«Mon histoire avec les médicaments», une autobiographie de feu Omar Tazi [Chapitre 8]
Le crédit bancaire
Lilly me recommanda ses fournisseurs de machines. Majoritairement italiens, ces derniers étaient réputés pour la qualité de leurs équipements et surtout leur adaptation aux besoins des petits laboratoires. Pendant des semaines, j’avais une seule occupation : me plonger dans les catalogues d’un grand nombre de machines devant former le décor industriel de ma future usine. Centrales de pesée, remplisseuses, lignes injectables, autoclaves, blistereuses, mireuses et thermo formeuses étaient les mots que je prononçais le plus souvent durant mes journées. Mon choix ne visait pas seulement la productivité, le coût, les garanties et la maintenance des machines, mais aussi leur esthétique. Pour certains, cet aspect semblait farfelu. Pour moi, il était primordial que mes futurs Sothémiens conduisent de belles machines dans un joli environnement. Une fois ma sélection achevée, vint l’étape des négociations avec les fournisseurs. Ceux qui étaient représentés au Maroc affichaient une certaine flexibilité. En revanche, ceux qui venaient d’Europe étaient d’une arrogance insupportable.
Grâce à Dieu, je fis les meilleurs deals avec les uns comme les autres. Ils m’installèrent les machines dans les parties construites de l’usine et procédèrent aux différents tests de qualification. Ces derniers furent tous concluants. Une fois leur besogne achevée, ils demandèrent leurs chèques. A leur désagréable surprise, je leur annonçais que je n’avais pas un rond à leur donner. En effet, avant de commander les machines, je déposais une demande de prêt auprès de la Banque Nationale pour le Développement Économique (BNDE) d’un montant de 16 millions de DH. J’étais sûr que le crédit allait être rapidement accordé du fait que j’avais toutes les garanties : les licences d’une grande multinationale, les cautions de mon mentor, les autorisations du ministère de la Santé, ainsi qu’un business plan affichant de prometteurs résultats financiers. Dans le bureau cosy du directeur de la BNDE, je développais mes arguments devant une équipe de jeunes banquiers, tous mis sur leurs trente-et-un. J’avais la certitude que cette réunion n’était qu’une formalité. J’avais tout faux.
– « Je sais que le business des médicaments est rentable », me lança le directeur. « Mais n’oubliez pas une chose, c’est qu’à la différence d’une officine ou d’une société d’importation, une usine signifie des charges d’exploitation élevées et des risques imprévisibles ».
– « En effet », avais-je rétorqué. « Mais tout ce que je sais, c’est que le marché reste prometteur. Le chiffre d’affaires prévu dans le scénario le plus pessimiste me couvrira l’ensemble des charges, y compris l’emprunt, les intérêts et d’autres charges financières. Il me dégagera des bénéfices suffisants pour agrandir l’usine et construire d’autres unités ».
Un des banquiers présents à cette réunion me fit une remarque déplaisante. « Vous n’avez pas encore ouvert votre première unité et vous pensez déjà à l’extension. Quelle assurance ! ». Son sourire narquois me provoqua. Je le regardais pendant un moment. Puis, je levais les sourcils et hochais la tête en signe d’acquiescement. Il se sentit intimidé. Je reconnais que mon excès d’assurance froissa mes interlocuteurs. Mais étant pressé ce jour-là, je n’étais pas d’humeur à faire attention à leur ego. Après mon échange avec son subalterne, le directeur me fit comprendre que notre réunion arrivait à sa fin. Il prit son air de sage et me conseilla de refaire mes calculs.
Quelques jours plus tard, je reçus une lettre m’annonçant l’accord de la banque pour 12 millions de DH au lieu des 16 millions initialement réclamés. Cependant, des mois passèrent et l’argent n’était pas débloqué. Je relançais la banque à maintes reprises et cette dernière me répondait toujours de la même façon : « Patientez ! ». C’était la même réponse que je donnais à mes fournisseurs. Au fur et à mesure que le délai s’allongeait, ces derniers devinrent impatients. Un jour, comme s’ils s’étaient mis d’accord, ils venaient ensemble requérir leurs paiements. Agacé par leur attitude, je leur posais un ultimatum : « Quiconque ne veut pas patienter n’a qu’à ramasser sa ferraille et s’en aller. Je n’en veux plus ». Ma réaction les refroidit.
Quelques jours après cet incident, le prêt fut débloqué. Mes fournisseurs retrouvèrent le sourire.