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L’usure politique : une lecture dans les résultats des élections

Analyser les résultats des élections du 4 février 2015 exige un effort de décryptage faisant appel d’abord à l’histoire récente de notre pays et ensuite à une analyse des discours avec des instruments issus d’une lecture très marocaine des méthodes de production des supports verbaux et leur réception par leurs destinataires.  par Driss Al Andaloussi

Il est très difficile de détruire sur le plan scientifique, la thèse de Paul Pacson sur le dualisme de la société marocaine et son impact sur la faisabilité des discours et partant, sur le dénouement des «crises» souvent trop théâtralisées, provoquées dans les enceintes médiatisées du pouvoir. Les analystes ont souvent utilisé le mot «usure» pour prédire les résultats de tel ou tel acteur politique et la pratique politique leur a partiellement donné raison. Chez nous, les élections du 4 septembre n’ont pas fait mal à beaucoup de partis…

Une vie politique trop médiatisée

Depuis l’arrivée de Benkirane au sommet du pouvoir exécutif avec des prérogatives inédites dans l’histoire constitutionnelle du Maroc, les Marocains ont été invités à suivre les politiques avec une nouvelle mise en scène. La retenue des Premiers ministres ou Chefs de gouvernement, depuis Abdellah Ibrahim et jusqu’à l’actuel Premier président de la Cour des comptes, Driss Jettou, sans oublier le sage Abderrahmane El Youssoufi, a été rompue. Benkirane a créé une nouvelle dimension dans la relation à la politique. Communiquer n’est même pas une volonté de sa part, c’est sa nature personnelle et c’est peut-être là que se trouve la clé de lecture de l’histoire du PJD et de ses succès électoraux et aussi de son avenir. Le lien avec la personne du chef est fusionnel bien que les institutions du parti paraissent, pour l’instant, s’inscrire dans une stabilité relative.

Des élections locales et régionales inédites

Dans l’histoire politique du Maroc, les élections communales ou régionales n’ont jamais été aussi suivies aussi bien que celles qui se sont déroulées le 4 septembre. L’enjeu local a été évacué sciemment par les acteurs politiques au profit de la dimension nationale. Il fallait d’abord faire état du bilan pour passer à l’offensive. Les questions relatives au chômage, à l’état des services sociaux au citoyen et à la lutte contre la corruption, ont fait beaucoup d’ombre aux questions de la voirie urbaine, à l’électrification des quartiers et des villages, aux problèmes du transport urbain, à la protection du consommateur par les contrôles des services d’hygiène au niveau des abattoirs et des marchés de gros. Le national l’a emporté sur le local et le régional lors du déroulement de la campagne.

L’usure n’a pas eu raison du PJD et du PAM

Beaucoup d’analyses ont mis le curseur sur l’impact de l’usure pour prédire les résultats du PJD et du PAM. L’un, voyait se dessiner devant lui le danger de l’exercice du pouvoir dans un climat de crise économique et d’engagements de grandes réformes coûteuses sur le plan social et politique, l’autre devait développer toutes les résistances possibles pour bâtir une image de rupture avec un PAM longtemps classé par ses adversaires dans  la case  de la couveuse politique et de la puissance insufflée par le pouvoir avant 2011. Ni l’un, ni l’autre n’a subi la loi de l’usure. Bien au contraire, ces deux partis ont consolidé leurs assises au niveau des communes et des régions avec des scores très importants. Le PJD a franchi des portes qui lui ont résisté dans le passé. Marrakech, Fès, Casablanca, Salé et même Agadir et Meknès vont vivre l’expérience des frères de Benkirane dans la gestion communale, mais ils seront aussi confrontés à un examen devant les composantes de cette classe moyenne qui leur a réservé un accueil favorable dans les grandes villes. Le caractère versatile de cette classe sur le plan politique est sensiblement lié à son pouvoir d’achat au niveau national et à la qualité des services publics communaux au niveau local. Le PAM est en train de rompre, progressivement, avec l’image liée à sa naissance. Sa place au sein de l’opposition est devenue une donne normale du jeu politique. Sur la carte issue du 4 septembre, le PAM figure en première place au niveau des sièges (6.655) et deuxième au niveau du nombre des voix (1,333 million). Sa place au niveau des régions et du monde rural va se renforcer en créant les conditions d’une présence plus grande au niveau national dans une année. Les grands électeurs dont il dispose maintenant, seraient d’une grande utilité pour la formation de la deuxième Chambre.

Chabat a connu l’usure, mais l’Istiqlal a pu sauver les meubles

L’ascension de Chabat au niveau syndical et son accession à la tête du parti ont été fulgurantes. A l’intérieur comme à l’extérieur du parti, les réactions n’ont jamais cessé d’attaquer le successeur d’Abbas El Fassi. La cassure de la première structure gouvernementale dirigée par Benkirane lui a été attribuée. Ses adversaires ne lui ont pas facilité la tâche et l’équation personnelle a toujours été mise en relief. Pour le Chef du Gouvernement, le parti de «l’Istiqlal est un parti très respectable et fait partie du patrimoine qui appartient à tous les Marocains…». Le même angle d’attaque est choisi par le PJD pour analyser le personnage de Driss Lachgar, premier secrétaire de l’USFP. Le combat «mené» par le PJD contre ces deux personnages, a apparemment donné ses fruits et le reste a été le fait des dissensions internes et des attaques réciproquement virulentes entre les trois chefs.
Chabat n’a pas échappé à l’usure, mais son parti a pu sauver l’essentiel en se plaçant parmi les trois premiers, avec 1,070 million de voix et 5.106 sièges. Les opposants à Chabat réunis dans «Bilahawada», ont repris la voix et leur communiqué publié à l’issue des résultats est sans équivoque. Le climat dans lequel les élections se sont passées ont été empreintes, selon eux, de transparence et les choix effectués vont dans le sens de la lutte contre ceux qui représentent la déviance sur le champ politique.

La lutte contre l’usure due à la non-participation

L’usure était aussi à l’assaut de ceux qui ont depuis longtemps, mis en cause la participation aux différents processus électoraux engagés depuis plus d’une décennie. La gauche semble avoir compris que le terrain de l’action électorale est source de contact avec une réalité qu’il faut comprendre pour pouvoir la changer. La culture du contact avec les électeurs est difficile à acquérir et surtout à transformer en un moyen de changement social et politique. Toute rupture avec le combat politique «réel» se transforme en rupture avec la réalité.  La fédération de la gauche démocratique est l’acteur nouveau qui a fait son entrée dans le top 10 des partis en se plaçant juste derrière l’UC et devant le Mouvement démocratique et social d’Archane. Les années à venir vont sûrement donner lieu à la transformation de cette fédération qui a pu assurer une présence «symbolique» dans certaines grandes villes. Le citoyen a besoin de voir des femmes et des hommes nouveaux, compétents et intègres, qu’ils soient de droite ou de gauche.

L’usure et demain !

La gestion communale et régionale ne sera pas facile pour ceux qui vont prendre les commandes dans les villes, les campagnes et les régions. Les attentes sont grandes sur les plans économique et sociale et les difficultés aussi. La région est très attendue en tant qu’espace de création des richesses et lieu de prise de la décision d’investir. L’Etat va lui transférer des compétences et des ressources. Une année de gestion n’est point courte dans l’imaginaire populaire. Les évincés des postes de responsabilité ne vont pas faciliter la tâche aux nouveaux venus et les discours de bas de gamme qui ont sévi lors de la campagne électorale ne vont pas s’arrêter. Le contexte est le même et seuls les sages vont permettre aux citoyens de respecter la politique.

 
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