Portrait

Manager, artiste et galeriste

On ne le croit pas au premier abord, mais ce cadre dirigeant mène une double vie d’artiste plasticien, de galeriste et d’universitaire. Parcours d’un cancre qui a gagné son pari avec la vie.
Par Noréddine El Abbassi

Il suffit parfois d’un déclic pour que le cancre se transforme en «fort en thèmes». Certes, Youssef Douieb ne peut être rangé dans cette catégorie. Mais à un moment, il a eu le déclic, et par là même transmet un message d’espoir, aux parents rongés d’inquiétude pour leurs enfants, qui ne «décollent» pas à temps. «J’étais un enfant espiègle, pas du tout bon en classe. D’ailleurs mes oncles pensaient qu’il fallait me mettre en apprentissage, destiné au métier d’électricien», se remémore-t-il. Rond, les cheveux coupés à ras et une courte barbe ne trahissent pas son CV, pourtant impressionnant. Tout ce qu’il a entrepris, il l’a mené à bien et sa carrière de cadre dirigeant, il la complète par une autre, non moins prestigieuse, d’artiste plasticien et de galeriste.
Il est né en 1965, à Casablanca. Benjamin des 11 enfants d’un homme d’affaires de la place, il se décrit lui-même comme un trublion, mais animé d’une «intelligence pratique». «Les plombiers, menuisiers et autres électriciens ont rarement mis les pieds chez moi. Je réparais la plupart des machines et ustensiles du quotidien, tant j’étais bricoleur», confie-t-il. A cette période, et comme il était d’usage, dans beaucoup de familles nombreuses, c’est sa grande soeur qui l’éduque. Véritable «deuxième maman», elle le marque profondément : «elle était très intelligente et battante, ça m’a beaucoup aidé. Mais dans la famille nous avons tous été très artistes. Nous tous et sans exception, chantions, dansions et peignions. J’ai même un cousin enseignant, aux Beaux Arts en Pologne…», plait-il de rappeler.

Les années «Baba Cool»
Ce sont alors les années 70, et l’ambiance tranche avec les années 2000: «l’époque était plus libérée. Il n’était pas rare que les femmes portent des mini jupes à Casablanca, ce que l’on voit rarement, de nos jours. Les seventies étaient réellement une période particulière, «mythique» presque, et l’on savait faire la fête», relève-t-il. Il grandit dans le giron de sa mère. Son père lui, vit à «grand train». Après avoir travaillé pour Coca Cola, il décroche la carte d’importateur de la boisson gazeuse «Canada dry», entre autres activités, toujours en vadrouille, par «monts et par vaux». «Lorsque je rencontre des gens qui le connaissaient, on me le décrit comme un «flambeur». Mais à l’image de la plupart des hommes d’affaires entreprenants, sa fortune était aléatoire», précise Youssef, parlant de son père avec des accents de tendresse.
A l’école, il passera trois années en première année de Collège, dans le système public, épisode qu’il assume: «je n’ai jamais pris un cours particulier et les professeurs ne tarissaient jamais d’éloges à mon sujet. Pourtant, un jour j’ai eu un déclic. J’ai passé un été à lire, après avoir été expulsé du collège, puis, du jour au lendemain, je suis «passé de zéro à Héros». A ma place, les jeunes d’aujourd’hui auraient usé les fauteuils de tous les psy de la ville et seraient dans une école spéciale», conclut-il, non sans une pointe critique. Dans ses réflexions, on retrouve beaucoup de «bon sens», des conclusions qui viennent de «l’école de la vie» et une «sagesse populaire», ancrée dans le réel.

Le choix du «classicisme»
Premier drame, lorsque la mère de Youssef décède brutalement. Cela marque son esprit et signe la fin de sa période d’enfance. Reprenant les choses en main, dorénavant, sa vie n’est qu’une succession de réussites. «Je n’ai jamais raté une année universitaire. J’ai eu un bac économique en 1985 et j’ai poursuivi par des études de droit. A l’époque, je me destinais au notariat, mais sans les appuis nécessaires, c’était malaisé. Je devais être autonome financièrement le plus vite possible, j’ai donc commencé à travailler, d’abord comme juriste, avant de revenir à la gestion à l’ISCAE», explique-t-il. Là encore, l’influence de sa soeur, son mentor, joue en sa faveur. Il a le choix entre une carrière dans une entreprise bien établie, ou un nouveau venu sur un marché qui n’existe pas. Il prend le risque et fait carrière dans la même entreprise, Euler Hermès, une filiale de la BMCE.
«A l’époque, garantir les crédits était complètement inconnu au Maroc, même si la BMCE était derrière. Nous avons pris un certain temps avant de devenir rentable, mais cela a été tout de même un gros risque», estime-t-il. Dans son récit, il fait preuve de beaucoup de pragmatisme, comme celui d’un oncle plein d’expériences, qui ne cherche qu’à partager son savoir. D’ailleurs, ce pas il le saute, puisqu’il deviendra enseignant à la Faculté Hassan II en 2010, pour partager son expertise sur le droit des assurances.

Père, artiste et galeriste
Youssef mène également une deuxième vie, celle de l’artiste plasticien. «J’ai toujours dessiné. Mais en grandissant, j’ai commencé à peindre, et tout récemment, à photographier», expose-t-il. Cette activité se retrouve dans son style de management, avec un côté «créatif», dans son rapport aux gens et au travail. «Une main de fer dans un gant de velours», admet-il. Bien sûr, il vit sa passion comme une échappatoire au quotidien: «lorsqu’on s’absorbe dans la création, on oublie le monde autour de soi. On plonge et je m’inspire de tout. Même cette ambiance présente, je sais qu’elle pourra ressortir à 4h du matin, me réveiller en plein milieu de la nuit pour composer entièrement un nouveau tableau», pointe-t-il.
Sa première exposition collective aura lieu en 2003, et deux années plus tard, une exposition individuelle. Nous sommes en 2004 lorsqu’il se marie et 2006 verra le jour du premier de ses trois enfants. C’est alors qu’il fonde la galerie Thema, dont sa femme assure la gestion. 2009 sera l’année de naissance de son deuxième enfant et la famille sera au complet en 2014, avec la dernière de la fratrie. «Il faut beaucoup de force pour élever un enfant», estime-t-il, sans cacher sa joie lorsqu’il évoque sa progéniture. Depuis, Youssef Douieb est DGA de la même entreprise dans laquelle il a fait sa carrière, tout en menant une vie de père de famille et d’artiste accompli. Bravo l’artiste…

BIO EXPRESS

1965: naissance à Casablanca
1985: Bac G
1989: licence de droit entrée à Euler Hermès
2004: première exposition collective
2005: première exposition  individuelle
2006: fondation de la galerie Thema
2010: enseignant de droit à l’Université Hassan II

 
Article précédent

Le coût de gestion de l’impôt

Article suivant

Ces groupes marocains qui investissent dans les énergies renouvelables