Mohamed Benchaâboun : Soutenir la consommation et l’investissement [Interview]
Aux manettes du Projet de loi de finances rectificative (PLFR), Mohamed Benchaâboun,ministre de l’Economie, des Finances et de la Réforme de l’Administration répond sans fioritures. L’impact est grave, l’Etat s’endette et s’endettera beaucoup plus, mais il faut absolument remettre la machine en marche. Les différents dispositifs visent une relance progressive.
Challenge : La crise sanitaire due au Covid-19, a pratiquement bouleversé les prévisions budgétaires contenues dans la Loi de Finances (LF) de l’année 2020. Quelles sont les nouvelles et principales hypothèses retenues dans le Projet de Loi de Finances Rectificative (PLFR) ?
Mohamed Benchaâboun : effectivement, la crise générée par la pandémie du Covid-19 qui était sanitaire à ses débuts, s’est rapidement développée en une crise mondiale de portée systémique aux impacts multidimensionnels et sans précédent. Les mesures de confinement adoptées à des degrés divers dans plusieurs pays du monde, y compris dans notre pays, afin de contrecarrer la propagation de cette pandémie, ont entraîné un arrêt brutal de l’activité économique provoquant des pertes importantes en termes de création de richesse et d’emploi. Tenant compte de ce contexte inédit, nous avons procédé à l’élaboration d’une Loi de Finances Rectificative qui soit en ligne avec ces évolutions. Dans ce sens, plusieurs scenarii ont été examinés et étudiés dans le but de quantifier les impacts macroéconomiques de cette crise, et d’identifier les mesures appropriées pour y faire face. Les options retenues ont pris en considération plusieurs dimensions liées à l’évolution de la demande étrangère adressée au Maroc, notamment, celle de nos principaux partenaires, mais aussi celle de la demande intérieure. La gestion du déconfinement et la vitesse de la reprise des secteurs économiques, qui pourrait s’étaler sur différents horizons temporels ont été également prises en compte.
Cette démarche a permis, tout en procédant à une révision de toutes les hypothèses fondamentales ayant servi à élaborer la Loi de Finances initiale 2020, aussi bien sur le plan national qu’international, à la clarification du scénario du redémarrage de l’activité économique et des différentes mesures qui pourraient l’accompagner, tant sur le plan économique que social.
Le scénario, ainsi retenu se fonde sur un cours moyen du gaz butane qui avoisinerait 290 dollars la tonne en 2020 et sur une parité euro/dollar de 1,11. Pour ce qui est de la demande mondiale adressée au Maroc (hors produits de phosphates et dérivés), elle reculerait de 20%, en lien avec l’arrêt de l’activité et les perturbations au niveau des chaines mondiales d’approvisionnement. Cette situation se traduirait par une baisse significative des exportations des biens et services. Quant à la production céréalière, elle est estimée à 30 millions de quintaux au titre de la campagne agricole 2019-2020. Sur la base de ces hypothèses, le Projet de Loi de Finances Rectificative pour l’année 2020 prévoit une contraction de 5% de l’économie nationale et un déficit budgétaire qui pourrait s’établir à 7,5% du PIB.
Challenge : depuis le début de la crise, beaucoup de mesures ont été prises en faveur des entreprises dans le cadre du CVE. Quel bilan faites-vous de cet accompagnement ?
Comme je l’ai souvent souligné, l’intervention de notre pays pour faire face aux effets économiques et sociaux induits par la crise du Covid-19, a été extrêmement rapide et nous avons actionné toutes les mesures nécessaires pour contrecarrer les effets de la crise dans leurs dimensions sanitaires et socio-économiques. Le benchmarking que nous avons réalisé sur les réponses déployées à l’échelle internationale, nous a permis de relever que l’action de notre pays s’inscrit en ligne avec celles de la plupart des pays développés et émergents. L’accompagnement des entreprises impactées par les répercussions de la crise sanitaire n’a pas tardé, en décidant au niveau du Comité de Veille Economique (CVE) d’une multiplicité de mesures concernant plusieurs dimensions de l’entrepreneuriat. D’abord, il a été décidé de recourir à l’allègement de plusieurs charges de fonctionnement qui pèsent sur la trésorerie des entreprises:
–charges salariales avec une indemnité pour les employés affiliés à la CNSS
–charges sociales suspendues au titre de la période allant du 1er mars au 30 juin 2020, avec le maintien des prestations relatives à l’AMO et des allocations familiales
–charges financières avec des reports des échéances de crédits bancaires
–charges fiscales avec le report des échéances pour les personnes morales et les personnes physiques
Ensuite, et afin de financer le besoin en fonds de roulement des entreprises et alimenter leurs trésoreries, le dispositif de financement « DAMANE OXYGENE » a été mis en place puis ajusté par la suite, pour répondre aux besoins des entreprises. Et là, je saisis l’occasion pour rendre hommage au travail engagé par les membres du GPBM et les remercier pour l’appui qu’ils ne cessent d’apporter à l’ensemble de nos actions. Dans le même sillage, des efforts ont été déployés afin d’appuyer les entreprises titulaires des marchés publics, en procédant à l’instauration de mécanismes à même d’accélérer leur paiement par les EEP ( Les Etablissements et Entreprises Publics ) et de leur éviter de supporter des pénalités pour des retards d’exécution causées par la crise et qui ne leur sont pas imputables.
Par ailleurs, dans l’objectif d’assouplir le fonctionnement des entreprises dans le contexte de crise sanitaire, plusieurs actions ont été adoptées portant sur la simplification de certaines procédures liées à la gestion des activités des organes de gouvernance des Sociétés Anonymes et aux modalités de tenue de leurs Assemblées générales, au cours de la période de l’Etat d’Urgence sanitaire… à date d’aujourd’hui, on ne peut qu’être très satisfait du bilan de notre action commune engagée lors de cette première phase et qui a permis de préserver le pouvoir d’achat des citoyens et d’appuyer la résilience de notre tissu d’entreprises.
Challenge : comment comptez-vous accompagner également les entreprises nationales affectées par la crise, en vue de leur permettre de reprendre progressivement leurs activités cette fois-ci via le PLRF ?
Le PLFR en cours d’adoption, a érigé l’accompagnement de la reprise progressive de l’activité économique comme axe prioritaire. Cet accompagnement concerne les entreprises nationales publiques et privées, et en vue de les aider à réussir leur démarrage, vise à leur apporter des solutions adaptées à leurs besoins en financement. Il est, ainsi, prévu dans ce sens, de procéder au renforcement du dispositif de garantie du financement des entreprises (de toutes catégories et toutes tailles- de la TPE aux Grandes Entreprises-) couvrant leurs besoins des Fonds de roulement, au cours du second semestre de 2020, avec des garanties de l’Etat qui varient entre 80% à 95% et dont le remboursement est étalé sur 7 ans avec 2 ans de délai de grâce pour un taux d’intérêt de 3,5%. Ce dispositif de garantie est constitué de deux produits phares « Relance TPE » et « Damane Relance » et bénéficierait d’une enveloppe budgétaire de 5 milliards de DH émanant du Fonds Covid-19. Un nouveau mécanisme est programmé pour l’accélération du paiement des dettes / créances des TPME auprès de certains Etablissements et Entreprises Publics impactés par la pandémie. Ce crédit bénéficie de 100% de la garantie de l’Etat et s’aligne sur les mêmes durées de remboursement que celles octroyées aux entreprises privées. De même, l’ensemble des offres d’appui aux TMPE et aux jeunes entrepreneurs déjà mises en place sont maintenues et même appelées à être renforcées. Il s’agit là, principalement du programme « Intelaka » qui a été lancé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI en février dernier.
Je souhaiterais également préciser que la promotion du contenu local, particulièrement, au niveau de la commande publique (Budget Général de l’Etat, EEP, et Collectivités Territoriales) constitue une des mesures phares programmées pour appuyer le redémarrage du tissu entrepreneurial national et renforcer sa reprise. Le PLFR 2020 vise également, le renforcement de l’environnement et de la pratique des affaires dans notre pays et ce, à travers la simplification des procédures administratives et le renforcement du recours à la digitalisation de l’administration.
Challenge : des mesures sectorielles vont renforcer la mise en place des mécanismes de garantie pour financer les prêts au profit des entreprises. En contrepartie, les entreprises bénéficiaires sont tenues de préserver les postes d’emploi, de réduire les délais de paiement à un niveau de 50% des prêts accordés. Avez-vous eu un retour de la part des entreprises par rapport à ces mesures assujetties à des conditions ?
Tout d’abord, je tiens à rappeler que dans le contexte actuel animé par l’engagement et l’ambition de toutes les parties prenantes pour asseoir les bases d’une reprise progressive et réussie des activités économiques, deux leviers vitaux devraient être actionnés, en l’occurrence, la réduction des délais de paiement entre entreprises et la préservation de l’emploi.Ces deux leviers ont, effectivement, fait l’objet, dans le cadre des réunions du CVE, d’analyse et examen en concertation avec les représentants des opérateurs économiques afin d’identifier les voies à emprunter dans le sens de leur opérationnalisation et de leur activation. Ce processus a abouti à la mise en place de mécanismes de garantie pour l’accompagnement des entreprises (quelles que soient leur taille et leur activité), dans leur redémarrage et le maintien d’appuis couverts par le Fonds Covid-19, jusqu’à la fin de l’année 2020, aux salariés et entreprises exerçant dans les secteurs fortement impactés par la crise. Ces mécanismes sont, désormais, déclinés dans la Loi de Finances Rectificative au titre de l’année 2020, tout en conditionnant l’éligibilité des entreprises à cet appui par l’allocation de 50% des montants des crédits garantis au règlement des fournisseurs et par la préservation d’au moins 80% de leurs employés déclarés à la CNSS, ainsi que la régularisation rapide de la situation des employés non déclarés. A cet égard, je tiens à vous informer que depuis l’opérationnalisation des crédits de garantie «Relance TPE » et « Damane Relance », le 15 juin 2020 à aujourd’hui, une forte demande est constatée et cette tendance ne cesse de progresser. L’adhésion à ces mécanismes de financement est sans conteste.
Challenge : il a beaucoup été question de préférence nationale et du consommer marocain. Qu’avez-vous prévu pour encourager tout cela ?
Une attention particulière sera accordée à l’opérationnalisation de la préférence nationale pour les entreprises publiques nationales et les produits d’origine marocaine. A cet effet, tout en veillant au strict respect des engagements pris par le Maroc dans le cadre des accords d’association et de libre-échange, et dans la limite de ce que permettent ces engagements, il sera procédé à l’opérationnalisation des dispositions de l’article 155 du décret n°2-12-349 du 20 mars 2013 relatif aux marchés publics. Ces dispositions exigent des maîtres d’ouvrages, de prévoir au niveau des règlements de consultation relatifs aux procédures de passation des marchés de travaux et des études y afférentes, que les montants des offres présentées par les entreprises étrangères sont majorés d’un pourcentage ne dépassant pas 15% aux fins de comparaison de ces offres. Les maîtres d’ouvrages seront également tenus de faire référence, de manière explicite, dans les clauses, spécifications et cahiers des charges des marchés passés par l’Etat, les Collectivités Territoriales et les Etablissements et Entreprises Publics à :
–L’application des normes marocaines ou d’autres normes applicables au Maroc en vertu des accords internationaux;
–La limitation du recours aux produits importés au cas où il n’existe pas de produit local répondant aux spécifications techniques demandées, en exigeant des entreprises titulaires des marchés de justifier la provenance des matériaux et produits par tous documents probants dont notamment les factures, les bons de livraison et les certificats d’origine.
Les maîtres d’ouvrages seront également tenus de présenter toutes les justifications nécessaires en cas de recours à des produits importés dans le cadre des marchés qu’ils envisagent de conclure. Dans le cas où le montant desdits marchés dépasse 30 millions de DH, la conclusion de ces marchés reste tributaire de l’accord préalable d’une commission présidée par le Ministère de l’Economie, des Finances et de la Réforme de l’Administration. Dans le même sillage, et dans le but d’encourager la production locale, il est proposé, dans le cadre du Projet de Loi de Finances Rectificative pour l’année 2020, d’augmenter les droits d’importation applicables à certains produits finis de consommation de 30% à 40%, et ce, dans la limite des taux consolidés par le Maroc au niveau de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
Challenge : 15 milliards de DH seront ajoutés au budget des investissements budgétaires, qui va atteindre 86 milliards de DH. Comment cette manne va-t-elle accélérer la reprise de la dynamique économique ?
Comme vous le savez, l’investissement en général, qu’il soit public ou privé, est appelé à jouer un rôle de levier important pour la reprise de l’activité économique. Dans ce cadre, le Projet de Loi de Finances Rectificative, a mis l’accent sur la consolidation et le renforcement de l’investissement de l’Etat en dégageant les marges nécessaires à travers la maîtrise des dépenses de fonctionnement et le réaménagement des priorités au niveau des dépenses d’investissement initialement programmées au niveau de la LF 2020. L’objectif ultime, étant l’accompagnement de la reprise progressive de l’activité économique. Pour atteindre cet objectif, une enveloppe de 15 milliards de dirhams sera dédiée à la promotion de l’investissement public pour atteindre 86 milliards de DH et porter, ainsi, l’effort d’investissement global du secteur public, tous supports inclus, à 182 milliards de DH. Cette manne budgétaire devrait servir, dans le cadre de conventions sectorielles, de mettre en œuvre des mesures tenant compte des spécificités de chaque secteur pour les aider à reprendre leur dynamique d’avant crise. En outre, une enveloppe de 5 milliards de dirhams sera consacrée à la mise en œuvre des mécanismes de garantie au profit de tous les segments d’entreprises, y compris les entreprises publiques avec des conditions avantageuses et souples.
La priorité en matière d’investissement public, sera accordée à la consolidation des projets en cours de réalisation, notamment ceux ayant fait l’objet de conventions signées devant Sa Majesté Le Roi et ceux bénéficiant de financements extérieurs, tout en privilégiant, bien entendu, les projets réalisables par des entreprises marocaines et utilisant des matériaux locaux. A noter également que le choix des investissements se fera, prioritairement, en fonction de l’impact sur l’emploi local, et sur le principe de préférence nationale. Le partenariat public privé (PPP) sera privilégié pour les projets d’investissement dans les nouveaux secteurs stratégiques, comme la santé, l’éducation, la recherche scientifique, l’énergie verte et le digital.
Challenge : outre l’investissement, la relance économique devra passer impérativement par la consommation des ménages. Qu’avez-vous prévu pour booster la demande intérieure ?
Effectivement, la relance économique souhaitée devrait être axée sur un appui à la consommation et un maintien d’un rythme soutenu de l’investissement public, étant donné leur effet multiplicateur sur la croissance économique. D’ailleurs, les premières mesures prises par le CVE ont acté ce choix en priorisant la préservation de l’emploi, le soutien du pouvoir d’achat des citoyens et l’appui du tissu productif en difficulté. Le PLFR 2020, vient confirmer cette orientation en adoptant plusieurs mesures pour promouvoir à la fois l’investissement et consolider la consommation.
En matière d’investissement, le PLFR prévoit le maintien de l’effort d’investissement global du secteur public, tous supports inclus, à 182 milliards de DH avec un ciblage des priorités stratégiques. Il prévoit, également, l’accompagnement des entreprises durant cette phase de reprise à travers la mise en place d’un dispositif de garantie de financement des entreprises et l’opérationnalisation des mécanismes de préférence nationale avec un support fort au «consommer marocain» incluant marketing et promotion, puis accompagnement administratif et fiscal.
Pour ce qui est du soutien du pouvoir d’achat des ménages, des mesures en faveur de ceux impactés par la crise sanitaire ont été prises dès l’avènement de la crise. Il s’agit du soutien financier direct, en deux versements, à 5,5 millions de ménages vulnérables opérant dans le secteur informel. Un troisième versement est en cours de déploiement. Il s’agit également d’un appui financier à environ 950.000 salariés du secteur privé affiliés à la CNSS en arrêt partiel d’activité de la mi-mars jusqu’à fin juin. De même, il a été procédé au report des échéances des crédits bancaires immobiliers et à la consommation en faveur des ménages mis en difficultés par la crise, avec la prise en charge de l’intégralité des intérêts intercalaires, générés par ce report. Cette mesure est valable pour les personnes ayant des échéances mensuelles de crédit allant jusqu’à 3.000 DH pour les crédits logement et 1.500 dirhams pour les crédits de consommation, y compris ceux contractés auprès des autres sociétés de financement.
En parallèle, d’autres mesures ont été activées pour contrecarrer les effets de la sécheresse sur les revenus des agriculteurs, notamment le déploiement du plan d’urgence anti-sécheresse visant, entre autres, le retraitement de l’endettement des agriculteurs pour leurs échéances à venir. Toujours en appui au pouvoir d’achat des ménages, le PLFR prolonge le maintien du soutien apporté à partir du « Fonds spécial pour la gestion de la pandémie du Coronavirus – Le Covid-19 », jusqu’à la fin de l’année et ce, pour certains secteurs économiques qui demeureront en difficulté même après la levée progressive du confinement. Le PLFR propose aussi, une réduction des droits d’enregistrement applicables aux acquisitions de biens immeubles à usage d’habitation, en vue d’accompagner des secteurs affectés par la pandémie du Coronavirus et d’appuyer la demande des entreprises et des ménages en matière d’acquisition de biens immeubles. Un amendement a élargi le champ de cette réduction aux actes d’acquisition de terrains nus destinés à la construction de logements ou de locaux construits destinés à usage d’habitation
Je tiens à signaler que toutes ces mesures s’opèrent dans un contexte de faibles pressions inflationnistes émanant de la demande et des cours bas des matières premières, particulièrement les produits énergétiques.
Challenge : d’après le PLFR, les nouvelles prévisions en recettes fiscales sont inférieures de 18,58% par rapport à celles initialement prévues dans la LF 2020. Pouvez-vous préciser les principaux impôts et les principaux secteurs économiques affectés et qui sont à l’origine de cette baisse ?
Les hypothèses sur lesquelles a été construite la révision des recettes prévisionnelles initiales de la Loi de Finances 2020, reposent sur des éléments factuels à savoir, la contre-performance des secteurs d’activité les plus impactés par la crise de la pandémie du « COVID-19 » et la baisse parallèle des recettes du contrôle fiscal due aux difficultés financières des entreprises. Les effets récessifs de la pandémie ont durement affecté les secteurs du tourisme, du transport et du BTP. Le secteur du commerce quant à lui a été impacté dans une moindre mesure.
Les impôts ayant enregistré une baisse, au titre de la période du confinement concernent particulièrement ceux dont les recettes sont directement corrélées à l’importance de l’activité ou aux opérations immobilières réalisées par les particuliers :
-TVA : -19,6% ;
-Droit d’enregistrement : -64,3% ;
-IS/Produits des actions et des parts sociales : 44,4%.
-Droit de timbre : -77,8%.
-IR/Salaires : -7,8% ;
-IR/Profit immobilier : -77,7%.
Challenge : certains secteurs n’ont pas été affectés par la crise sanitaire, voire en ont profité. C’est notamment le cas des assurances, de la parapharmacie, du médicament, des communications et de l’industrie des produits sanitaires. Les recettes fiscales provenant de ces secteurs, ont-elles été évaluées, et ne vont-elles pas compenser les pertes au niveau des autres secteurs économiques durement affectés ?
Tout d’abord, il faut souligner que l’impact en matière d’IS qui résulterait des bonnes performances réalisées par certains secteurs, n’apparaitra qu’en 2021 lors de l’arrêté des comptes et la liquidation du complément éventuel de l’impôt, ainsi que le paiement des acomptes provisionnels. Par contre, l’effet négatif sur les impôts dus par les secteurs impactés, se fera sentir dès cette année à travers les demandes de dispenses de versement du 2ème, 3ème ou 4ème acompte. S’agissant de l’effet compensatoire des recettes accusant une baisse par les recettes excédentaires, il a été relevé que les recettes globales font ressortir une baisse manifestement importante. Le cas de la TVA illustre bien ce constat. En effet, les recettes réalisées au titre de la période de confinement ont enregistré une diminution de 19,6% soit -1 802 millions de DH.
Challenge : au niveau des dépenses, dans le PLFR, le ministère de l’Education nationale, de la formation professionnelle, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique va connaître une baisse globale de plus de 15 milliards de DH dont plus de 12 milliards de DH en dépenses d’investissements. Comment expliquez-vous cette baisse, au moment où de nombreuses voix s’élèvent pour accorder une priorité à ce secteur stratégique et pour pouvoir réhabiliter l’école publique ?
Concernant le département de l’Education nationale, il y a lieu de souligner qu’aucun projet prêt pour la réalisation n’a fait objet d’annulation. A cet égard, la reprogrammation des dépenses d’investissement, menée de concert avec ce département, a donné lieu à une réduction de ses dépenses d’environ 877 millions de DH, intéressant d’une part, les projets accusant un retard dans les études techniques et l’apurement du foncier, et d’autres part, certains crédits programmés en tant que contribution aux Comptes Spéciaux de Trésor disposant, désormais, des disponibilités suffisantes pour la réalisation des projets programmés. A ce titre, les crédits d’investissements programmés dans le cadre du projet de Loi de Finances Rectificative pour l’année 2020, s’élèvent à 4,68 milliards de DH en crédits de paiement, en plus de 3 milliards de DH en crédits d’engagement. Ces dotations budgétaires permettront de poursuivre les efforts déployés visant l’amélioration de l’offre scolaire, dans le cadre du programme de la généralisation de l’enseignement préscolaire et la construction de nouveaux établissements scolaires, notamment les écoles communales ainsi que la mise à niveau des établissements scolaires existants. Ces mesures contribueront, à l’instar des deux années précédentes, à renforcer l’offre scolaire avec plus de 100 établissements scolaires lors de la rentrée scolaire 2020-2021.
Pareillement, il a été proposé par le département de l’Enseignement supérieur de réduire son budget d’investissement d’environ 300 millions de DH, eu égard du retard enregistré au niveau du lancement des travaux afférents à certains nouveaux projets programmés au titre du Projet de Loi de Finances de l’année 2020. Il importe de souligner à ce propos, le maintien de la programmation des crédits relatifs aux études techniques et géotechniques liées auxdits projets au titre des budgets des universités au titre de l’exercice 2020. Les crédits d’investissements programmés dans le cadre du Projet de Loi de Finances Rectificative pour l’année 2020 au profit du département de l’Enseignement supérieur, s’élèvent à 1,06 milliard de DH en crédits de paiement et 875 millions de DH en crédits d’engagement.
Ces crédits permettront au département d’honorer ses engagements, notamment ceux découlant des projets faisant objet de conventions signées devant Sa Majesté Le Roi, et qui consistent en six projets d’établissements universitaires au niveau des villes d’Al Hoceima, Ksar El Kébir, Tétouan, Kénitra, en plus de l’achèvement des travaux de trois facultés de Médecine et de Pharmacie au niveau des villes de Tanger, Agadir et Laâyoune, s’inscrivant parmi les projets intégrés destinés à améliorer l’offre de santé au niveau de ces régions.
Challenge : les recettes d’emprunt à moyen et long terme vont passer globalement de 97,2 milliards de DH à 136,2 milliards de DH, ce qui implique une aggravation de l’endettement public. Est-ce l’unique solution pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire ?
Au vu du contexte exceptionnel marqué par la pandémie Covid-19 et la sécheresse, les finances de l’Etat pour 2020 ne devraient pas manquer de subir des répercussions négatives découlant de ces deux facteurs. D’un côté, la baisse de l’activité économique, conjuguée au confinement sanitaire et au coût des mesures prises en faveur de certains secteurs exposés, devrait se traduire par une baisse drastique des recettes fiscales, estimée à 40 milliards de DH. D’un autre côté, les dépenses devraient connaitre une augmentation en raison des efforts déployés pour atténuer les effets de cette crise et pour assurer le financement du plan d’appui à la relance de l’économie nationale et ce, malgré les opérations de redéploiements de certaines catégories de dépenses vers les nouveaux besoins découlant de la crise et l’importance des ressources mobilisées dans le cadre du Fonds spécial de gestion de la pandémie du Covid-19.
Ainsi, et face à l’ampleur de la crise et de ses impacts sur l’économie du pays et à l’urgence de doter l’Etat des moyens nécessaires pour qu’il puisse honorer l’ensemble de ses engagements et de surcroit, accompagner la relance économique, le seul choix qui s’imposait a été, à l’instar de ce qu’a fait la majorité des pays dans le monde, le recours à l’endettement pour la couverture des besoins de financement additionnels, lesquels devraient s’élever à 82,4 MM.DH, en aggravation de près de 40 milliards de DH. Il faut dire aussi, que cet impact aurait été beaucoup plus important s’il n’y avait pas la décision clairvoyante de Sa Majesté le Roi pour la création du Fonds spécial COVID-19 au tout début de la crise, pour lutter contre les effets de la pandémie, ce qui a permis de prendre en charge les dépenses liées à la mise à niveau de l’infrastructure sanitaire, ainsi que les aides monétaires directes aux salariés et personnes touchés par la crise et d’alléger ainsi, la pression sur le budget de l’Etat dont la contribution à ce fonds a été limitée à 10 milliards de DH.
S’agissant de la répartition de ce recours au financement par l’endettement entre financement intérieur et financement extérieur, je rappelle que durant les dernières années, l’endettement intérieur a toujours été la principale source de financement de l’Etat qui arrivait ainsi à couvrir entre 80% et 90% du besoin de financement brut. Pour cette année et vu la spécificité du contexte, nous avons opté pour une augmentation de la contribution des financements extérieurs à la couverture du besoin de financement additionnel. Ainsi, nous avons décidé de doubler l’enveloppe des ressources extérieures mobilisables pour la porter à 61 milliards de DH, dépassant ainsi le plafond initial arrêté au niveau de la LF 2020 à 31 milliards DH. Deux considérations importantes expliquent ce choix :
-Premièrement, il y avait une nécessité de renforcer le niveau de nos avoirs extérieurs dans cette situation où notre balance des paiements est soumise à de rudes épreuves, suite à la baisse attendue des recettes en devises au titre des exportations, des voyages, des transferts des Marocains Résidents à l’Etranger et des Investissements Directs Etrangers. C’est dans ce cadre d’ailleurs, que s’inscrit la décision qui a été prise au mois d’avril dernier de décaisser la ligne de Précaution et de Liquidité (LPL) auprès du FMI, pour un montant de près de 3 milliards de dollars US, à la seule différence que cette ligne a été mise à la disposition de Bank Al-Maghrib, sous forme de dépôt, pour financer les besoins éventuels de la balance des paiements plutôt que de financer les besoins du Trésor.
-Deuxièmement, nous avons cherché à éviter un recours excessif aux ressources domestiques pour prévenir un éventuel effet d’éviction sur le secteur privé. En effet, compte tenu de l’épargne intérieure disponible, l’effort additionnel de financement proviendrait essentiellement du secteur bancaire alors qu’en cette période de crise, cet effort doit être davantage orienté vers le financement de l’économie plutôt que le financement du Trésor.
Ceci étant dit, le choix de recourir davantage aux ressources extérieures ne devrait pas compromettre notre niveau d’endettement extérieur, dans la mesure où la part de la dette extérieure dans notre portefeuille de la dette du Trésor restera limitée aux alentours de 25% à fin 2020 contre 21% à fin 2019. De plus, la majorité de ces financements extérieurs sont contractés auprès de bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux, avec des conditions de financement concessionnelles et nous allons bénéficier de la détente des taux d’intérêt constatée à l’international suite aux politiques accommodantes poursuivies par les principales banques centrales qui ont réduit leur taux directeur et injecté beaucoup de liquidités pour faire face aux effets de la pandémie.
Challenge : les Assises nationales sur la fiscalité de 2019, ont permis d’aboutir à des recommandations qui devraient alimenter un projet de loi cadre, en vue de programmer au cours des cinq prochaines années, des réformes fiscales. Ce projet est-il toujours maintenu ?
Effectivement, à l’issue des Assises nationales de la fiscalité, un projet de loi-cadre relatif à la réforme fiscale, a été élaboré exprimant la volonté et l’engagement collectif pour la réforme au vu des choix et des orientations issues des recommandations desdites Assises et les engagements internationaux de notre pays en matière de gouvernance fiscale. Ce projet de la loi cadre qui fixe les principes fondamentaux et les objectifs stratégiques de la réforme fiscale ainsi que la projection de cette réforme sur les années à venir, est finalisé et transmis au département compétent pour l’insérer très prochainement dans le circuit d’approbation.
[Cette interview a été réalisée avant l’adoption du PLFR 2020 ]