Mehdi Hijaouy : «Le Renseignement est le bras armé de la Souveraineté Sanitaire»
L’Intelligence Sécuritaire, par sa multidisciplinarité multidimensionnelle, contribue considérablement et indéniablement à une matérialisation de la Souveraineté Sanitaire. Mehdi Hijaouy, Expert en sécurité, défense, stratégie et intelligence économique et stratégique, nous éclaire sur l’apport du Renseignement dans l’acquisition de cette Souveraineté.
Challenge : Quel lien entre Souveraineté Sanitaire et Sécurité ?
M.H : Pour couvrir sa pleine indépendance nationale dans son sens le plus large, tout Etat se doit d’acquérir successivement ou simultanément, sa souveraineté dans tous les domaines, y compris celui de la santé. Le Sanitaire constitue naturellement l’une des souverainetés fortes d’un pays, alors que le Renseignement est le cordage à installer entre Sécurité et Santé, permettant ainsi à un Etat de manœuvrer et d’imposer sa Souveraineté Sanitaire. Et pour cela, je le rappelle, si besoin est, l’Intelligence Sécuritaire accorde une importance majeure au secteur de la santé qui est l’un des piliers du développement des Nations.
Challenge : Selon vous, pourquoi la question de la Souveraineté Sanitaire devient un sujet récurrent, préoccupant tous les Etats ?
M.H : Cela me semble normal. Revenons à la toute première vague du Covid-19, lorsque le manque de sécurisation des chaînes d’approvisionnement en médicaments, pour affronter la pandémie, a démontré, pour tous les pays, sans exception aucune, leur criante faiblesse et leurs grosses failles dans le domaine.
De grandes puissances ont vécu une grave pénurie de masques, de gants, une insuffisance inquiétante de certains médicaments et produits médicaux de première nécessité, lesquels étaient, en temps normal, importés, notamment de Chine, pays considéré comme le principal producteur et fournisseur de composants nécessaires à la fabrication de médicaments, avec une exportation de près de 70% des matières premières essentielles à la production du paracétamol et de l’hydroxy-chloroquine, 2 éléments qui constituaient le protocole médical qu’avait adopté la plupart des pays.
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Comme le géant asiatique était, à un certain moment, totalement occupé à gérer sa propre crise sanitaire, que le monde connaissait une interruption inédite des transports et acheminements de marchandises, le résultat aura été que la Chine n’arrivait plus à honorer ses livraisons à l’international, privant la planète de médicaments et traitements.
Au final, à y réfléchir, je peux dire que cette crise pandémique a été un redoutable collisionneur, qui a accéléré le passage de la réflexion à l’action, au profit de la supply chain dans le secteur de la santé. Actuellement, les pays les plus avisés, dont le Maroc, ont tiré la leçon et n’ont qu’une hâte, celle de bâtir et assurer, sereinement, leurs Souverainetés Sanitaires.
Challenge : Quel a été l’impact du Covid-19 sur les souverainetés des Etats ?
M.H : Je dirai, en toute sincérité, que l’impact du Covid-19 a été des plus positifs. Prenons l’exemple de notre pays qui, dernièrement, grâce à l’intelligence et la vision éclairée de Sa Majesté le Roi, a vécu le lancement des travaux de réalisation d’une importante unité de fabrication de vaccins anti-Covid-19, baptisée Sensyo Pharmatech à Benslimane, dotée à terme, d’un investissement d’environ un-demi-milliard d’euros, laquelle aura une capacité de production, dans trois ans, soit en 2025, de plus de 2 milliards de doses de vaccins.
Ainsi, notre pays disposera, bientôt, de la plus grande plateforme pharmaceutique en capacité de Fill & Finish de vaccins en Afrique et pourrait rapidement figurer dans le TOP 5 mondial, au même titre que sa puissante machine de Renseignement, s’assurant, par conséquent, un rayonnement sans précédent à l’international, et particulièrement en Afrique.
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Ceci étant, il est une évidence. Cette unité n’est pas le fait d’un hasard, d’une circonstance. Elle est le résultat d’une stratégie voulue et savamment pensée par Sa Majesté le Roi, une stratégie à moyen et long termes, englobant entre autres l’élargissement de l’assurance maladie à 100% des citoyens du Royaume à l’horizon 2023-2024 et visant à assurer les pensions de retraite et les indemnités pour perte d’emploi en 2025. Cela montre tout le large champ de cette stratégie qui veut à la fois être sociale, économique et sécuritaire.
M.H : Les principales fonctions stratégiques d’un Service de Renseignement s’articulent autour de socles immuables : connaissance et anticipation, dissuasion, protection, prévention et intervention.
Je vais vous éclairer quant à l’importance du Renseignement, à travers des moments vécus par nous tous. Ainsi l’exemple de l’éclosion du Covid-19 dans un centre chinois vers la fin de l’année 2019, qui est une information stratégique que seul un Service de Renseignement bien rodé pouvait déchiffrer en termes d’ampleur et de gravité, que ce soit à travers une veille au niveau du Web (rapport quotidien du Réseau mondial d’information en santé publique ou autres sources) ou encore même sur le terrain, et pouvant ainsi anticiper et intervenir efficacement.
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Retenons qu’après cette apparition pandémique, très tôt, Sa Majesté le Roi, qui a compris dans l’instant la gravité de la situation, avait donné ses Très Hautes Instructions pour le rapatriement des étudiants marocains se trouvant à Wuhan en Chine.
Le Renseignement peut aussi identifier les Centres les plus avancés dans certaines technologies de santé et en aviser son pays pour réfléchir sur la meilleure manière de collaborer avec eux, permettant un échange d’expertises ou même être alimenté, imminemment, en matériels et médicaments nécessaires et surtout en quantité suffisante.
Challenge : Quelles recommandations aux acteurs du Renseignement pour une meilleure acquisition de la Souveraineté Sanitaire ?
M.H : Je vous dirai que l’urgence est d’abord à l’élaboration d’un plan d’intervention national en matière de santé publique, en identifiant et en hiérarchisant les dangers potentiels, à l’aide du Renseignement, pour mieux anticiper et remédier à toute incidence sur les hommes et l’environnement, en collaboration, notamment, avec des experts dans des domaines variés (biologistes, chimistes, épidémiologistes, infectiologues, médecins, etc.).
Dans cette logique, il n’est pas uniquement question des cas liés à l’urgence médicale se rapportant aux virus, mais il s’agit aussi d’identifier tous les micro-organismes, notamment ceux génétiquement modifiés, les cultures cellulaires et les endoparasites humains susceptibles de provoquer une infection, une allergie ou une intoxication à grande échelle. Ce qui permettrait à tous les intervenants d’être suffisamment préparés pour agir dans tous les cas de figures et aucunement sous-estimer l’impact possible, comme ce fût le cas, en début de pandémie de covid-19.
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Il faut également définir, dès à présent, et de manière détaillée, les rôles et responsabilités des divers partenaires impliqués dans l’ensemble des secteurs de santé, y compris les Services de Renseignement, voire même de doter ces derniers de capacités, de moyens et de ressources indispensables pour mener au mieux et à leur terme, des missions spécifiques en la matière.
Des tests et des simulations périodiques et rigoureux des plans relatifs à une pandémie ou même au déclenchement de guerres biologiques, à tous niveaux, devraient être, impérativement initiés, encadrés par le Renseignement.
Il faudrait aussi que la chaine de fabrication de vaccins anti-Covid-19 soit assistée par le Renseignement, lors de son opérabilité et même avant et après la construction du chantier, pour neutraliser toute fuite d’informations sensibles, stratégiques, et éviter que du personnel y travaillant ne soit approché et fasse l’objet d’opérations de manipulation par des parties étrangères.