Mobilité internationale des étudiants marocains (2/5) : l’Europe de l’Est pour les carrières médicales
La mobilité internationale des étudiants a progressé de manière notable dans le monde et cette tendance ne fera que s’accentuer. Leur nombre devrait dépasser les 10 millions d’étudiants en 2030. Au Maroc, en dehors de la France, d’autres destinations telles que l’Europe de l’Est ont pris de l’ampleur auprès des familles marocaines avec le temps.
L’attrait pour les pays de l’Est ne date pas d’aujourd’hui et l’ex-Union Soviétique a une longue histoire d’accueil d’étudiants, spécifiquement d’Afrique, notamment durant la période de la guerre froide où chaque bloc tentait de consolider son bloc idéologique. À ce titre, « les départs des étudiants marocains vers l’ex-URSS et vers d’autres pays de l’Est de l’Europe tels que la Roumanie, la Pologne, la Bulgarie et la Tchécoslovaquie datent du début des années 1960. Plusieurs étudiants marocains ont ainsi bénéficié de bourses de ces États, qui leurs ont permis d’aller se former en médecine, pharmacie, ingénierie, physique, biologie, architecture, … », explique Mohamed Tazi, Directeur Général de Archimède Consulting.
Ils étaient 2.605 étudiants marocains inscrits dans les universités et instituts de l’Union Soviétique (1) entre 1959 et 1979. Depuis lors, ces chiffres ont même connu une augmentation notable, surtout depuis le début des années 80. Mais avec le démantèlement de l’Union soviétique en 1991, la destination a perdu un peu de son attractivité due à la forte baisse de l’offre des bourses d’État et à l’augmentation des formations payantes. « Cela a limité les départs aux étudiants issus des milieux aisés ou de la classe moyenne qui peuvent supporter le coût des études notamment dans les branches de médecine et de pharmacie. Mais malgré l’instauration de ces frais de scolarité par les universités aussi bien en Roumanie, Ukraine qu’en Russie, le flux des étudiants marocains qui s’inscrivaient dans les filières médicales n’a cessé d’augmenter », détaille Mohamed Tazi.
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L’Europe de l’Est est ainsi devenue une opportunité, une seconde chance pour les marocains qui souhaitent faire une carrière médicale. L’importante offre de formation dans ce domaine, au moindre coût, et avec la possibilité d’obtention du visa sans grande difficulté a été une opportunité pour ces jeunes. « Ils n’auraient pas eu cette chance au Maroc comme en France dans lesquels les branches médicales sont réputées très sélectives et difficiles d’accès. Au Maroc, les facultés de médecine et de pharmacie sont peu nombreuses et le nombre de places est de ce fait fort limité », rappelle Tazi.
La Roumanie et l’Ukraine dans le sillage de la Russie
Parmi ces pays de l’ex-URSS, la Russie accueille de très nombreux jeunes marocains notamment intéressés par des études en médecine et pharmacie. D’ailleurs, la Russie s’est positionnée comme un pays d’accueil d’étudiants étrangers. Avec 250.658 étudiants étrangers sur son sol en 2017, la Russie s’est classée au 6ème rang des pays d’accueil des étudiants internationaux. Et plus de 50% des étudiants internationaux reçus par la Russie proviennent de la communauté des États indépendants avec lesquels elle entretient des liens historiques et des affinités linguistiques. Et comme tous les pays qui ont adopté une politique favorisant l’arrivée sur leur sol d’étudiants étrangers, ceux-ci sont pour la Russie une source appréciable de revenus et une façon de faire face à l’inquiétant recul démographique.
Et sur le plan attractivité, les universités russes sont extrêmement bon marché ; il est en effet possible de s’inscrire pour 2.000 à 3.000 dollars américains dans une faculté de médecine ou de pharmacie et sans que les frais de scolarité annuels n’excèdent 5.000 à 6.000 dollars. « Ce sont aussi ces prix abordables qui attirent les marocains en Ukraine, ceux de scolarité n’excédant pas 4.000 à 5.000 dollars US/an dans les formations médicales ainsi que le coût du logement et de subsistance qui demeurent particulièrement bas. L’Ukraine offre aussi un grand choix de filières proposé par 350 établissements d’enseignement supérieur, et de grandes facilités pour accéder aux facultés de médecine et de pharmacie », explique Mohamed Tazi.
Mais malgré tous ces efforts, les universités russes n’ont toujours pas le prestige et la place qu’occupent les universités américaines, britanniques, françaises, australiennes ou canadiennes. « Le manque de moyens les rend moins compétitives et ce n’est d’ailleurs pas étonnant de ne pas voir les universités russes figurer dans les top 100 des classements mondiaux », fait remarquer Mohamed Tazi. La Roumanie est un autre de ces pays du l’ancien bloc soviétique qui accueille de plus en plus de marocains qui s’inscrivent essentiellement en médecine, pharmacie ou génie civil. La Roumanie compte une centaine d’établissements d’enseignement supérieur dont presque la moitié relève du secteur privé. Et les Marocains, comme les autres étrangers doivent, s’acquitter de frais de scolarité annuels de 6.000 euros voire un peu plus. Mais « le coût de la vie y demeure abordable. Le logement et la nourriture sont peu chers. Et la Roumanie fournit beaucoup d’efforts pour rendre sa destination attractive pour les étudiants étrangers. Et elle a tout intérêt de le faire », décrit Mohamed Tazi.
Une « immigration » parade à la baisse de la population
L’intérêt ? C’est que la Roumaine, tout comme plusieurs pays occidentaux et plus spécifiquement les pays de l’Europe de l’Est, connait une forte baisse de sa population sous l’effet conjugué de la chute de la fécondité et d’une émigration importante. Le nombre d’étudiants roumains inscrits dans l’enseignement supérieur a baissé de 36% entre 2006 et 2016. Pourtant, la qualité des formations dispensées par les établissements d’enseignement supérieur roumains est largement reconnue notamment en médecine ; ce qui explique l’augmentation importante des étudiants en provenance de pays d’Europe de l’Ouest, notamment de France et d’Allemagne. Cependant, cette qualité de formation n’est pas homogène. La Russie et la Roumanie subissent la concurrence d’un autre pays de la zone, l’Ukraine qui en accueille de plus en plus. En effet, en 2019, l’Ukraine est le premier pays de l’Europe de l’Est à accueillir les étudiants marocains. Leur nombre est estimé à 8000 étudiants alors qu’il est de 1350 en Roumanie. En Ukraine aussi, les carrières médicales sont les filières qui attirent les étudiants marocains. Nombre de pharmaciens y sont formés.
Tableau : Pharmaciens marocains selon les principaux pays d’obtention de diplôme
Pays | 2001 | 2012 |
Maroc | 797 | 1.382 |
France | 1.821 | 1.843 |
Belgique | 512 | 346 |
Espagne | 341 | 1.278 |
ex-URSS / Russie | 1.593 | 3.917 |
Ukraine | 270 | 346 |
Roumanie | 228 | 691 |
Sénégal | 180 | 230 |
Algérie | 176 | 220 |
Tunisie | 341 | 461 |
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Des diplômes pas toujours reconnus
Au total, 4952 pharmaciens sur les 11520 exerçant au Maroc en 2012 ont été formés dans les pays de l’Est, soit 43%. Pour autant, la vie dans ces pays n’est pas facile pour les étrangers. Les difficultés des étudiants marocains sont nombreuses dans les pays de l’Est. « Les étudiants étrangers le savent, la Russie n’est pas une terre d’accueil. Les conditions de vie sont particulièrement difficiles. La bureaucratie héritée de l’époque soviétique est omniprésente, et la sécurité est quasi inexistante. En Ukraine, comme en Roumanie, la presse rapporte souvent des cas d’escroqueries par les intermédiaires locaux, d’agressions, de racisme, de vols, … », explique le DG de Archimède Consulting. À ces problèmes, s’ajoute celui de la valorisation des diplômes obtenus dans ces pays. S’ils sont reconnus par l’Etat, ils sont parfois regardés avec méfiance par le public. Les rumeurs véhiculées sur la falsification et l’achat des diplômes après l’effondrement de l’URSS n’ont pas manqué de délégitimer les diplômes de l’Est et de stigmatiser leurs détenteurs. « Ces risques et ces contraintes rendent le départ des étudiants marocains pour étudier dans ces pays comme une aventure et une prise de risque importante. Certains parents préfèrent ne pas encourager leurs enfants à opter pour le choix de ces pays. D’autres possibilités pourraient s’avérer possibles », conclut Tazi.
(1) La formation des étudiants marocains dans les pays de l’Est de L’Europe