Manager panafricain, tennisman, humaniste
Il a fait sa carrière hors du Royaume. A 38 ans, ce manager a déjà été DG de trois filiales de groupes de télécoms de premier plan en Afrique. Depuis le Kenya, ce Marocain représente son pays sur la scène internationale des télécommunications. Par Noréddine El Abbassi
Les chemins de l’étranger seraient plus aisés que ceux de son propre pays. Presque une règle, qui dans un Maroc qui se positionne sur le continent, fait que les liens avec l’Afrique sont de plus en plus valorisés. Adil El Youssefi est justement un de ces nouveaux managers internationaux qui ont fait leur chemin à l’international. Se déployant sur trois continents, il a été amené à visiter le monde et à se tailler un costume qui l’a conduit au rang de DG d’un grand opérateur de télécommunications en Afrique. Son chemin, c’est presque une «image d’Epinal», de l’étudiant marocain qui s’est imposé à l’international.
Adil est né en 1978, à Casablanca. Aîné «ex-aequo», comme il l’affirme avec une pointe d’humour, en référence à sa soeur jumelle. «C’est assez différent de grandir avec un jumeau, et plus encore quand il s’agit d’une soeur. On se rend très rapidement compte des différences d’intérêts, surtout à l’adolescence. Sans oublier que c’est également enrichissant. Bien sûr, nous avions une certaine rivalité scolaire, même si elle a choisi la médecine, et moi le management», analyse-t-il. La fratrie compte également un frère cadet.
Le père de Adil est avocat, alors que sa mère est institutrice. Comme beaucoup d’enfants d’enseignants, il est plutôt très bon à l’école: «Nous n’avions pas des parents constamment sur le dos, comme c’est le cas parfois. Au contraire, ils nous responsabilisaient et nous expliquaient que si nous voulons réussir, ce sera grâce à notre propre mérite et à nos efforts, que nous le devrons. Cette pédagogie a convaincu et a donné de bons résultats», confie-t-il. Dans son discours, crédible, on imagine volontiers, un enfant studieux à l’école, décidé et volontaire. Presque le «gendre idéal» pour la mère marocaine traditionnelle.
Ingénieur par passion
Ses loisirs tournent alors autour du tennis, qu’il a commencé à pratiquer dès l’âge de 10 ans. Sport qu’il n’arrêtera jamais réellement. Mais avec les amis, on joue aussi au mini foot, le football en salle. Adil est scolarisé dans le système public à partir du Collège, au Lycée Al Baroudi, après un passage par le privé, au stade de l’école primaire. C’est dans le quartier de Aïn Sebaa qu’il grandit, dans les années 80. Ce n’était pas l’actuelle zone industrielle, mais un vaste quartier de villas, où les palmiers décoraient de larges avenues.
Loin des usines et de la vie ouvrière, toute une «classe moyenne» y habitait, avant que des immeubles ne poussent comme des champignons. Au lycée, on y cultive une certaine mixité sociale, et tout le spectre de la société casablancaise se retrouvait réuni dans la même classe. Adil, lui, élève studieux, figure en tête du classement. Ce qui lui ouvrira les classes préparatoires aux grandes écoles d’ingénieurs, au Lycée Mohammed V. La compétition se durcit et il faut travailler encore et encore, pour avoir une chance de décrocher l’admission à une grande école.
Cela arrivera en 1998, et Adil a le «choix des rois», puisqu’ il réussira aussi bien l’accès à de bonnes écoles au Maroc qu’ en France. Avec en prime, une bourse d’études. «Lorsqu’on est jeune, on n’aspire qu’à quitter sa famille et être indépendant. Ma bourse couvrait les frais d’inscription et mes besoins quotidiens. J’ai donc choisi de partir pour la ville universitaire de Bordeaux, très cotée au Maroc», justifie-t-il. Il fait ses classes à l’ENSEIRB, et télécommunications. Lorsque vient le moment des stages, en 1999, Adil opte pour les USA, où il travaille pour la Southwestern Publishing Company. Parallèlement, il vend des livres en porte à porte, pour ajouter du beurre à ses épinards.
Premiers pas dans les télécoms
Première expérience commerciale: «C’était mon premier contact avec la vente. Il faut réellement avoir un mental d’acier, car seules 0,25% des visites se concluent par une vente. Mais, à coup sûr, cela forge la personnalité», explique-t-il. Il connaît déjà les USA pour les avoir visités en vacances en famille, mais cet épisode lui enseigne des qualité de gestion de la vie quotidienne, et celle de son budget. Sa deuxième expérience professionnelle, elle, débouche sur un emploi. En effet, affecté en stage chez Philips, à Paris, on lui propose de devenir permanent, au bout de cinq mois seulement. Ce qui fait que, lorsque Adil obtient son diplôme d’ingénieur en 2001, il a déjà un emploi et à cet effet, déménage à Paris. Là, il habite en colocation, et se frotte au monde des télécommunications sur le terrain. Adil passe 6 années dans la capitale française, et y vivra les attentats du 11 septembre de New-York. Évènement qui marquera l’époque, et façonnera en quelque sorte, le monde d’aujourd’hui.
Arrive 2006, Adil réalise qu’il lui faut donner un coup d’accélérateur à sa carrière. Ce sera par une autre «voie royale», celle d’ un MBA. Malgré ce qu’il estime une première déconvenue, à savoir son admission à Harvard, ce sera un MBA à Singapour avec la non moins prestigieuse INSEAD. «Dans le fond, nos échecs nous permettent de nous préparer à la suite. Peut-être que c’est mieux ainsi», tempère-t-il. L’institut a alors un programme entre deux campus en Asie et en France, et Adil passe 6 mois dans chacun des deux pays. Au terme de son cursus, en 2007, il intègre British Télécoms, à Londres. Dans une équipe de «consultants internes», il élabore des recommandations pour le géant britannique. «Très vite, je me suis rendu compte que je préférais l’opérationnel. J’ai été contacté par un «chasseur de têtes» qui m’a proposé un poste plus proche de mes aspirations», se remémore-t-il. C’est l’année 2008, quand Adil, alors tout jeune marié, quitte l’Europe pour l’Asie.
Destination Afrique
La destination est loin d’être anodine, puisqu’il est bombardé conseiller au PDG à Millicom Sri Lanka. Entre l’Inde et autres contrées d’ Asie, il grimpe les échelons. L’expérience est probante, puisqu’il sera nommé DGA de Millicom Tchad, puis DG. Changement de pays, puisqu’en 2012, il sera nommé DG de Millicom Ghana: «c’étaient des expériences très différentes. La première fois, il fallait lancer une entreprise, la deuxième développer un business, sur un marché plus mûr et porteur», analyse-t-il. Sa famille l’a rejoint, et avec ses deux enfants, la famille connait une vie rangée, dans un fleuron de l’Afrique Anglophone. Mais en 2014, une nouvelle opportunité se présente à lui: «le même chasseur de têtes m’a approché, pour un poste au Kenya. En concertation avec ma famille, nous avons décidé de tenter l’aventure», explique-t-il.
Depuis cette date, c’est à partir du Kenya, qu’il officie, comme DG de Airtel Kenya. L’entreprise de télécommunications fait partie du groupe indien Bharti Airtel, qui opère dans 20 pays en Afrique et en Asie. «Manager itinérant», il voyage entre Amsterdam au Pays-Bas et Delhi en Inde, sa base d’action, restant kenyane. «C’est un pays très beau à voir. On prend sa voiture et on se balade à travers un pays, aux paysages fabuleux. D’ailleurs, très connu pour ses safaris, réputés», explique-t-il.
On parle souvent de diplomatie économique, mais rarement des Marocains qui font cet échange interculturel à l’échelle du continent. Pourtant, dans ce sens, Adil El Youssoufi est en quelque sorte, un «Ambassadeur» du management, glocal.
Bio Express
1978: naissance à Casablanca
1996: Bac S au Lycée Al Baroudi
2001: diplôme d’ingénieur de l’ENSEIRB Bordeaux entrée à Philips
2007: MBA de l’INSEAD entrée à British Télécoms
2008: conseiller auprès du PDG de Millicom Srilanka
2010: DG Millicom Tchad
2012: DG Millicom Ghana
2014: DG Airtel Kenya