Mohamed Tazi : « Je suis persuadé que dans 10 ans, le nombre d’étudiants qui vont en France sera en baisse constante! »
Le taux de refus important des visas français au Maroc fragilise les relations franco-marocaines. Mais pas que. Il chamboule également cette diplomatie de l’éducation qui a fait de la France une destination de choix pour les étudiants marocains. Aujourd’hui, la tendance est autre. C’est le constat que Mohamed Tazi, Directeur Général du cabinet de conseil Archimede, partage dans cet entretien accordé à Challenge.
Challenge : Pouvez-vous nous décrire la démarche de candidature pour les différents pays ?
Mohamed Tazi : Partir à l’étranger n’est pas quelque chose de simple ou de facile. Il y a énormément de contraintes. Et parmi celles-ci, il y a le volet financier. Il faut que les parents ou les personnes qui prennent en charge ces études aient les moyens pour que leur enfant puisse le faire.
Les moyens financiers peuvent être un obstacle pour l’obtention du visa que ça soit d’ailleurs pour la France, l’Espagne, ou encore plus dans le cas du Canada. Il y a également des délais, par exemple pour Campus France, pour ceux qui veulent partir étudier dans les universités publiques. Ils doivent remplir leur dossier ou qu’ils fassent part de leurs vœux sur campus France et ce, dans des délais très limités et très précis. Pour le cas de l’Espagne, il y a des démarches très longues. S’agissant du Canada, cela prend également beaucoup de temps que ce soit pour les inscriptions dans les universités ou les collèges.
En ce qui concerne la démarche du Canada, nous le faisons en partenariat avec des avocats agréés et reconnus pour que les choses puissent se faire dans le respect de la législation canadienne.
Challenge : A combien estimez-vous les coûts financiers ?
M.T : Dans le cas de la France, pour accéder aux universités publiques, il faut entre 3000 et 4000 euros. Pour ce qui est des écoles de commerce, le minimum est de 7000 euros et peut aller jusqu’à 20000 euros. En Espagne par exemple, si un étudiant veut faire une formation en médecine dentaire dans une école privée, les coûts peuvent aller jusqu’à 22000 euros. Le public quant à lui est accessible, mais il faudra préparer la «selectividad” qui se fait sur une année. Au Canada déjà, il faut disposer de moyen financier important pour pouvoir présenter son dossier de visa. Ce qui se comprend, parce que les universités canadiennes sont chères. Il faut compter entre 18000 dollars à 20000 dollars par année.
Cependant, il y a une nouvelle loi qui entrera en vigueur en 2023, ce qui permettra aux étrangers d’étudier sur la base des mêmes coûts que les étudiants canadiens, à condition qu’ils s’inscrivent en dehors de Montréal et qu’ils s’inscrivent aussi dans un certain nombre de filières.
Challenge : On observe depuis un moment, une politique de visa assez corsée au niveau de la France, cela touche-t-il le monde étudiant ?
M.T : Cela perdure depuis deux années. Nous avons constaté un nombre important de refus de visas aux étudiants marocains qui souhaitent aller étudier en France. Je crois que cela n’est pas nouveau. Ça a commencé avec l’instauration des frais obligatoires d’inscriptions, dans les universités publiques pour les non européens. On s’attendait à une baisse significative des étudiants marocains qui vont en France. Il y a eu baisse, mais de façon très légère. Maintenant avec cette politique de refus de visas, il y’a une baisse relativement importante.
Cependant, on peut dire que les étudiants marocains s’adaptent. Cette année, nous avons remarqué qu’au niveau des élèves de la mission française, qui, au lieu de partir étudier en France, comme c’était la tradition, ont préféré s’adresser à nous pour pouvoir aller étudier au Canada. C’est une nouvelle tendance ! On assiste à une nouvelle envie de la part des jeunes marocains de pouvoir poursuivre leurs études ailleurs qu’en France. On a aussi des destinations comme la Chine ou la Corée du Sud, qui attirent ces jeunes marocains. Je suis persuadé que dans 10 ans, le nombre d’étudiants qui vont en France sera en baisse constante.
Enfin, l’analyse derrière tout ça est que le monde change et notre vision également. Les jeunes d’aujourd’hui sont moins attachés à la France que nous. En vérité, ces jeunes ont accès un peu a tout du fait du développement des réseaux sociaux et qu’ils sont très observateurs du déclin de l’occident, et de la Chine qui se positionne comme une puissance économique, et c’est ce qui à mon sens, stimule cette nouvelle tendance.
Challenge : Est-ce qu’on assiste à l’émergence de nouveaux pôles de savoir ?
M.T : Incontestablement, on découvre qu’il y a un nouveau pôle de savoir. Qui aurait pensé partir en Chine il y a 20 ans. Dernièrement, je viens de signer une convention avec un partenaire Chinois, parce que j’ai constaté qu’il y a de la demande à l’endroit de la Chine. On a également, un flux important d’étudiants marocains qui vont étudier en Turquie.
Challenge : Le Maroc est une destination d’étude prisée en Afrique, certains Marocains ne sont pas tentés d’aller vers les grandes universités au plan local ?
M.T : La plupart des cadres marocains ont été formés par les grandes universités marocaines. Et nos diplômés arrivent à intégrer les grandes écoles étrangères. Cela montre que notre formation est une formation de qualité. Le Maroc est une destination importante pour un certain nombre d’étudiants du Sud. Nous avons des écoles privées qui sont très performantes notamment l’UIR, UIC, HEM et l’école Sup Management de Fès.