Entreprises & Marchés

Marrakech, capitale mondiale du commerce

Au centre, Roberto Azevedo, DG de l’OMC

L’histoire du couronnement des grandes initiatives pour réguler les échanges commerciaux entre nations a été écrite à Marrakech, en 1994, avec la création de l’Organisation Mondiale du Commerce – OMC- et l’adoption d’ambitieux accords multilatéraux qui ont marqué la vie de cette institution. Vingt ans après, la ville ocre a célébré, les 8 et 9 Avril, la commémoration du 20ème anniversaire de l’OMC sous le thème « 20 ans de l’OMC : célébration des succès et défis pour l’avenir ».  par Abdelfettah Alami

L e coup d’envoi à cette grande manifestation, qui a vu la participation d’une quarantaine de ministres de Commerce, de plus de 300 représentants du monde des affaires, parlementaires, économistes, représentants de la société civile et du Directeur Général de l’OMC, Robert Azevedo, a été donné par le Chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane et par le ministre de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie numérique, My Hafid Elalamy.
Moment crucial, cette conférence ambitionne comme objectifs de faire le bilan de l’impact de la libéralisation des échanges sur les économies africaines et d’ «examiner les priorités et les attentes des pays africains par rapport au programme de travail futur.. » de l’Organisation qui sera discuté lors de la 10ème Conférence Ministérielle de l’OMC au Kenya, du 15 au 18 Décembre 2015.
Parmi les grandes thématiques qui ont été débattues lors de cette manifestation, figurent : le renforcement des capacités de production et d’exportation pour une meilleure intégration de l’Afrique dans l’économie mondiale, la contribution de l’OMC à la croissance et à l’emploi en Afrique, le commerce des services…..
   
Le pourquoi d’un focus sur l’Afrique

Toutes les nations reconnaissent que le commerce est un véritable moteur de la croissance. Le développement des échanges de marchandises et de services a connu un essor considérable ces vingt dernières années, tant dans le sens Nord-Sud que dans celui Sud-Sud. Dans cette dernière sphère, de nombreux pays en développement et/ou émergents, ont pris part à ce mouvement et contribuent, à ce titre, pour plus de 50% au commerce mondial. Si ce résultat a été obtenu grâce, en partie, aux avancées des cycles de négociations et accords au sein de l’OMC et si l’intégration économique qui en résulte a contribué à relever le niveau de vie des populations des pays du sud, ces derniers n’ont pas été tous gagnants, notamment les Etats de l’Afrique subsaharienne.
C’est que les obstacles aux échanges que ces accords auraient dû faire disparaitre, ou du moins réduire à un niveau acceptable pour les Etats membres, ont persisté dans plusieurs secteurs, dont principalement l’agriculture qui subit de plein fouet les distorsions tarifaires et les conséquences des fortes subventions octroyées par les grandes puissances européennes er américaines à leurs agriculteurs et qui ont faussé tout le jeu de la libre circulation des marchandises et services entre les nations, tel que stipulé dans les principes directeurs de l’OMS. D’ailleurs, la photographie du continent Africain sur le plan planétaire montre que celui-ci, avec 16% de la population mondiale représente à peine 3% des échanges commerciaux internationaux.
Face à un tel environnement, l’on comprend aisément les préoccupations des pays africains et la montée en puissance de leurs revendications en matière d’accès de leurs produits au marché international. L’on saisit plus pourquoi ces pays focalisent l’attention, à chaque conférence de l’OMS – celle de Marrakech au courant de cette semaine n’a pas échappé à cette règle- sur cette question qui constitue un enjeu majeur pour les économies africaines. Car, il ne faut pas occulter le fait que le secteur de l’agriculture abrite plus de la moitié de la population de plusieurs pays du continent, qu’elle leur  procure une bonne partie de leurs revenus. Et surtout, les exportations agricoles représentent plus de 60% des recettes d’exportation de presque la moitié des pays d’Afrique Subsaharienne.
Ces seuls éléments justifient, à eux seuls, le focus de la conférence actuelle de l’OMS sur l’Afrique et expliquent les attentes et les défis à relever pour l’intégration des économies de ces pays dans le commerce mondial, dans une approche juste et humaine du développement.

Pour une intégration des économies africaines dans les chaines de valeurs mondiales

Comme l’avait rappelé le DG de l’OMC, à l’occasion de cette conférence de Marrakech, les activités de cette dernière étaient focalisées sur trois axes principaux : le suivi de la réglementation en matière d’échange de marchandises et de services, le règlement des litiges entre Etats membres qui a connu un succès significatif en dépit des retards relevés pour résoudre ces différends, car en l’absence de ressources humaines suffisantes, «nous sommes victimes de notre propre succès», estimait M. Roberto Azevedo ; et le 3ème axe, celui des négociations, « parent pauvre » des travaux de l’Organisation.
En effet, les négociations antérieures, depuis celles menées dans le cadre du programme de Doha pour le développement lancé en 2001, jusqu’à celles discutées lors de la Conférence de Bali en 2013, n’ont pas connu le succès escompté. Les obstacles dressés par les pays occidentaux pour l’accès des exportations africaines à leur marché se sont multipliés. Les barrières tarifaires érigées par ces Etats, en plus des normes sanitaires et phytosanitaires, constituent une limitation infranchissable  à une réelle libéralisation des échanges. A cela, il faut ajouter les subventions massives à l’agriculture dont les montants sont élevés aussi bien au sein de l’Union Européenne, qu’en Amérique du Nord et qui constituent de véritables distorsions aux mécanismes de marché. Ces pratiques demeurent, malgré le fait que les pays membres de l’OMC se sont engagés lors de plusieurs cycles de négociations à limiter le volume et la valeur des subventions à l’exportation. C’est pour toutes ces raisons que le DG de cette institution multilatérale a, une fois de plus, émis le vœux pour la suppression des obstacles aux échanges commerciaux entre pays membres.
Les chiffres montrent clairement, et comme l’avaient souligné plusieurs intervenants dans cette Conférence, que le continent Africain reste à la marge du commerce mondial. Si les esprits resteront focalisés sur la prochaine Conférence au Kenya, il n’échappe à personne que la libéralisation n’est pas la panacée et que les pays Africains doivent d’abord surmonter leurs propres blocages internes et ce, à plusieurs niveaux, à commencer par les infrastructures qui permettraient de réduire le coût de la logistique et partant, le développement des échanges intra-africains ; ensuite, cela passerait par l’amélioration de l’offre à l’exportation en renforçant les capacités de productions à forte valeur ajoutée, tout en améliorant la capacité d’offre sur le marché intérieur pour assurer la sécurité alimentaire des populations . Sur ce terrain, des réalisations significatives ont été obtenues par plusieurs pays africains dans leurs plans d’émergence industrielle. Les expériences relatées à cette occasion par les représentants du Maroc, du Gabon et de la Côte d’Ivoire sont édifiantes et témoignent de la dynamique engagée pour une meilleure intégration dans une économie mondialisée.
Comment, donc, se projeter avec l’OMC, d’ici 20 ans ? Cette question est revenue à la table de discussion au niveau de plusieurs panels du programme de la Conférence de Marrakech et parait légitime, car aujourd’hui, la physionomie du commerce international a changé. L’entrée en force de puissances émergentes comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, les crises économiques qui ont secoué le monde ces dernières années avec le sentiment qui s’en est suivi, que la mondialisation devient une menace pour les peuples (les mouvements inter-mondialistes en sont la manifestation la plus éclatante), nous incitent à réfléchir sur le futur positionnement de l’OMC par rapport aux attentes des pays en voie de développement et particulièrement, les moins avancés. Seule la recherche  d’une approche visant une cohérence entre commerce et développement avec à la base d’une réelle volonté politique des membres de l’OMC, pourrait nous inciter à l’optimisme.

 
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