Madrid-Paris-Berlin et ar mes chimiques contre Abdelkrim
C’est grâce aux efforts acharnés de ces trois puissances que le Maroc doit le privilège d’avoir eu dès 1923, la première usine d’armes chimiques en Afrique !
Quel « bon usage » allaient en faire les Marocains ? Aucun, puisque c’est pour les exterminer, eux, que l’Espagne créa cette usine à Melilla en 1923. Et comme pour tuer de l’Arabe il fallait du gaz de qualité haut de gamme, on n’a pas hésité à faire appel aux techniques de pointe portant la griffe « made in Germany ».
La France était généreusement représentée par son armée, et la Grande Bretagne était au moins bien informée : le correspondant du magazine Times au Maroc étant en réalité, un agent entreprenant des services secrets anglais ! Bref, une belle brochette pour donner une leçon, vite fait, au trublion Mohamed Ben Abdelkrim al-Khatabi lors de la guerre du RIF. Une chape de plomb a entouré l’affaire, qu’aucun manuel d’histoire n’évoque pendant près de soixante dix ans. Surtout pas ceux en 4 tomes de «la campagne du Maroc » des services de l’armée espagnole. Il aura fallu l’acharnement – dix ans d’investigations- de notre ami et confrère de la TV de Hambourg Rudibert Kunz et Rolf Dieter Müller, historien spécialiste des questions militaires, pour révéler pour la première fois au monde, la vérité dans leur livre « Gaz toxiques contre Abdelkrim » (199O). L’éminence grise et conseiller scientifique de l’opération était le Docteur Stoltzenberg de Hambourg, également, dont le journal retrouvé chez lui par les auteurs du livre, retrace avec une minutie toute germanique le détail de ses activités.
Ainsi, en juin 1938, 10 ans après la fin de cette guerre, dans ses « réflexions sur la stratégie et tactiques des armes chimiques durant la guerre espagnole contre le Maroc », il écrit : « le bombardement par avion a transformé les villages, des sortes d’oasis auparavant, en rochers arides ». La tactique ne consistait d’ailleurs pas à asperger les combattants mais à arroser le Hinterland : villages anéantis, récoltes brûlées, troupeaux et sources d’eau infectés… Ce qui était également inconnu et tenu secret, c’est qu’il s’agissait de la première guerre aérochimique dans l’histoire de l’humanité. Les bombes de gaz toxiques étaient systématiquement larguées par les bombardiers, rendant l’ampleur de leur efficacité incommensurablement redoutable. Les séquelles sur l’environnement et les êtres vivants n’ont jamais pu être évaluées ni répertoriées. Beaucoup de médecins sont convaincus que certains cancers, surtout des voies respiratoires et de la peau, sont encore de nos jours anormalement plus répandus dans la région.
L’appel à l’aide lancé en 1925 par Abdelkrim au comité international de la Croix Rouge à Genève n’a eu aucune suite, comme l’a reconnu cette organisation 60 ans plus tard. La Croix Rouge espagnole ayant répondu au siège à Genève par un démenti sur « l’utilisation des gaz asphyxiants », le dossier fut classé définitivement ! Et aucune trace de cette correspondance n’existe à la Croix Rouge espagnole. Les Espagnols se cachent par ailleurs derrière le prétexte que le protocole, interdisant les armes chimiques, n’a été signé qu’en 1925 et ne fut ratifié que plus tard encore. Pourtant bien avant cela, et juste après la première guerre mondiale, l’Allemagne a été condamnée par la France et d’autres pays, pour crimes de guerre et le Traité de Versailles en a interdit toute utilisation et en a détruit les usines. Pourquoi autoriser donc ceci à l’Espagne contre les Marocains plus tard avec du gaz fourni notamment par la Grande Bretagne et la France sans parler des Allemands.
La rébellion du Rif en 1923 est devenue alors une véritable menace pour l’ensemble de la politique coloniale européenne, voire « pour la civilisation et la paix de l’Occident », selon le Maréchal Lyautey. Paris prend alors au sérieux la menace d’Abdelkrim d’investir Fès, voire de couper les voies de communication vers l’Algérie « territoire français » depuis 1830. Anoual où l’armée espagnole a subi la plus grande humiliation de son histoire, 35 000 morts, parmi lesquels seuls les blancs sont comptabilisés comme d’habitude! 12 000 combattants marocains face à un demi million de soldats Français et Espagnols, dirigés par leurs plus célèbres chefs militaires: les maréchaux Lyautey et Pétain avec le général Franco, futur tombeur de la monarchie et chef de l’Etat jusqu’à sa mort en 1975. Bref : un rebelle marocain contre plus de 40 soldats de métier Européens, d’autant plus que les combattants marocains étaient, eux, de simples paysans qui alternaient deux semaines de combat avec deux semaines à cultiver leur champ.
En violation du Traité de Versailles, les Allemands qui soutenaient à bout de bras les Espagnols se préparaient ainsi indirectement à la 2ème guerre mondiale. Pour sa part, la France effectue sa 1ère livraison de 50.000 litres de gaz toxique pour remplir les grenades et 5ooo masques. L’usine de remplissage des grenades est également construite par Paris en juillet 1922 à Melilla. C’est d’ailleurs cette même usine qui sera transformée, juste après, par l’Allemand Stoltenberg pour inscrire le Maroc dans le livre d’un triste record, malgré lui, grâce à cette belle alchimie germano-française. Les deux hommes chargés par Berlin du suivi sur place de ce dossier : Jeschonnek et Grauert deviendront, plus tard, de hauts officiers de l’entourage immédiat d’Hitler. En violation du même accord, Berlin va jusqu’à autoriser les Espagnols à recruter des Allemands pour servir dans sa Légion étrangère et exterminer du Marocain pour se venger des faits d’arme des soldats marocains de l’armée française, contre l’Allemagne pendant la première guerre mondiale.
Comme par hasard, les Marocains ont été en plus utilisés ici comme des dindons de la farce. En effet, malgré le rôle majeur des Allemands aux cotés de l’Espagne par le diable de la chimie destructrice Stoltenberg, les livraisons d’avions pour les asperger, la participation très prisée de soldats Allemands, même camouflés en légionnaires, bref le soutien décisif à côté de l’ennemi, une propagande laissait croire que Berlin avait, au contraire, toujours été du côté Marocain. Une sympathie dans tout le Monde-Arabe pour tout ce qui est Allemand s’en est suivie, récompensée de façon cynique par la traduction des Mémoires de Abdelkrim dès leur parution par l’un des plus grands éditeurs berlinois. Quant aux British, fournisseurs de gaz en catimini, ils s’amusaient en regardant du haut de leur Rocher de Gibraltar, aux côtés des singes, tout ce beau monde s’agiter.
Quand récemment, un ministre espagnol a traversé le détroit en « clando » pour aller se prosterner sur les tombes de ses compatriotes, morts en gazant du Moro , lors de la guerre du Rif, les singes du Rocher de Gibraltar riaient peut-être comme leurs ancêtres, il y a plus de 8Oans. Mais cette fois, certainement pas pour les mêmes raisons. Les chercheurs nationaux ou étrangers amis du Maroc, historiens, scientifiques, médecins…ne décolèrent pas, eux, qu’on n’ait pas encore désigné une instance internationale pour établir l’ampleur des dégâts, passés, actuels et futurs sur le plan humain, écologique…etc. et les responsabilités de chaque partie.