M’hammed Belarbi, Enseignant-chercheur, Université Cadi Ayyad- Marrakech : « La ruée des opérateurs privés vers les provinces du Sud est l’événement phare attendu »
Pour M’hammed Belarbi, le visage économique des provinces du Sud a beaucoup changé au cours de ces dernières années.
Challenge : Depuis la Marche Verte, les provinces du Sud ont connu un vrai développement à la fois territorial et économique grâce à une très forte volonté politique du Maroc pour en faire une région prospère et attractive. Comment en est-on arrivé là ?
M’hammed Belarbi : Depuis leur récupération à la mère-patrie, les provinces du sud ont bénéficié et bénéficient encore d’un effort public considérable pour réaliser leur désenclavement et l’éradication des séquelles du sous-développement hérité de la colonisation espagnole. La priorité a été accordée aux infrastructures de base (l’électrification, l’alimentation en eau potable, la scolarisation, et la santé publique). Plus précisément, la continuité des efforts budgétaires consentis directement par l’Etat Marocain, depuis 1975, a visé l’insertion économique des régions du sud aux politiques nationales globales.
Depuis 2002, en vue de mettre en place les prérequis du développement multiforme au Sahara, l’Etat a créé de nouvelles institutions : l’Agence de Promotion et de Développement économique et social des provinces du Sud marocain (ADES), et le Conseil Royal Consultatif des Affaires Sahariennes (CORCAS).
En même temps que la proposition du plan d’autonomie institutionnelle des provinces du sud, le Maroc a lancé un vaste plan de leur développement. Dans cette optique, les provinces du sud ont bénéficié d’emblée des programmes nationaux sectoriels (Vision 2010 puis 2020 pour le tourisme, Plan Maroc Vert pour l’agriculture, lancé en 2008, Plan Halieutis, pour la pêche, en 2009). Ces politiques sectorielles ont surtout profité de façon déterminante et durable aux secteurs de la pêche et de l’agriculture, qui sont désormais devenus les deux locomotives du développement dans le Sahara marocain.
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Depuis 2015, une nouvelle stratégie de développement a été donnée par le Roi Mohammed VI lors de son discours du 6 novembre 2015 à Laâyoune, à l’occasion de la célébration du 40e anniversaire de la Marche verte. Le Souverain y a réaffirmé l’arrimage total et irréversible des provinces du Sud au reste de la Nation, que ce soit sur le plan institutionnel, politique ou économique.
Sur ce, une enveloppe de plus de 80 milliards de dirhams, couvrant une période de 6 ans, a été consacrée à des investissements tous azimuts dans les provinces du sud. Ces dernières sont érigées en modèle d’opérationnalisation de la régionalisation avancée, à travers une gouvernance exemplaire, fondée sur la contractualisation entre l’Etat et les trois régions du Sahara.
Quatre axes structurent ce nouveau modèle de développement des provinces du Sud: I- l’économique (création de richesses, d’emplois, pôle de compétitivité, valorisation des ressources locales) ; II- le social (croissance inclusive et consolidation des questions culturelles), III- la gouvernance ; IV-le développement durable.
Pour leur permettre de se positionner comme un hub incontournable entre le Maroc et les pays d’Afrique subsaharienne, conformément à la nouvelle politique africaine du Royaume, les investissements touchent tous les secteurs productifs des trois régions sahariennes.
Le 7 novembre 2020, pour marquer le 45e anniversaire de la Marche verte, le Roi Mohammed VI a présenté son projet de développement économique pour le «grand Sud marocain». La nouvelle mouture met en avant une volonté de mieux exploiter le potentiel maritime, en lançant un nouveau port, Dakhla Atlantique, destiné à devenir le hub du Sud du pays. Mais au programme, il y a aussi: infrastructures routières, maritimes et sanitaires; pôles industriels; énergie solaire; développement agricole et éco-touristique; promotion de la recherche et de la formation ; projets de développement humain… Désormais, la durabilité est mise en avant comme levier de la nouvelle vision de développement des provinces du sud; et ces projets et chantiers traduisent la forte volonté du Royaume de consacrer l’initiative marocaine d’autonomie, ainsi que la coopération avec les pays du continent africain.
En définitive, après plus de 45 ans de conso¬lidation, de mise à niveau et de sacrifices, l’heure est désormais à la régionalisation avancée, pour donner à ces trois régions les moyens d’assurer leur décol¬lage économique et social ainsi que leur développement inclusif. Les succès diplomatiques et militaires dans le dossier du Sahara doivent, bien entendu, s’accompagner de succès économiques, eu égard aux richesses importantes, aux grandes opportunités d’investissement ainsi qu’au potentiel de développement important qu’offrent les provinces du Sud. Aujourd’hui, les villes littorales sont devenues des villes modernes, dotées de toutes infrastructures (Laâyoune, Dakhla, Tan Tan).
Challenge : Les provinces du Sud comptent aujourd’hui de grands groupes familiaux sahraouis. Comment ces acteurs économiques ont-ils évolué ? Comment préparent-ils l’avenir ?
M’hammed Belarbi: Bien entendu, premier investisseur et premier employeur, l’Etat a joué un rôle primordial dans les provinces du sud. De ce fait, la population sahraouie reste largement inemployée et soumise à une politique publique d’assistanat à travers un système de distribution de pensions par l’Entraide nationale. Un système qui donne lieu à des détournements au détriment des plus démunis. De quoi nourrir l’esprit de rente des provinces du Sud, mais aussi un sentiment d’injustice économique.
De ce fait, on peut avancer que les grandes familles ont su tirer parti de leur expérience politique et de l’effet de levier économique pour continuer d’enchaîner les mandats de députés ou d’élus locaux, et ont su diversifier et développer l’implantation de leurs activités économiques. Alors que des secteurs clés de l’économie sahraouie leur ont été confiés – à travers la distribution de licences pour l’exploitation des carrières de sable ou pour la pêche en haute mer et la passation de marchés de construction ou d’équipement- Cette élite politico-économique a connu peu de renouvellement entre le règne de Hassan II et celui de Mohammed VI, restant fidèle à une structure tribale avec des équilibres propres à la culture sahraouie. De ce fait, les grands groupes familiaux sahraouis, avec leurs proches, représentent l’écrasante majorité des députés, des conseillers ou des élus locaux dans les trois régions. Leur pouvoir politique est doublé de leur puissance économique.
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Par ailleurs, après 4 décennies de consolidation, de mise à niveau et de sacrifices, à l’occasion du quarantième anniversaire de la Marche Verte, le Souverain a décrété la fin de la rente et des privilèges qui ont marqué la gestion des affaires sahariennes depuis le retour de ces territoires à la mère-patrie. Il s’agit d’une rupture fondamentale dans l’approche de l’Etat concernant les provinces du sud. Les pouvoirs publics semblent avoir tourné le dos à la gestion traditionnelle du problème sahraoui, qui consistait à acheter la paix sociale grâce aux subsides de l’État.
Challenge : Convaincus des opportunités que peuvent offrir les Provinces du Sud, de nombreux opérateurs économiques de l’intérieur du Royaume se sont installés et sont devenus des success story dans la région. Qu’est-ce qui fait leur réussite ?
M’hammed Belarbi : Comme nous venons de le souligner, les Provinces du Sud ont changé de visage. L’économie des trois régions, en pleine mutation, ambitionne de concurrencer les performances des régions du Nord. Le lancement de projets d’investissement structurants (Port de Dakhla Atlantique, Technopole de Foum El Oued, Zone Industrielle de Boujdour, etc.), associé à différentes mesures incitatives, a permis aux Provinces du Sud d’améliorer significativement leur création de valeur ajoutée. Aujourd’hui, la voie économique empruntée par le Maroc au niveau de ces provinces ainsi que la décision de plusieurs pays d’ouvrir des consulats généraux à Laâyoune et à Dakhla, représentent une victoire retentissante et consacrent la reconnaissance internationale de la souveraineté du Maroc sur son Sahara. Ces initiatives sont très importantes au vu de leurs significations politiques, juridiques et diplomatiques.
Dans cette perspective, la ruée des opérateurs privés vers les provinces du Sud est l’événement phare attendu. En fait, grâce à l’implantation de nouvelles entreprises dans des domaines tels que la pêche, le tourisme ou encore l’agriculture, les éoliennes, ou l’énergie solaire, le renforcement du tissu économique local est la condition sine qua non pour enrayer le chômage. Le secteur privé national, longtemps en retrait, est désormais appelé à peser dans le développement de ce territoire, riche de potentiel. L’approche actuelle consiste à créer de la richesse qui profitera à tous et qui pourrait rendre le Sud aussi attractif que le Nord du Maroc.
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Autres sujets du dossier :
– Tout sur ces entreprises qui comptent :
– Driss Senoussi, PDG du groupe MaadOspitality et propriétaire de Dakhla Attitude
– Maoulaïnine Maoulaïnine, Directeur Général de Phosboucraa
– Sidi Hamdi Ould Errachid, Président de la holding Myher
– Mohamed Zebdi, Président de King Pélagique Group
– Ahmed Bouaïda, PDG du holding Holsatek
– Mohamed Sbayou, Président de Mina Holding
– Dahmane Derham, Président du groupe Derham Holding
– Hassan Sentissi, Président du Groupe Sentissi
– Mohamed El Imam Maelainin, Président du Groupe Cheikh Malainin d’Investissement (GCMI)
– Hicham Seghir, Président du Groupe Aaakar Chark
– Mohamed Nabil Tazi, PDG de Iglo Fish
– Ali Oukacha, DG du groupe Alia Pêche
– Mohamed Tazi, Président fondateur du Groupe Azura
– Sébastien Deflandre, fondateur d’Océan Vagabond
– Jérôme Schanker, fondateur de La Tour d’Eole
– Interview avec :
– M’hammed Belarbi, Enseignant-chercheur, Université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc « La ruée des opérateurs privés vers les provinces du Sud est l’événement phare attendu »
– Mounir Haouri, DG du CRI de la région Dakhla-Oued Eddahab « Nous avons vu des projets se concrétiser avec des concepts innovants »
– Provinces du Sud : L’investissement est déjà là