Mohammed Sadiki: « On s’achemine vers une année agricole qui n’est pas perdue »
En février dernier, la situation pluviométrique suscitait beaucoup d’inquiétude, mais depuis début mars, les pluies sont revenues d’une manière régulière. Le ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des eaux et forêts, Mohammed Sadiki, se montre optimiste : les pluies qu’a connues le Maroc dernièrement, ont un impact immédiat sur les cultures. Pour le ministre, le mois de mars a été le mois le plus pluvieux par rapport à l’année dernière et par rapport à la moyenne durant les trente dernières années. Dans cette grande interview, le Ministre fait le point sur l’état d’avancement de la campagne agricole.
L’occasion d’aborder quelques sujets d’actualité : la situation de stress hydrique que connait le Maroc, le plan d’urgence pour atténuer les effets du déficit pluviométrique, la marge de manœuvre pour le gouvernement pour faire baisser les prix des produits alimentaires, la souveraineté alimentaire du Royaume, l’enseignement supérieur agricole…
Challenge : En février dernier, la situation pluviométrique suscitait beaucoup d’inquiétude, mais depuis début mars les pluies sont revenues d’une manière régulière. Quel est l’impact de ces dernières pluies sur les cultures, notamment les céréales ? Les dernières pluies peuvent-elles permettre un rattrapage important des cultures céréalières ?
Mohammed Sadiki: Le profil climatique de cette campagne agricole est surtout marqué par un retard des premières pluies jusqu’en 3ème décade de novembre 2021, ce qui a retardé l’installation des cultures d’automne, notamment les céréales. Le déficit pluviométrique par rapport à une année normale a continué à se creuser sévèrement jusqu’à fin février. Ceci a impacté considérablement le couvert végétal, notamment l’état des parcours et le développement des cultures d’automne.
Les pluies sont revenues dès le début mars avec un cumul pluviométrique moyen national de l’ordre de 74 mm, soit une hausse de 80% par rapport à la moyenne de 30 ans (41 mm) et de 88% par rapport à la campagne précédente à la même période (39 mm). A l’exception des régions de Laâyoune-Sakia El Hamra et Dakhla-Oued Eddahab, les pluies de mars ont couvert toutes les régions avec un excédent pluviométrique généralisé pour l’ensemble des régions économiques, comparativement à la moyenne des 30 dernières années.
Ces précipitations impacteront très positivement le secteur agricole pour le reste de la campagne dans son ensemble et donc sa croissance. Ainsi, elles ont déjà eu un effet très favorable sur l’amélioration du couvert végétal de manière général, notamment sur les parcours donc sur l’élevage, l’arboriculture fruitière (agrumes, rosacées, olivier, arganier, …), les cultures annuelles en place et les forêts. Elles ont induit un redressement notable de la situation des céréales d’automne (blés et orge) dans les zones de bour favorable. Elles ont par ailleurs, un effet déterminant sur les cultures maraichères et arboricoles dans les périmètres irrigués, où l’irrigation a été arrêtée en raison des niveaux très bas des barrages.
Par ailleurs, elles annoncent de bonnes perspectives quant à la saison printanière dont la mise en place a été bien lancée. Par ailleurs, de manière globale, tous les travaux d’entretien sont redynamisés sur toutes les cultures en place. Enfin, l’impact des précipitations affecteront l’amélioration des réserves en eau tant le niveau des retenues des barrages à usage agricole, que les niveaux des nappes phréatiques.
Challenge : Justement, le programme d’installation des cultures de printemps vient d’être lancé dans une conjoncture climatique marquée par le retour des pluies. Quelle est la situation de l’avancement de la campagne de ces cultures de printemps ? Quid de la production prévisionnelle de ces cultures ?
Le Ministère a saisi la conjoncture climatique favorable de retour des pluies pour encourager les agriculteurs à installer les cultures de printemps ; pois chiches, mais, tournesol, haricots secs et cultures maraichères.
À la date d’aujourd’hui, les réalisations de ces cultures de printemps sont de l’ordre de 130000 Ha, soit 60% du programme (220.000 Ha), se répartissant comme suit selon les espèces :
– Maïs grain : 61.406 Ha emblavés, soit 62% du programme.
– Pois chiches : 41.384 Ha, soit 54% du programme.
– Tournesol : 21.821 Ha, soit 60% du programme.
– Haricot sec : 3.628 Ha emblavés, soit 50% du programme.
Les cultures maraichères de printemps, atteindront 80.000 Ha, générant une production prévisionnelle d’environ 2,9 Millions de Tonnes qui devrait couvrir les besoins de consommation du marché local pendant la période estivale. Concernant les cultures maraichères de printemps dans les périmètres irrigués, la superficie programmée s’élève à 80 milles Ha et la production prévisionnelle de 3 millions de tonnes de ces cultures devrait couvrir les besoins de consommation du marché local pendant la période estivale. Ce programme sera réalisé convenablement, notamment dans les périmètres où les niveaux des barrages a atteint des seuils ne permettant pas d’irrigation.
Challenge : Comparé à la récolte exceptionnelle de l’année dernière, comment entrevoyez-vous globalement la récolte de cette année ?
A ce stade, il est encore tôt d’établir des prévisions précises concernant les récoltes. Sur la base des indicateurs actuels, les toutes premières estimations prévisionnelles provisoires indiquent qu’on s’achemine vers une année agricole qui n’est pas perdue. Pour les céréales, nous estimons que suite aux précipitations importantes depuis le début mars, une superficie d’environ 1,5 million Ha se trouve dans un état jugé bon. Dans sa globalité, la campagne agricole se situerait autour de la moyenne moins à moyenne, selon la suite de l’évolution des conditions climatiques. Mais, l’estimation de la performance escomptée de cette campagne agricole avec ses 4 saisons (automne, hiver, printemps, été) sera appréciée avec précision fin mai – début juin.
Challenge : Quid de l’élevage ?
L’impact positif le plus immédiat du retour des pluies est sur l’élevage. En effet, les parcours rattrapent rapidement le développement du couvert végétal. Le prix des animaux vivants s’est bien redressé. Ceci aura un effet très positif sur le maintien du capital animal. En effet, avec un cheptel important, qui comprend plus de 32 millions de têtes, dont 22,1 millions ovins, 5,9 millions caprins, 3,2 millions bovins et 190 000 camelins, le secteur d’élevage occupe une place importante dans l’économie agricole de par son poids social et sa contribution économique à l’économie agricole et rurale. Le chiffre d’affaires annuel moyen des activités de production animale est de près de 60 MMDH. En 2021, ces activités ont participé à hauteur de 32% à la valeur ajoutée agricole. Aussi, le secteur de l’élevage est un des piliers de la sécurité alimentaire de notre pays. Il assure 96% des besoins en lait,98% pour les viandes rouges et 100% pour les viandes blanches (concernant l’aviculture).
Le déficit pluviométrique de l’actuelle campagne, conjugué à la conjoncture sur les marchés mondiaux, se sont traduits par une forte tension sur les prix des aliments de bétail qui ont enregistré une hausse moyenne de 20% à 25% au cours de la période Janvier-Février 2022. Cette augmentation des prix des aliments a malheureusement fragilisé la trésorerie des éleveurs. Aussi, pour atténuer les effets de cette conjoncture, sur les Hautes instructions de Sa Majesté le Roi Mohammed VI Que Dieu L’assiste, le gouvernement a lancé un programme spécial de réduction de l’impact du déficit pluviométrique. L’enveloppe globale de ce programme est de 10 MMDH. Il vise à atténuer les effets du retard des précipitations, à alléger l’impact sur l’activité agricole et à fournir l’aide aux agriculteurs et aux éleveurs pour surmonter les effets négatifs de cette situation. Une des composantes phares, est le programme des aliments de bétail subventionnés, notamment l’orge pour les petits ruminants et l’aliment composé pour le cheptel laitier.
Aujourd’hui, le dispositif de distribution de l’orge subventionnée et de l’aliment composé est totalement opérationnel dans toutes les régions. Le prix subventionné de l’orge 2 DH/Ql explique la forte demande des éleveurs sur cette céréale. Suite aux dernières pluies qui auront un impact positif sur l’état des parcours et des disponibilités fourragères, couplé à l’intervention de l’Etat par le cadre de programme de réduction de l’impact du déficit pluviométrique, il est prévu que cette évolution favorable se traduit également sur le plan macro-économique, par la contribution des activités de l’élevage à la résilience de notre agriculture et à l’atténuation de l’ampleur de la baisse de la croissance agricole de cette année.
Challenge : L’agriculture est bien connue comme étant le premier consommateur d’eau (plus de 80%). Le Maroc connait une situation de stress hydrique, voire de pénurie d’eau. Quelles adaptations nécessaires des politiques agricoles face à cette menace ?
Le Maroc, dans son long chemin d’adaptation aux effets des changements climatiques, a fait de la maitrise de l’eau d’irrigation une nécessité pour intensifier la mise en valeur agricole, garantir la sécurité alimentaire, contourner la forte contrainte de l’aridité et faire face aux aléas climatiques. Conscient de la pression hydrique subie et du fait que les ressources en eau constituent le principal facteur limitant le développement de l’irrigation des terres agricoles, le département de l’Agriculture a toujours opté pour une stratégie volontariste en matière d’utilisation efficiente et de valorisation des ressources hydriques en agriculture.
Concrètement, la politique de maitrise et de gestion de l’eau dans le secteur agricole a été renforcée à partir de 2008, dans le cadre de la stratégie de développement agricole Plan Maroc Vert 2008-2020, par l’adoption et la mise en œuvre de programmes structurants d’irrigation, à savoir :
– Le Programme National d’Économie de l’Eau d’Irrigation visant la reconversion massive et sans précédent aux techniques d’irrigation localisée ;
– Le Programme d’Extension de l’Irrigation (PEI) à l’aval des barrages qui vise la création de nouveaux périmètres et le renforcement de l’irrigation au niveau des périmètres existants dominés par les barrages réalisés ou programmés ;
– Le Programme de Partenariat Public-Privé dans l’irrigation qui vise la préservation de la nappe, notamment par la mobilisation et le renforcement des ressources en eau non conventionnelles à travers divers projets, dont les projets de sauvegarde de l’irrigation et les projets de dessalement de l’eau de mer, dont la station de dessalement d’eau de mer de Chtouka pour l’irrigation de 15.000 ha ;
– Le Programme de réhabilitation et de sauvegarde des périmètres des Petites et Moyennes Hydrauliques (PMH).
Ces programmes d’irrigation ont permis à fin 2020, d’équiper près de 900 mille ha en systèmes d’irrigation pour un investissement d’environ 38 milliards de DH au profit de 250 mille exploitations agricoles. La superficie équipée en techniques économes en eau d’irrigation a atteint près de 700 mille Ha, soit 43% de la superficie totale irriguée. Ceci, a permis une économie de plus de 2 milliards de m3 d’eau d’irrigation par an et une amélioration de sa valorisation, en passant de 2 DH/m3 en 2008 à 6 DH/m3 en moyenne en 2020.
Quant aux projets de partenariats public-privé contractés dans le cadre du Plan Maroc Vert, ils permettront une mobilisation annuelle de près de 160 millions de m3 d’eau d’irrigation, dont près de 100 millions de m3 d’eau d’irrigation par dessalement de l’eau de mer. Ces efforts de gestion et de rationalisation de l’eau d’irrigation et le chantier de la transformation du secteur de l’irrigation sont engagés et se poursuivent dans le cadre de la stratégie agricole Génération Green 2020-2030 qui vise d’une part, de renforcer les programmes existants avec une amélioration de l’efficacité hydrique (objectif : doublement de l’efficacité hydrique d’ici 2030) et d’autre part, de promouvoir une transition énergétique vers le renouvelable par l’encouragement de l’utilisation de l’énergie solaire en irrigation pour couvrir près de 20% de la superficie irriguée en 2030 par le pompage solaire.
Il est à signaler, qu’une grande importance est donnée aux projets visant la mobilisation des eaux non conventionnelles, notamment le dessalement de l’eau de mer, combiné pour certains projets avec l’utilisation des énergies renouvelables, notamment l’éolien (le cas du projet de dessalement de l’eau de mer de Dakhla) et ce, afin d’atténuer la pression exercée sur les ressources en eau souterraines et contribuer à leur préservation.
Conformément aux dispositions du programme national pour l’approvisionnement en eau potable et l’irrigation pour la période 2020-2027, parmi les chantiers prévus dans le cadre de la stratégie Génération Green (2020-2030) visant l’amélioration de l’efficacité hydrique, on cite :
– Le développement de l’irrigation localisée sur une superficie additionnelle de 350.000 ha pour atteindre une superficie de près d’1 million d’Ha irriguée en goutte à goutte à l’horizon 2030 ;
– La poursuite des efforts d’extension de l’irrigation à l’aval des barrages, notamment dans la plaine du Gharb sur une superficie de 30 mille Ha pour valoriser les eaux mobilisées à travers le barrage Al Wahda, ce qui permettra l’amélioration de la valeur de production agricole de près de 800 millions de DH et la création de près de 21 mille emplois annuels ;
– L’achèvement du projet d’aménagement hydro-agricole de la plaine de Saiss sur une superficie de 30 mille Ha à partir du barrage de Mdez, ce qui permettra de préserver les investissements agricoles dans cette zone, d’améliorer les revenus de plus de 7000 agriculteurs et d’assurer la durabilité de l’exploitation des ressources hydriques.
– Le développement de la petite agriculture par la préservation des périmètres de PMH dans les zones de montagne et les oasis sur plus de 100 Mille Ha et la sauvegarde des Khettaras.
– Les nouveaux investissements seront soumis à des conditions qui respectent les principes de durabilité d’utilisation des eaux d’irrigation.
En plus de la sécurisation des ressources hydriques, le département de l’Agriculture œuvre à poursuivre les efforts visant à améliorer la résilience du secteur agricole face aux changements climatiques, à travers l’adoption de pratiques durables telles que les techniques de conservation du sol, notamment le semis direct, les techniques de collecte des eaux pluviales, les variétés résistantes à la sécheresse, la reconversion des cultures céréalières sensibles à la variabilité climatique par des cultures plus résilientes et plus valorisantes de la terre, en particulier les plantations fruitières et la rotation des cultures (céréales-légumineuses).
En outre, un programme de gestion des risques climatiques est adopté à travers les programmes d’assurance agricole permettant la couverture des céréales, des légumineuses, des oléagineux et de l’arboriculture fruitière contre les aléas climatiques. Actuellement, près d’1 million d’ha de céréales est couvert annuellement par le système d’assurance agricole avec une cible de 2,5 millions d’hectares de terres agricoles assurées à l’horizon 2030. La digitalisation du secteur agricole constitue également, une des pistes à promouvoir dans le cadre de la stratégie agricole actuelle, afin de transformer et booster la performance du secteur, rationnaliser l’utilisation des ressources hydriques, respecter l’environnement et adopter une agriculture durable et résiliente.
Challenge : Après l’audience accordée par S.M le Roi Mohammed VI au Chef du Gouvernement Aziz Akhannouch et vous-même, le 16 février, un plan d’urgence pour contrer les conséquences du déficit pluviométrique a été présenté le 18 février à Rabat. Lors de cette réunion présidée par le Chef du gouvernement, il a été annoncé que 10 milliards de DH, allaient être investis pour contrer les effets dévastateurs de la sécheresse sur les récoltes agricoles. Où en est ce programme spécial ?
Immédiatement après Les Hautes instructions Royales, le Ministère de l’Agriculture, de la Pêche, du Développement Rural, des Eaux et Forêts a opérationnalisé le plan d’urgence pour atténuer les effets du déficit pluviométrique. Pour rappel, ce programme d’un montant de 10 milliards DH comprend 3 axes :
A – Opérations de sauvegarde du cheptel & pérennisation des plantations de l’agriculture solidaire.
Ce premier axe comprend 7 composantes:
– Acquisition et distribution d’orge subventionnée aux éleveurs ;
– Distribution d’aliments composés aux éleveurs de bovins laitiers ;
– Abreuvement du cheptel à travers l’acquisition de camions citernes et de citernes souples et tractées, ainsi que la création et aménagement des points d’eau ;
– Irrigation d’appoint des arbres fruitiers réalisée dans le cadre de l’agriculture solidaire ;
– Renforcement de la protection sanitaire du troupeau par les traitements antiparasitaires et la vaccination contre l’entérotoxémie des petits ruminants ;
– Aménagement des parcours ;
– L’équipement et la réhabilitation des petites et moyennes hydrauliques.
En effet, pour ce premier axe, tout d’abord, il fallait lancer d’urgence les appels d’offres pour l’acquisition de l’orge dans un contexte de marché mondiaux de céréales déjà tendu. En un temps record, plus de 3 millions de quintaux d’orge ont été mis dans le circuit de distribution à travers les centres relais à guichet ouvert. Ce dispositif est aujourd’hui entièrement opérationnel et a permis d’écouler à date 1,4 million Qx d’orge au profit de plus de 320 milles éleveurs. Avant le lancement de ce programme, le Ministère avait mis en place des programmes régionaux et provinciaux et portant sur près de 1 million de quintaux distribués au profit de 180 milles bénéficiaires.
L’opération de l’aliment composé destiné à la filière laitière, est également totalement opérationnelle et les demandes exprimées par les éleveurs laitiers sont entièrement satisfaites selon une démarche organisée, efficace et suivie en ligne sur un SI dédié par les services du Ministère. Concernant l’abreuvement du cheptel, ce programme porte sur la distribution de 3 740 citernes plastiques et 212 citernes tractées, la construction et l’équipement de 452 points d’eau, l’acquisition de 4 camions citernes, ainsi que la prise en charge des frais de fonctionnement de 68 camions citernes d’eau.
Les autres composantes sont en cours d’exécution, selon le programme d’emplois et le calendrier mis en place à cet effet.
B – Assurance multirisque climatique (MRC)
Pour ce deuxième axe au sujet de l’assurance multirisque climatique, grâce à la mobilisation des équipes de notre partenaire MAMDA et des services du Ministère, les indemnisations pour les superficies déclarées sinistrées, ont commencé le 1er avril 2022 dans trois régions, soit 3 mois plus tôt que les périodes habituelles, ce qui constitue une performance sans précédent en matière de paiement des indemnisations à cette date de la campagne agricole. Cette opération revêt une grande importance pour les agriculteurs, car la superficie assurée est de 1 million ha pour un capital assuré de plus de 1 milliard de DH.
Pour la composante accompagnement financier des agriculteurs, le travail est mené par le GCAM pour traiter les dettes des agriculteurs par le report des échéances de crédits des agriculteurs affectés, par la mise en place de ligne de financement de la mise en place des cultures de printemps et les opérations d’importation de l’orge dans un contexte d’augmentation des prix.
C – Offre de financement Groupe Crédit Agricole du Maroc
Challenge : Depuis plus d’une année, les prix de nombreux produits principalement alimentaires flambent. En février déjà, la FAO annonçait un niveau record atteint par les prix mondiaux des denrées alimentaires. Et pour ne rien arranger, la crise russo-ukrainienne commence aussi à avoir des conséquences sur le porte-monnaie des Marocains. Quelle marge de manœuvre pour le gouvernement pour faire baisser les prix des produits alimentaires, surtout en cette période de Ramadan ?
D’abord, le choc conjoncturel intervenu sur les marchés mondiaux de matières premières agricoles, aurait eu un impact aggravé s’il n’avait rencontré une base de production solide développée par la stratégie Plan Maroc Vert par le passé et la Stratégie Génération Green actuellement pour la prochaine décennie. En effet, le levier le plus important dont nous disposons dans notre système alimentaire, est la production nationale pour approvisionner le marché national, sa diversification avec un assolement étudié c’est-à-dire une répartition planifiée des cultures dans les régions et zones disposant de ressources en eau pour l’irrigation et dans les zones pluviales favorables. La production de chaque saison provient des superficies de cultures planifiée la saison d’avant avec une distribution régionale selon les potentialités.
Au niveau mondial, les prix des matières premières et des produits agricoles ont connu une augmentation cette année en raison de plusieurs facteurs, liés notamment, à la pandémie du coronavirus (Covid-19), les mauvaises conditions climatiques dans plusieurs régions du monde, le lancement simultané de plans de relance économique ayant provoqué l’accélération de la demande mondiale pour les matières premières et la hausse des prix de l’énergie et des prix du fret et du transport des marchandises au niveau mondial. Ceci vient d’être exacerbé depuis plus d’un mois par la crise russo-ukrainienne.
Au niveau du marché national, les prix varient selon leur provenance. Les produits alimentaires issus de la production nationale, affichent des niveaux de prix relativement stables avec de faibles variations conjoncturelles ou parfois même une légère baisse par rapport à la même période de 2021. Il faut rappeler qu’au Maroc, les prix des produits alimentaires sont libres à l’exception des farines de blé tendre et du sucre. Mais, en somme et sur une base annuelle, les prix des produits agricoles produits localement restent globalement stables. Ainsi, pour le lait et les viandes les prix restent stables, de même que les produits de la pêche.
Concernant les farines de blé tendre et du sucre, ces deux produits importés n’ont pas connu de changement malgré la hausse des cours mondiaux, grâce à l’effort mené par le gouvernement. Pour le blé tendre, un mécanisme de restitution a été mis en place pour assurer un prix sortie port de 270 DH/Ql en vue de faire face à l’augmentation vertigineuse des prix dans le marché international et de garantir une stabilité des prix des farines et du pain. Cet effort de restitution à l’importation du blé tendre coûte à l’État un gros budget, soit en moyenne environ 500 millions DH par mois. Pour le sucre, le prix est fixe grâce à un mécanisme de compensation. Il faut souligner, que le développement important de cette filière avec le Plan Maroc Vert et actuellement avec la Génération Green, a permis une augmentation de la production et de réduire l’importation.
Pour ce qui est des autres produits alimentaires importés, ou dont la production dépend de matières premières importées, certains connaissent des augmentations de prix, notamment les semoules de blé dur et les huiles de table. Plus spécifiquement en ce mois de Ramadan, le marché national est très bien approvisionné en légumes, fruits, produits animaux (lait, viandes rouges et viandes blanches) tant en volumes qu’en diversité et sur l’ensemble du pays. Afin de faire face à l’augmentation des prix, des préparatifs ont été menés bien avant l’avènement du mois de Ramadan et ce, en parfaite coordination avec les Ministères de l’Intérieur et du Commerce, chaque département dans ses missions, dans le but de s’assurer de l’approvisionnement normal du marché en actionnant différents leviers.
Challenge : Outre la crise russo-ukrainienne, le contexte de la crise sanitaire mondiale a confirmé l’urgence et la priorité stratégique de la souveraineté alimentaire. Où en est le Maroc face à cet objectif ?
Cette crise mondiale multifacette, notamment sa composante due à la crise sanitaire mondiale COVID-19, a secoué les esprits et a rappelé au monde que sans agriculture et sans sécurité alimentaire, aucune nation n’était à l’abri des risques d’instabilités sociales et politiques. Ce constat mondial a toujours été un moteur dans l’Histoire. En effet, cette période que nous vivons rappelle le printemps alimentaire Mondial de 2008 causé par la flambée des produits et intrants agricoles, mais avec une intensité plus sévère et plus complexe.
La crise COVID-19 a révélé les fragilités du système alimentaire mondial, ce qui a replacé la question alimentaire au centre des débats politiques au niveau international, à l’image du sommet mondial sur les systèmes alimentaires des Nations Unies tenu en septembre 2021. Ainsi, les questions de sécurité alimentaire et de souveraineté alimentaire sont de plus en plus abordées dans un cadre plus global, à savoir les systèmes alimentaires. C’est une approche plus complexe, puisqu’il met en jeu plusieurs activités et plusieurs acteurs tout au long de la chaine de valeur.
Face à la montée des risques d’approvisionnement, comme vécue au niveau mondial avec la crise causée par la pandémie COVID-19 et exacerbée par la Guerre en Ukraine et ses effets dévastateurs sur les marchés mondiaux et les prix des produits alimentaires, la souveraineté alimentaire s’impose avec force dans les débats. Au Maroc, nous raisonnons la souveraineté alimentaire dans le cadre global du système alimentaire national dans lequel la sécurité alimentaire est un but, alors que la souveraineté alimentaire décrit les moyens et les voies d’y parvenir. Le concept de souveraineté alimentaire repose sur plusieurs éléments dont le renforcement de la production locale durable, la résilience contre le changement climatique, les mesures relatives au commerce agricole, la rémunération convenable des producteurs et l’appui à la gestion des stocks. La mise en œuvre de la stratégie de développement agricole Génération Green, intègre parfaitement cet objectif, d’ailleurs en ligne avec les principes et les orientations du Nouveau modèle de développement où la question de la souveraineté alimentaire est clairement annoncée.
Ainsi, avec tous les efforts de modernisation de l’agriculture portée par la stratégie Génération Green, intégrant les mesures d’adaptation au changement climatique, le renforcement de la résilience des systèmes de production, le renforcement du capital humain, la qualité et la traçabilité des produits, la protection sanitaire du patrimoine animal et végétal, la préservation de la biodiversité animale et végétale…etc. notre pays est sur le bon chemin vers une souveraineté alimentaire telle que voulue par Sa Majesté le Roi, Que Dieu L’assiste.
Challenge : Conformément aux grandes orientations stratégiques du Souverain, l’un des objectifs prioritaires est de contribuer à l’émergence d’une «classe moyenne rurale». Quelles ont été les mesures prises par le ministère de l’Agriculture (…) pour contribuer à la réalisation de cet objectif ?
La nouvelle stratégie de développement du secteur agricole “Génération Green 2020-2030” fixe les grandes orientations et axes de développement du secteur agricole à l’horizon 2030, partant de la consolidation des acquis du Plan Maroc Vert, en donnant la priorité à l’élément humain, qui constituent d’ailleurs les deux principaux fondements de la stratégie. La mise en œuvre des axes des deux fondements a commencé depuis le début 2021 et s’étalera jusqu’en 2030. Le premier fondement portant sur l’élément humain, vise à faire émerger une nouvelle génération de classe moyenne agricole pour près de 350.000 à 400.000 nouveaux ménages et de stabiliser 690 000 ménages dans cette classe et une nouvelle génération de jeunes entrepreneurs et d’organisations agricoles à travers la mise en place d’une nouvelle génération de mécanismes d’accompagnement.
Pour parvenir à l’émergence d’une nouvelle génération de classe moyenne agricole, plusieurs mesures sont prises, dont notamment, la poursuite des efforts d’investissement accompagnés d’un nouveau schéma d’incitations pour améliorer les revenus des agriculteurs ; la généralisation du régime de la protection sociale aux agriculteurs et aux salariés agricoles conformément aux orientations Royales ; et l’amélioration de la résilience des agriculteurs face aux changements climatiques à travers l’extension de l’assurance agricole pour atteindre 2.5 millions d’hectares de terres agricoles assurées à l’horizon 2030.
Pour le volet se rapportant à la protection sociale, le projet de loi n° 80.21 sur la création du registre social agricole et le décret n°2.21.2019 pour la mise en place du régime de protection sociale au profit des agriculteurs en concertation avec les départements ministériels concernés (MEF, Santé et Protection sociale, SGG), la CNSS et les professionnels du secteur agricole, ont été approuvés par le Conseil du Gouvernement ; et une convention de partenariat a été conclue entre les professionnels et le Gouvernement pour généraliser l’assurance maladie obligatoire au profit des agriculteurs et mettre en place le cadre fixant les engagements de chaque partie. Le déploiement effectif de ce chantier, a d’abord porté sur la mise à jour des listes des agriculteurs et leur catégorisation selon les grilles de cotisations retenues pour leur transmission à la CNSS. A ce jour, ces activités enregistrent des taux de réalisation satisfaisants.
Par ailleurs, et afin d’améliorer les conditions de vie des agriculteurs et leurs revenus, la stratégie ambitionne à travers le deuxième fondement, de poursuivre ses efforts pour moderniser le secteur agricole et promouvoir l’investissement, et ce à travers :
– La mobilisation d’un million de terres collectives au profit des investisseurs, des ayants droits et des jeunes et leur valorisation grâce à la mise en place d’une offre intégrée qui s’articule autour du soutien financier et l’octroi d’incitations dans le cadre du FDA ; l’accompagnement technique des porteurs de projets agricoles notamment les jeunes ; et l’appui pour bénéficier de crédits bancaires dans le cadre du programme « Intilaka » et des prêts garantis par l’Etat. Afin d’activer ce chantier, et en coordination avec les Ministères de l’Intérieur et de l’Agriculture, des mécanismes de gouvernance et de coordination conjoints ont été mis en place afin de faciliter la mobilisation des terres collectives au profit des investisseurs.
– L’encouragement à l’émergence d’une nouvelle génération de jeunes exploitants (180.000) à travers la mobilisation et la valorisation de terres collectives et la création de 170 000 emplois dans les services agricoles, para agricoles et la transformation, et ce à travers l’adoption d’un ensemble de mesures incitatives, un accompagnement à la création d’entreprises et de sociétés de services et un renforcement de la formation agricole. Dans ce cadre, le département de l’Agriculture a mis en place, en concertation avec le Crédit Agricole du Maroc, des Centres Régionaux des Jeunes Entrepreneurs Agricoles et Agro-alimentaires (CRJEA) qui ont pour missions l’orientation et l’accompagnement des jeunes porteurs de projets d’entrepreneuriat en agriculture et en agro-alimentaire à travers des actions de communication, de sensibilisation, d’accueil, d’information, de formation et d’intermédiation et l’accompagnement et l’assistance à la concrétisation des projets.
En matière de formation, une feuille de route a été élaborée pour la formation de 150 000 diplômés dont 10 000 seront formés dans le cadre de l’enseignement supérieur et 140.000 dans le cadre de la formation professionnelle. L’offre de formation agricole technique et supérieure sera revue pour la rendre plus diversifiée et attractive, dans le but de couvrir toutes les filières de production et ceci à travers l’adoption d’une nouvelle approche, innovante qui sera basée sur la digitalisation et la promotion de l’initiative entrepreneuriale.
– L’amélioration de l’organisation des agriculteurs à travers leur structuration dans une nouvelle génération d’organisations professionnelles agricoles (agrégation, coopératives et nouveaux modèles d’organisations) pour renforcer leur autonomisation, afin qu’ils puissent jouer pleinement leur rôle dans le développement. Dans ce cadre, une nouvelle génération de projets d’agrégation a été lancée, et ce après l’assouplissement de la procédure d’approbation des projets d’agrégation et la révision de la loi n° n°37-21 édictant des mesures particulières relatives à la commercialisation directe des fruits et légumes produits dans le cadre de l’agrégation agricole.
– La mise en place de nouveaux mécanismes d’accompagnement à travers le lancement de projets d’agriculture solidaire de nouvelle génération sur près de 350 000 à 400 000 Ha au niveau des zones vulnérables (zones de montagnes, oasis et zones arides), le renforcement du conseil agricole, l’introduction des nouvelles technologies et de la digitalisation des services agricoles au profit de près de 2 millions d’agriculteurs.
La réalisation des différents chantiers prévus dans le cadre du 2ème fondement de la stratégie, notamment la consolidation des filières de production, le développement des chaines de distribution modernes et efficientes, la promotion de la qualité, de l’innovation et de la Green Tech et le développement d’une agriculture résiliente et éco-efficiente, permettront de moderniser davantage le secteur agricole et de promouvoir l’investissement dans les chaines de valeur, ce qui contribuera à l’amélioration des revenus des agriculteurs et favorisera l’émergence d’une classe moyenne agricole.
Challenge : Dans le dernier rapport de la Cour des Comptes, des observations et des recommandations sont afférentes à l’enseignement supérieur agricole. Quelles sont les mesures et les actions envisagées par le ministère de l’Agriculture (…) pour pallier les insuffisances et faiblesses soulignées, à ce niveau, par cette institution de contrôle ?
L’enseignement supérieur agricole est un facteur essentiel de la politique de développement agricole et rural du Royaume. Il accompagne les politiques sectorielles du Ministère de l’Agriculture, de la Pêche Maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts et plus particulièrement, celles conduites dans le cadre de la Génération Green qui fait de l’agriculture l’une des priorités du Maroc. Le dispositif de l’enseignement supérieur agricole se compose de 3 établissements : l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II (IAV), l’École Nationale d’Agriculture de Meknès (ENAM) et l’École Nationale Forestière d’Ingénieurs (ENFI). Les enseignements et les recherches sont assurés par plus de 300 enseignants-chercheurs au bénéfice de 2500 étudiants par année sur plusieurs filières de formation, couvrant les différents domaines de l’agriculture et des secteurs connexes.
En dépit des efforts déployés par le département de l’agriculture, le dispositif de l’enseignement supérieur agricole reste confronté à un certain nombre de contraintes, liées notamment, à l’insuffisance des ressources humaines (Enseignants chercheurs, cadres administratifs et techniciens). Dans le cadre de la stratégie Génération Green qui ambitionne de former 10.000 lauréats à l’horizon 2030, le Consortium IAV-ENA-ENFI-INRA a élaboré deux feuilles de route communes concernant la formation et la recherche-innovation agricoles. Lesdites feuilles ont permis une déclinaison chiffrée des objectifs, des ressources humaines et financières à déployer. Ces actions seront accompagnées par le développement des outils d’amélioration de la gouvernance et la mise à jour des textes juridiques, conformément aux dispositions de la loi régissant l’enseignement supérieur.
Il est prévu également, la mise en place de dispositifs de suivi de l’insertion professionnelle des lauréats à partir de 2022, avec la participation de l’ensemble des partenaires (Interprofessions, associations des lauréats et professions organisées), en vue de mesurer les performances de ces établissements. Ce suivi permettra la révision et l’actualisation d’une manière continue des programmes de formation et le développement de nouvelles démarches pédagogiques pour mieux accompagner les exigences de la nouvelle stratégie et assurer une meilleure insertion des lauréats dans la vie active. Par ailleurs et afin d’assurer un suivi complet de toutes les activités pédagogiques, les établissements œuvrent à améliorer leurs systèmes d’information pédagogique pour permettre une meilleure évaluation de la qualité des enseignements dispensés.
Au même titre et dans la perspective de développer une nouvelle dynamique insufflée par la stratégie agricole Génération Green, des démarches sont en cours pour élaborer une vision et définir les axes prioritaires de la recherche pour améliorer la qualité et l’attractivité, notamment de la formation doctorale, avec l’identification de pistes pour la mise en place d’un système de bourses pour les doctorants et le développement de la recherche collaborative dans le cadre de partenariats avec différents organismes nationaux et internationaux, les organisations professionnelles et le secteur privé.