvoir appliquer ces mesures, il faut d’abord définir ce que l’on entend par le contenu local. Si pour les marchés de travaux ou de services la valeur ajoutée est souvent créée localement, la matière première utilisée et les équipements nécessaires à la production sont souvent importés. Quant aux marchés de fournitures, il s’agit souvent d’une importation pure et simple de produits. Dans les deux cas, le marché sera passé avec une entreprise nationale, mais l’essentiel du contenu de la prestation est produit au niveau international », explique-t-il. Il va plus loin dans son analyse en décortiquant la définition de la notion de la petite et moyenne entreprise au Maroc. «La définition aujourd’hui admise est un chiffre d’affaires situé entre 3 millions et 175 millions de dirhams avec moins de 200 salariés. Or, cette définition n’exclut pas la PME de droit marocain avec des capitaux détenus étrangers, et/ou une production basée à l’international. De même, le marché sera passé avec une PME locale, mais la valeur ajoutée produite ne sera pas nécessairement nationale », fait remarquer Nabil Bayahya. Pour sa part, Philippe de Richoufftz estime que la réalisation de cet objectif de 20% de contenu local dépendra des précisions de l’arrêté ministériel qui précisera les modalités d’application de ladite mesure. «On peut, en effet, imaginer que ces organismes s’appuient sur les dispositions de l’article 158 du même code pour atteindre au moins partiellement cet objectif. Cet article 158 permet de prévoir dans le cahier des prescriptions spéciales une obligation pour le titulaire, qui envisagerait de recourir à la sous-traitance, de confier celle-ci notamment à des PME nationales. Toutefois, le recours à la sous-traitance étant facultatif, l’organisme public, en insérant cette règle dans la documentation d’appel d’offres, n’aurait aucune certitude de l’implication d’une PME marocaine dans le marché», souligne-t-il, ajoutant que si cette interprétation se confirme, les organismes, les grands groupes étrangers présents au Maroc seraient manifestement empêchés de concourir dans ces marchés.

Quid des multinationales ?

Les PME nationales pourront-elles tirer avantage de la nouvelle mesure ? Pour les spécialistes, la réponse à cette questions est à relativiser. «Il n’est pas certain que chaque administration ou établissement public puisse prévoir chaque année des multitudes de marchés avec des lots réduits pour se fournir en équipements, en travaux ou en service auprès de PME marocaines», fait remarquer Philippe de Richoufftz. L’analyse de Nabil Bayahya à ce sujet est aussi presque similaire. Il estime qu’en premier lieu, la taille critique des PME nationales leur permet difficilement d’assurer des prestations dont le volume peut être démultiplié par la recherche d’optimisation des commandes de l’Etat. « L’investissement nécessaire pour participer à un marché public alourdit les coûts de transactions au détriment de la rentabilité des marchés de petite taille, ce que les grandes entreprises peuvent compenser en multipliant leurs offres. En outre, les PME n’ont pas les moyens d’assurer une veille suffisante sur l’information économique, ce qui handicape leurs gains de productivité. Les délais de règlement constituent, également, une barrière importante au vu de la fragilité de leur trésorerie», explique-t-il, ajoutant que la règle des 20% en faveur de l’accès des PME à la commande publique s’apparente à de la discrimination positive. L’objectif des 20% semble d’ores et déjà difficile à tenir à tout point de vue. «L’impact de cette mesure sur les grands groupes internationaux dépend notamment des types de marchés que le maître d’ouvrage réserve aux PME nationales. A ce stade il reste mineur pour plusieurs raisons, le cadre naturel des grands groupes est de se positionner sur des marchés dépassant les capacités de réalisations des PME, et donc non concernés par la règle des 20%. Par ailleurs, les grands groupes étrangers qui interviennent au Maroc disposent souvent de filiales qui sont des PME de droit marocain, et font partie du quota des petites et moyennes entreprises. Dans le cas contraire, elles peuvent constituer des groupements avec des PME nationales », souligne Nabil Bayahya, estimant que le législateur doit encore trouver la parade à toutes les possibilités d’exploiter les failles du système. 

 
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