Marchés de gros : énorme manque à gagner pour les communes
Il appartient à un autre âge, il fonctionne comme un cirque et ne permet pas de s’assurer de la salubrité des lieux ; c’est le marché de gros. Loin de nous l’image relayée par certaines télévisions françaises sur « Ringis » au petit matin. Les producteurs marocains des fruits et légumes cèdent la place qui leur est réservée aux intermédiaires, aux mandataires et aux bras musclés. Les prix pratiqués sur ces marchés sont en grand décalage avec ceux reçus par les producteurs. Les petits, parmi ces derniers, versent dans la tristesse et la colère lorsqu’ils constatent les prix auxquels leurs produits sont vendus au consommateur final. Certains enquêteurs ont pu constater des différences de prix allant du simple au triple entre les prix à la ferme et ceux pratiqués dans les marchés de gros. La transparence n’est pas la bienvenue dans ces lieux d’enrichissement pour certains, et d’appauvrissement pour d’autres. Les fluctuations des prix des tomates, poivrons, pommes de terre et concombres ne font mal qu’au producteur. Les intermédiaires dictent les rythmes des transactions et peuvent mobiliser leurs moyens de transport pour faire le tour du Maroc des marchés de gros. Le mal que vivent ces marchés ne s’arrête pas là, les mêmes acteurs recréent les dysfonctionnements dans les circuits de commercialisation. Le chiffre d’affaires des marchés parallèles et des dépôts clandestins dépasse celui des marchés de gros. Certains spécialistes avancent que les deux tiers des quantités commercialisées sont hors circuit des marchés de gros. Les campagnes menées d’une façon sporadique par les agents communaux butent sur une résistance, parfois armée et trop musclée, que les mafias du secteur n’hésitent pas à manifester devant une administration démunie en moyens et en structures. Toucher aux intérêts de certains « parasites » altérant les circuits de commercialisation des produits agricoles, n’est pas porteur de quiétude pour les agents communaux.
Le marché de gros et recettes communales
La valeur des produits agricoles issus des cultures végétales est estimée à plus de 30 milliards de dirhams(2010). La part résultant du passage par les marchés de gros ne dépasserait pas 5 milliards de DH soit moins 17% du volume global. Le manque à gagner pour les budgets communaux est énorme. Cette perte peut être estimée à environ 1,7 milliard de DH et ce, compte tenu de l’évasion touchant l’assiette de la taxe de 7% appliquée par la plupart des communes sur les transactions opérées dans les marchés de gros.
La fiscalité touchant le passage des produits de notre agriculture par les marchés de gros ne date pas d’hier. Les autorités du protectorat ont imposé une taxe ad valorem ( sur les valeurs des transactions) pour encadrer tant les intérêts des producteurs « indigènes » en les limitant au gré des circonstances, qu’en favorisant l’accès au marché des produits issus des terres de la colonisation. Cette démarche n’a malheureusement pas accompagné les mutations qu’a connues notre pays. Le marché de gros est toujours perçu comme une contrainte, et non comme une institution qui offre le meilleur prix au meilleur produit. Les principaux acteurs de ce marché portent un regard plein de dédain sur la qualité. Le mandataire qui empoche, sans aucune contrepartie crédible, une marge de 1% à 2% est favorisé par une législation qui fait des mandataires une catégorie privilégiée pour des raisons historiques et autres bénéficiant d’une manne financière dont le montant est estimé à environ 100 millions de dirhams par an. Les visiteurs des marchés de gros constatent qu’une simple délivrance d’une quittance donne lieu à une marge de 1% voire 2%. Les 5% restants peuvent légitimement être justifiés par les efforts budgétaires consentis par les communes pour la construction et l’entretien de ces lieux où les transactions matinales génèrent des coûts qui ne sont que rarement individualisés au niveau de la comptabilité des communes.
Une autre gestion s’impose
Les 38 marchés de gros ne génèrent, d’après les estimations du ministère de l’Intérieur, qu’environ 300 millions de DH de recettes pour les communes. Une restructuration basée sur une rupture avec les pratiques actuelles constituerait une opportunité d’investissement rentable pour les communes, une meilleure structure pour la commercialisation des produits des agriculteurs et une occasion pour créer une synergie entre les politiques sectorielles du transport, de l’agriculture, des travaux publics et de la valorisation des produits de la terre. L’affaire de la gestion du marché de gros et les différents dysfonctionnements qui ont été soumis à l’examen des juges dans le cadre du marché de gros de Casablanca, est révélatrice de l’urgence d’une réforme de fond qui ne doit tenir compte que du critère du meilleur service au citoyen. L’histoire récente de la gestion de l’économie publique nous a appris que la crédibilité de la gestion est avant tout une question de rentabilité économique. La gestion publique du secteur des télécommunications a été une douleur pour les finances publiques. La privatisation et la libéralisation de ce secteur ont été bénéfiques pour les recettes fiscales, pour le budget de l’Etat, pour l’économie nationale, pour les transactions commerciales et même pour les relations humaines. Pourquoi la commercialisation de nos produits agricoles ne peut pas être gouvernée par des mécanismes autres que ceux devant répondre à des impératifs d’une gestion communale génératrice de coûts insupportables, de comportements suspects et finalement, de manque à gagner pour notre secteur agricole. Osons casser les verrous et créons un cadre où la gestion de la commercialisation des légumes et fruits soit normalisée et en accord parfait avec les règles responsables du marché. Nous avons délégué la gestion de beaucoup d’espaces publics au privé. Nos autoroutes fonctionnent ,nos décharges publiques continuent d’être le déversoir responsable du contenu de nos poubelles ,notre transport urbain continue de surmonter les difficultés du quotidien difficile de ses usagers, l’éclairage public et privé s’améliore dans la difficulté de la facturation des services et pourtant, nous continuons à vivre dans le passé lorsqu’il s’agit de permettre à un producteur agricole de commercialiser le résultat de ses efforts dans la dignité et au consommateur d’acquérir à un prix « raisonnable » les composantes d’une alimentation normale. Il est temps de recourir aux techniques de l’adjudication publique pour avoir le meilleur gestionnaire du marché de gros, de permettre aux communes de renforcer leurs recettes, de créer les meilleures conditions pour un commerce équitable des produits de la terre et de rémunérer dignement les agriculteurs . L’espoir placé dans l’avenir du marché de gros de Berkane est annonciateur de changements futurs. Le plan « Maroc Vert » a certes mis en relief l’importance de la réorganisation de l’espace de commercialisation des légumes et fruits, mais c’est au niveau de l’efficacité des instruments qui seront mis en place que seront jugées les bonnes intentions.