Mobilité internationale des étudiants marocains (3/5) : l’Allemagne et l’Espagne en force
La mobilité internationale des étudiants a progressé de manière notable dans le monde et cette tendance ne fera que s’accentuer. Leur nombre devrait dépasser les 10 millions d’étudiants en 2030. Les jeunes étudiants marocains ne lorgnent plus uniquement la France, mais diversifient leur horizon, notamment vers l’Allemagne et l’Espagne.
Si la France reste la destination privilégiée des étudiants marocains à l’étranger, d’autres pays depuis quelques années commencent à émerger comme de sérieuses alternatives. Parmi ceux-ci, l’Allemagne et l’Espagne qui font feu de tout bois pour se positionner sur ce créneau des étudiants étrangers. En dehors des flux financiers que la présence de cette population draine vers ces pays, celle-ci représente pour certains pays un rajeunissement de la démographie, dans des pays où la population en plein vieillissement. L’Allemagne, dont les produits ont gagné dans le monde le label de qualité, fait partie de ces populations vieillissantes de l’Europe. Mais ce qui attire en premier les étudiants, ce sont ses filières scientifiques, réputées former des cadres pointus.
L’Allemagne pour les filières scientifiques
Avec 258.873 étudiants reçus en 2017, l’Allemagne est devenue un pays très attractif pour les étudiants internationaux. Elle en accueille de divers horizons, notamment de l’Orient. « Les Chinois comptent la plus forte communauté d’étudiants étrangers avec 11% du total. Les indiens suivent avec 5% d’étudiants », indique Mohamed Tazi, Directeur Général de Archimède Consulting. Nombre de ces étudiants viennent également d’autres pays de l’Europe à qui la proximité géographique et culturelle facilite le choix.
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« Quant au Maroc, renchérit Mohamed Tazi, le nombre d’étudiants en provenance de ce pays est en forte progression. Ils seraient aujourd’hui environ 8.000 à s’être inscrits dans les établissements allemands. Et leurs choix dans ce pays se portent sur les écoles d’ingénieurs et sur les filières scientifiques, telles que la biologie, la chimie, la physique, la médecine, etc. ».
L’un des atouts du pays d’Angela Merkel qui a réussi à attirer l’attention et la considération pour cette destination reste le nombre d’établissements disponibles dans l’enseignement supérieur. Le pays compte près de 430 établissements d’enseignement supérieur (universités, universités de sciences appliquées, écoles des beaux-arts, écoles supérieures de pédagogie ou d’administration publique) qui proposent un nombre très important de matières et de cursus. Couplé à un système d’enseignement supérieur performant, l’Allemagne réussit à grappiller des parts même si cette destination, pour les Marocains du moins, reste encore récente dans leurs choix. De plus, les diplômes délivrés par ces établissements font foi et sont reconnus dans le monde entier et ne souffrent aucun doute. Un argument supplémentaire qui ne laisse pas indifférent.
D’ailleurs, l’enseignement supérieur en Allemagne contribue de manière remarquable à la recherche. L’Allemagne est classée au 3ème rang mondial en matière de recherche et est le 2ème site de recherche dans le monde, après les Etats-Unis. Près de 10% des prix Nobel ont été attribués à des Allemands. Et 5 de leurs universités sont parmi les 100 premières du classement de Shanghai 2020.
Aussi, “la rigueur allemande“, marque de fabrique du pays, se ressent dans les cursus proposés par les universités allemandes où beaucoup d’importance est accordée à la pratique. « Les stages sont très courants dans la plupart des programmes et de nombreux cursus sont proposés en anglais. Les sciences et l’ingénierie sont particulièrement réputées auprès des étudiants internationaux », explique Mohamed Tazi.
Mais il n’y a pas que les filières et le système qui attire. « Un autre facteur d’attractivité internationale de l’Allemagne réside dans le coût très bas des études contrairement aux pays comme les Etats-Unis, le Royaume Uni, l’Australie ou même le Canada. Le coût de la vie est également plus supportable. Il coûte moins cher de vivre à Berlin qu’à Paris, Londres ou Barcelone. L’Etat allemand est par ailleurs réputé pour le fait de distribuer un nombre important de bourses aux étudiants étrangers ; ce qui favorise le choix de l’Allemagne aux dépens d’autres destinations », détaille le directeur général d’Archimède Consulting.
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Par ailleurs, le secteur industriel toujours aussi performant et compétitif fait de l’Allemagne la première puissance exportatrice en Europe. Sans oublier une économie plutôt stable, avec l’un des meilleurs taux de chômage de l’Europe (niveau très bas), et de nombreuses opportunités d’emploi pour les diplômés. C’est autant de facteurs qui aujourd’hui constituent le package attractif de l’Allemagne.
En dehors de l’Allemagne, un autre pays de l’Europe de l’Ouest fait des efforts pour accueillir les étudiants étrangers, et la manne financière qu’ils trainent dans leur sillage. Il s’agit du voisin immédiat du Maroc au nord de la méditerranée, l’Espagne.
L’Espagne monte en force
« Le nombre d’étudiants marocains en Espagne a beaucoup régressé entre 2012 et 2017, de 3.209 étudiants à 1.700 étudiants, soit une baisse de 47%. Cette baisse s’explique notamment par les restrictions budgétaires qui sont le fait de l’État », rappelle Mohamed Tazi. Cependant, rajoute-t-il, « le nombre a rebondi à 5.000 à la rentrée 2019-2020. Une remontée spectaculaire certainement due aux efforts ces dernières années des autorités espagnoles afin de rendre ses universités plus attractives, afin d’attirer davantage d’étudiants internationaux dont les étudiants marocains. Cette embellie va- t-elle se poursuivre ? »
En réalité, l’Espagne n’attire pas beaucoup les jeunes étudiants marocains. « Il y a certes les liens historiques et la proximité géographique mais cela ne suffit pas pour attirer de jeunes marocains désireux de suivre une formation de qualité et obtenir des diplômes reconnus internationalement », explique Mohamed Tazi. La langue reste un obstacle, la formation et les diplômes espagnols n’ont pas la réputation et le prestige des diplômes allemands, français, anglais ou américains. L’Espagne n’est d’ailleurs pas un champion de la mobilité internationale entrante.
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Le pays a à peine accueilli 64.447 étudiants étrangers en 2017 et s’est classée 18ème dans le monde derrière l’Arabie Saoudite, l’Autriche et la Corée du sud. La croissance des effectifs des étudiants étrangers de 2012-à 2017 a été à peine de 16%. « Plus de la moitié des étudiants étrangers reçus sur son sol sont originaires d’Amérique latine hispanophones. Parmi les facteurs d’attractivité auprès des jeunes péruviens, équatoriens, colombiens, …, on peut citer le partage des liens historiques et d’une langue commune, les bourses espagnoles, et la présence d’importantes diasporas de ces pays en Espagne », détaille Tazi.
Mais le pays a pris conscience de son retard par rapport à ses voisins européens et récemment a mis en place une stratégie d’internationalisation de son enseignement supérieur. L’Espagne compte 84 universités dont 50 publiques, 34 privées et 6 universités qui proposent des enseignements à distance. « Aucune de ces universités ne figure parmi les 100 premières du classement de Shanghai de 2020. L’université de Barcelone figure parmi les 200 premières, et l’Espagne classe 4 autres universités entre les 201 et 300 premières dans le monde », souligne Mohamed Tazi. Cette stratégie qui a apporté une amélioration de son système d’enseignement a permis à l’Espagne à devenir le premier pays européen à attirer les étudiants dans le cadre du programme Erasmus. Elle en a accueilli 49.692 en 2017 contre 36.693 en Allemagne, 31.396 au Royaume Uni et 28.476 en France (1).
Les bourses constituent un autre facteur d’attractivité de l’Espagne. Le pays en octroie beaucoup dont ont bénéficié aussi récemment plusieurs étudiants marocains. Outre ces efforts, « la reprise des départs de jeunes marocains pour étudier en Espagne s’explique aussi par l’agressivité commerciale dont ont fait preuve les universités espagnoles qui ont organisé de manière régulière depuis 2018 leur forum dans plusieurs villes marocaines dans l’objectif de séduire le plus de jeunes marocains désireux de partir étudier à l’extérieur », explique Tazi.
Pour Malak Cherif Kanouni, étudiante en Médecine dentaire à l’Université internationale de Catalogne Privée, « la qualité de vie pour les étudiants dans toutes les villes est très bonne. Et il y a beaucoup d’étudiants. La plus grande difficulté est de devoir refaire la carte de séjour chaque année; les formalités sont longues et prennent beaucoup de temps car la prise de rendez-vous est difficile ». De son côté, Omar Jinino, étudiant en ingénierie informatique à Universidad de Huelva, estime que « selon mon expérience, les études en Espagne sont exigeantes et de bonne qualité surtout en ingénierie industrielle et ses différentes spécialités. J’ai des amis également en architecture et en informatique. Je conseille aux étudiants qui souhaitent étudier en Espagne de fournir beaucoup d’efforts surtout la première année à cause du système d’enseignement qui est nouveau pour nous, et des difficultés liées à la langue et à un mode de vie auquel nous ne sommes pas habitués ».
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Au Maroc, l’Espagne dispose de 10 établissements d’enseignement primaire et secondaire qui permettent l’obtention du baccalauréat espagnol. « Plus de 60% de ces diplômés de l’enseignement secondaire se dirigent vers l’Espagne. L’apprentissage de la langue espagnole connait aussi un grand succès. Il existe en effet de nombreux centres culturels espagnols au Maroc qui permettent notamment d’apprendre la langue espagnole », indique Tazi.
En accroissant sa présence et son attractivité auprès de plusieurs pays, dont le Maroc, l’Espagne pourrait devenir une bonne alternative aux études dans les pays tels que l’Ukraine, la Russie et la Roumanie réputés très risqués et dont les diplômes pourraient encore poser le problème de leur reconnaissance aussi bien au Maroc qu’à l’international. « En 2012, sur 11.520 pharmaciens marocains, 1.278 avaient été formés en Espagne. Les jeunes marocains pourraient être tentés de se diriger davantage vers l’Espagne pour faire leurs études de médecine, pharmacie, médecine dentaire qui sont d’ailleurs réputées être des formations de bonne qualité », estime Mohamed Tazi. Si les études médicales ont la cote, les marocains s’inscrivent également en Espagne pour faire des études d’ingénierie, d’économie et de gestion. Leur choix se porte souvent sur les villes andalouses, plus proches et peu coûteuses. « La Catalogne arrive en 2èmeposition. L’excellente réputation des universités catalanes n’est pas étrangère à ce choix. Madrid et sa région arrivent en 3ème position. Barcelone et Madrid sont certes chères mais elles attirent grâce à un environnement favorable aux études notamment pour les étudiants en gestion, arts et architecture », conclut le directeur général de Archimède Consulting. Le pays joue des conditions de sécurité, de sa situation géographique à quelques kilomètres de nos côtes et que les marocains connaissent bien, parce qu’ils sont habitués à s’y rendre pour leurs vacances d’été. Une proximité que l’Espagne veut visiblement transformer en vache à lait …
(1) chiffres de la commission Européenne, janvier 2020