CommerceFlash-eco

Maroc–CEDEAO : complémentarités et/ou concurrence ?

En juin 2017, les chefs d’Etat des quinze pays membres de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) avaient donné leur accord de principe à l’adhésion du Maroc. Cependant, cette possible adhésion suscite de réelles craintes. Particulièrement dans les milieux d’affaires de l’organisation régionale en raison du décalage entre l’économie marocaine et celle de certains pays de la région. Ont-ils raisons de s’inquiéter ? A en croire une récente étude de la Direction des Etudes et des Prévisions Financières (DEPF), intitulée « Echanges commerciaux Maroc-CEDEAO : opportunités par pays et par produit », il n’y a aucune raison de s’inquiéter. Au contraire, non seulement il n’y aura pas de concurrence sur l’essentiel des 4.349 produits échangés entre le Maroc et la CEDEAO mais des complémentarités énormes existent. Les détails.

Le Maroc se distingue comme le pays qui possède le moins de spécialisations semblables aux autres membres de la CEDEAO. Plus précisément, le Royaume figure au sixième rang des pays de la zone en termes de complémentarité avec les autres membres avec un indice de 0,22 en moyenne et un maximum de 0,26 avec le Ghana, indiquent les auteurs de l’étude « Echanges commerciaux Maroc-CEDEAO : opportunités par pays et par produit » de la DEPF. Il faut dire que globalement, le Maroc et la CEDEAO effectuent des échanges sur 4349 produits. Pour 80,7 % d’entre eux, le Maroc et la CEDEAO en sont des importateurs nets, ce qui exclut d’emblée les possibilités de concurrence pour la majeure partie des produits. D’un autre côté, 11,6% des produits sont des spécialisations du Maroc et pour lesquelles la CEDEAO est un importateur net, ce qui offre des opportunités de complémentarité non négligeables entre les deux parties. Il en est de même pour 5,2% des produits qui sont des spécialisations de la CEDEAO et qui constituent une opportunité de complémentarité pour la Communauté, puisque le Maroc en est importateur net. « De ce fait, les possibilités de concurrence ne concernent que près de 2,5% des produits », souligne la DEPF qui estime également que des gisements d’opportunités existent entre le Maroc et les pays de la CEDEAO dont l’exploitation profiterait conjointement aux deux parties, moyennant la suppression des droits de douanes jusque-là en vigueur.

Potentiels commercial des spécialisations du Maroc

Selon la DEPF, plusieurs produits pourraient constituer un levier de progression de la part de marché détenue par le Maroc au sein de la CEDEAO.  Ainsi, après avoir analysé les structures des exportations du Maroc et des importations de la CEDEAO, cette direction qui dépend du ministère de l’Economie et des finances, a identifié des opportunités pour les exportations marocaines vers la CEDEAO. A noter que la sélection des produits a été effectuée selon différents critères, notamment le degré de spécialisation du Maroc, le poids dans les exportations marocaines, le poids dans les importations de la CEDEAO, et la dynamique des importations de la CEDEAO de ces produits.

Ainsi, les produits du textile et habillement pourraient constituer un marché porteur pour le Maroc. Ces produits sont caractérisés à la fois par une forte spécialisation du Maroc (> 70) et par une dynamique importante des importations de la CEDEAO. La part de marché détenue par le Maroc sur ce segment est faible, ne dépassant pas 0,3% dans les meilleurs cas. Les principaux fournisseurs du marché de la CEDEAO pour ces produits sont la Chine et, dans un degré moindre, l’Inde. Le marché de la CEDEAO des chaussures est, également, un marché porteur, tenant compte de la dynamique de ses importations (5% en moyenne sur les cinq dernières années). Le Maroc est quasi absent sur ce marché avec une part de 0,9% seulement. En cas d’adhésion du Maroc à la CEDEAO, la suppression des droits à l’importation, fixés actuellement à 20% pour les articles d’habillement et 15% pour les chaussures, serait de nature à renforcer l’accès des produits marocains en favorisant leur compétitivité prix, notamment, dans un contexte marqué par le surenchérissement tendanciel des produits chinois lié, principalement à la hausse des coûts des facteurs (notamment les salaires) conjuguée à son recentrage progressif sur son marché intérieur.

Les engrais vont conforter leur rang. Rappelons que les « engrais (autres que ceux du groupe 272) » ont représenté 0,7% des importations de la CEDEAO en 2016. Le Maroc est le premier fournisseur de la région avec une part de 32%, suivi par la Russie (11,6%). Les tarifs douaniers appliqués sur ce produit, composé de 21 lignes tarifaires, se situent entre 0% et 5%, avec une moyenne de 1,2%. Les droits d’importation ne constituent, ainsi, pas une barrière au commerce. La part du Maroc pourrait être, néanmoins, renforcée moyennant une meilleure adaptation à la demande de la CEDEAO en engrais.

Le Maroc est présent sur le marché de la CEDEAO des produits « Équipement pour distribution de l’électricité », avec une part de 6,2%. Les principaux fournisseurs de ce produit sont la Chine avec une part de 40%, suivie de loin de l’Inde (7%). La part du Maroc pourrait être améliorée, notamment dans un contexte de spécialisation accrue du Maroc et de suppression de droits de douane prévue à l’issue d’une éventuelle adhésion à la CEDEAO. En effet, les tarifs douaniers appliqués sur ces produits composés de 15 lignes tarifaires se situent entre 5% et 20% avec une moyenne de 12,3%.

Les produits agroalimentaires ne seront pas en reste. En effet, les « Légumes, frais, réfrigérés, conservés, séchés » offrent un potentiel à l’export pour le Maroc, compte tenu de sa forte spécialisation en la matière. A noter que la part du Maroc sur le marché de la CEDEAO pour ces produits demeure encore faible (3,6%). La CEDEAO importe, notamment, les pommes de terre, les oignons, les carottes, les navets, la tomate et les betteraves. Le marché de la CEDEAO des légumes est approvisionné principalement des Pays-Bas (55% des importations de la région), suivis de la Chine (13%). La suppression des droits de douane, prévue en cas d’adhésion du Maroc à la CEDEAO, contribuerait à l’amélioration de la présence marocaine sur ce marché. Les tarifs douaniers appliqués actuellement se situent entre 5% et 35% avec une moyenne de 17,2%. Ces produits sont composés de 79 lignes tarifaires. Un taux supérieur à 20% est appliqué à 50% de ces lignes. De même, la suppression des tarifs douaniers appliqués sur les « préparations et conserves de légumes » (entre 10% et 35%) serait de nature à améliorer, davantage, l’accès de ces produits au marché de la CEDEAO, sachant que le Maroc détient une faible part de ce marché (0,3%). Les premiers fournisseurs de la région sont la Chine (64%) et le Royaume-Uni (8%). Selon la DEPF, le Maroc gagnerait, également, à valoriser sa production agricole à travers notamment la stratégie de développement de l’industrie agroalimentaire, tout en s’adaptant à la demande des pays de la CEDEAO. De son côté, le marché des « fromages » constitue un marché dynamique, avec un taux de croissance annuel moyen de 2% des importations de la CEDEAO. La France est le premier fournisseur de la région avec une part de 46%, suivie du Maroc avec une part de 18%, qui pourrait se renforcer dans un contexte de levée des barrières tarifaires fixées actuellement à 20%, et d’amélioration de l’offre exportable du Maroc, dans le cadre du Plan Maroc Vert. Les « poissons frais, vivants ou morts, réfrigérés ou congelés » représentent 1,1% des importations totales de la CEDEAO. Le Maroc détient seulement 4% de ce marché. Les principaux fournisseurs du marché de la CEDEAO du poisson sont les Pays-Bas et la Mauritanie avec des parts respectives de 19% et 14%. Les taux des droits de douane appliqués sur les produits en provenance du Maroc varient entre 5% et 20%, avec une moyenne de 12,8%. Ce produit étant composé de 138 lignes tarifaires. Le Maroc est fortement présent sur le marché de la CEDEAO de « préparations ou conserves de poisson ». C’est le second fournisseur de la région avec une part de 38%, juste après la Chine (39%). La suppression des tarifs douaniers, fixés actuellement en moyenne à 19,7%, contribuerait à l’amélioration de la part de marché du Maroc, compte tenu d’une part de sa forte spécialisation (94) et d’une autre part de la dynamique des importations de la région (TCAM de 5%).

Idem pour les véhicules automobiles pour transport de personnes. En effet, le marché de l’automobile de la CEDEAO recèle des gisements d’opportunités pour le Maroc. Les importations de la CEDEAO d’automobiles représentent 2% des importations totales de la zone. Elles proviennent notamment des États-Unis (33%) et de la Belgique (15%). La part du Maroc ne dépasse pas 0,2% des importations d’automobiles de la CEDEAO. Néanmoins, la levée des tarifs douaniers établis actuellement à 10,2% en moyenne permettrait de renforcer la part du Maroc sur ce marché.

Des parts de marchés potentiels pour la CEDEAO

De son côté, le Maroc pourrait constituer un marché porteur pour plusieurs produits originaires de la CEDEAO, en particulier, les produits énergétiques (pétrole et gaz), les produits alimentaires (cacao, café, graines et fruit oléagineux…), le coton, le bois et produits de bois, les cuirs et les minéraux. A noter que la DEPF a basé son choix des produits présentant une opportunité pour les exportations de la CEDEAO vers le Maroc sur un certain nombre de critères comme, le degré de spécialisation de la région, le poids dans les exportations de la CEDEAO, le poids dans les importations marocaines ainsi que la dynamique des importations marocaines de ces produits.

Au premier rang de ces produits, on trouve les produits énergétiques. En effet, les « Huiles brutes de pétrole ou minéraux bitumineux » ont représenté 0,4% des importations marocaines en 2016. D’après l’étude, le marché marocain de ces produits est une opportunité pour la CEDEAO compte tenu de la spécialisation de la Communauté. Néanmoins, la part de la CEDEAO sur le marché marocain ne dépasse pas 3%. Ce dernier s’approvisionne notamment de l’Arabie saoudite (83% des importations marocaines des huiles brutes de pétrole). Le tarif douanier appliqué sur les importations en provenance de la CEDEAO est faible (2,5%). De même, malgré la faiblesse des droits de douane appliqués par le Maroc (2,5%) et la forte spécialisation de la région, le « gaz naturel, même liquéfié » et le « Gaz de pétrole et autres hydrocarbures gazeux » d’origine de la CEDEAO sont absents du marché marocain.

Dans le domaine des produits alimentaires, il y a à faire au Maroc pour la CEDEAO, selon la DEPF. C’est le cas pour le  « cacao » qui représente 10% des exportations totales de la CEDEAO, mais la zone ne détient qu’une part de 2,8% seulement du marché marocain. Ce dernier importe essentiellement depuis l’Espagne (54%) et les Pays- Bas (24%). La suppression des droits de douane établis à 2,5% et l’amélioration de la connaissance du marché pour les opérateurs de la CEDEAO contribueront au renforcement de la part de marché marocain détenu par les exportateurs relevant de cette zone. Selon l’étude, le marché marocain du « Chocolat et autres préparations du cacao, n.d.a. » constitue un marché porteur pour la CEDEAO vu la dynamique des importations marocaines de ce produit (10,3% en moyenne annuelle entre 2012 et 2016). La levée de barrières tarifaires fixées actuellement à un taux moyen de 19,8% pourrait améliorer l’accès des produits de la CEDEAO au marché marocain. De même pour le « Café et succédanés du café », la suppression des droits de douane établis à 21,1% en moyenne serait de nature à renforcer la part de la CEDEAO sur le marché marocain, qui s’établit actuellement à 13%. Les importations marocaines proviennent principalement de l’Indonésie (25%) et du Vietnam (17%). Le marché marocain s’avère également porteur pour les exportations de la CEDEAO de « Graines et fruits oléagineux ». Les tarifs douaniers appliqués pour ces produits oscillent en moyenne entre 2,5% et 50%. Le coton Le coton de la CEDEAO représente 12% seulement des importations marocaines malgré la forte spécialisation de la région en la matière. Les tarifs douaniers faibles (2,5%) ne constituent pas un obstacle au commerce. Néanmoins, les exportateurs de la CEDEAO gagneraient à mieux connaitre le marché marocain et tirer profit de son potentiel.

Pour la DEPF, la branche Bois et produits du bois devrait aussi tirer son épingle du jeu. En effet, la CEDEAO est fortement spécialisée au niveau des produits suivants « Bois bruts ou équarris », « Bois simplement travaillés », « Bois de chauffage ». La levée des barrières tarifaires établies en moyenne entre 2,5% et 11,7% devrait encourager les exportations de la CEDEAO en ces produits vers le Maroc, qui sont actuellement faibles ou inexistantes. Autres produits Les exportations de la CEDEAO sont spécialisées dans les produits suivants « Minerais d’aluminium et concentrés », « Plomb », « Cuirs et peaux préparés » et « Etain ». « Toutefois, ces produits sont absents du marché marocain. Un effort d’investigation par les opérateurs de la CEDEAO conjugué à la levée des barrières tarifaires devrait permettre aux exportations de la zone de s’adjuger des parts non négligeables sur le marché marocain », estiment les experts de la DEPF.

Selon ces derniers, si l’impact de la suppression des tarifs douaniers est susceptible d’impulser potentiellement les échanges entre le Maroc et la CEDEAO, il n’en demeure pas moins vrai que ces tarifs ne constituent que la partie apparente de l’iceberg. D’autres contraintes structurelles devraient être levées pour libérer le potentiel du commerce entre les deux parties. Il s’agit, entre autres, des questions liées à l’insertion dans les chaînes de valeurs régionales, à la compétitivité logistique et à l’intensité de la concurrence qui se déploie au sein des marchés de cette zone, notamment, celle émanant de pays émergents réputés pour leur compétitivité-coût imbattable. « Le dépassement de ces contraintes est tributaire du renforcement de la connaissance par les opérateurs marocains, particulièrement les PME, des spécificités intrinsèques des marchés de la CEDEAO, au même titre que l’optimisation des actions de la diplomatie économique en direction de cette zone pour assurer un accompagnement de qualité au profit de l’offre exportable nationale », prévient la DEPF qui souligne que d’autres aspects importants méritent d’être pris en ligne de compte dont, notamment, la couverture contre le risque commercial, l’établissement de partenariats avec les entreprises locales au sein de cette communauté régionale, voire même la conclusion d’alliances avec les opérateurs relevant des pays émergents, selon une démarche vertueuse qui prend en considération les intérêts respectifs de toutes les parties prenantes, y compris les pays de la CEDEAO.

 
Article précédent

Mondial 2018 : Hervé Renard dévoile la liste finale

Article suivant

Il fait l’actu : Khalid Samadi, secrétaire d’État chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique