Livre

«Mon histoire avec les médicaments»,une autobiographie de feu Omar Tazi [Chapitre 17]

Son enfance, sa bataille contre le trust des multinationales qui dominaient le marché des médicaments à l’époque, son militantisme pour l’industrie pharmaceutique marocaine, plus épanouie, innovante et compétitive, son engagement pour un entrepreneuriat citoyen et responsable…« Mon histoire avec les médicaments », l’autobiographie de feu Omar Tazi publiée à titre posthume, véhicule des leçons aussi bien dans le champ managérial que sur le registre des valeurs morales et citoyennes ou encore pour les perles sur l’histoire économique et sociale du Royaume, que vous propose CHALLENGE à travers 19 chapitres. Capitaine d’industrie, feu Omar Tazi qui nous a quittés le 20 mars 2020, faisait partie de cette génération de grands industriels qui ont contribué à façonner l’industrie marocaine.

Moi, président !
En 2005, mes confrères m’ont unanimement élu à la tête de l’AMIP. C’était la première fois que je présiderais aux destinées de notre groupement professionnel. Pour eux, j’étais l’homme du consensus. Puisque Sothema commercialisait à la fois des princeps et des génériques, je pouvais donc concilier les intérêts des laboratoires nationaux et ceux des multinationales. Les querelles intestines entre ces éternels antagonistes, souvent par médias interposés, poussèrent les multinationales à claquer la porte de l’AMIP. Ces dernières créèrent un autre groupement qu’elles nommèrent Maroc Innovation & Santé (MIS) [1].  

En mon for intérieur, j’étais convaincu que le consensus espéré ne pouvait exister que si mes confères se mettaient d’accord sur des règles de jeu raisonnables. J’avais donc une lourde mission. Premièrement, briser la glace entre des opérateurs se trouvant aux antipodes les uns des autres. Deuxièmement, les faire travailler sur des projets d’intérêt commun. Une première initiative dans ce sens fut la participation de l’AMIP au trophée de l’environnement organisé par l’ancien ministère de l’Aménagement du territoire. Ce dernier prima notre association pour sa gestion des déchets pharmaceutiques. Je me rendis à Rabat pour assister à la cérémonie de remise des prix. Le lendemain, je réunissais le bureau de l’AMIP pour lui proposer la création d’un manifeste des bonnes pratiques citoyennes auquel aussi bien les multinationales que les « génériqueurs » devaient adhérer. Ce livre blanc comportait une série d’engagements organisés en quatre chapitres, à savoir 1. le développement durable, 2. la formation, 3. la qualité, 4. la sécurité.

Lire aussi | OCP obtient un financement de 100 millions de dollars de l’IFC

Une fois l’idée acceptée, je proposais aux confères d’organiser un évènement afin de présenter le manifeste. La tenue des Assises nationales de l’industrie pharmaceutique fut alors décidée. La première édition eut lieu en avril 2006. A cette occasion, le manifeste des bonnes pratiques citoyennes fut ratifié par l’ensemble de la profession. J’étais fier en voyant mes confères, l’un après l’autre, apposer leurs signatures sur le document. C’était une belle démonstration d’union au sein d’une profession déchirée.

Ce jour-là, j’avais annoncé plusieurs projets consensuels, parmi lesquels la création d’un observatoire national du médicament, d’une agence du médicament et d’une fédération des métiers pharmaceutiques sous l’égide de la CGEM [2]. Je me réjouis que ces idées aient fait leur chemin. L’observatoire du médicament vit le jour en 2013. La fédération et l’agence du médicament furent annoncées en 2019.

Après mon mandat, mes confrères me demandèrent de présider les deuxièmes Assises nationales de l’industrie pharmaceutique. Ce fut un évènement majeur en marge duquel le premier salon de recrutement dans le secteur du médicament fut organisé. D’importantes conventions furent signées ce jour-là. La première consistait en la création d’un cycle supérieur en pharmacie industrielle au sein des facultés de médecine et de pharmacie. La deuxième portait sur la création d’un institut de pharmacie sous l’égide de l’OFPPT [3]. Quant à la troisième, elle portait sur la formation continue de 7000 employés du secteur pharmaceutique. En vertu de ces conventions, les laboratoires s’engagèrent à embaucher annuellement, sous contrat CDI [4], un nombre important de pharmaciens et de techniciens. Malheureusement, malgré leur importance, ces conventions n’ont pas été implémentées.

Ouverture des premières Assises Nationales de l’Industrie Pharmaceutique

Signature du Manifeste des Bonnes Pratiques Citoyennes

Le code de la pharmacie reste le dossier ayant le plus marqué ma présidence. Cette loi était en gestation depuis quatre décennies. Toutes les tentatives pour l’amender échouèrent. Les intérêts inconciliables des représentants de notre profession expliquaient ces échecs. Personnellement, je ne cessais de ressasser qu’un nouveau code de la pharmacie ne pouvait jamais être parfait. Avoir une loi qui comporte des imperfections est sans doute mieux qu’attendre éternellement un texte irréprochable qui ne viendra jamais.

Afin de débloquer la situation, je demandais une audience à Mohamed Cheikh Biadillah, ministre de la Santé de l’époque. Je lui exposais la principale revendication des industriels, à savoir la libéralisation du capital des laboratoires pharmaceutiques. Coopératif, le ministre me fit comprendre que la balle n’était plus dans son camp, mais dans celui des parlementaires qui refusaient la mouture présentée par son département. Il me prévint que comme il ne restait que quelques jours avant la fin de la session parlementaire, le nouveau code pourrait bien être renvoyé aux calendes grecques. « J’ai fait mon travail en mettant le projet de loi dans le circuit d’adoption », me dit-il.

« À vous de faire le vôtre ». Je compris son message. Le lendemain, je médiatisais l’affaire. Profitant de la visite au Maroc d’un groupe de pharmaciens américains,  j’animais une conférence de presse sur le code de la pharmacie. Dans le communiqué distribué ce jour-là aux nombreux journalistes présents, j’écrivais en gros titres : « Alors que des pharmaciens américains visitent notre pays en quête d’opportunités d’investissement, on leur propose une loi vieille de 40 ans ». Et de conclure : « Il faut libéraliser le capital des laboratoires pharmaceutiques ».

Lire aussi | Maroc. Le canadien Aya Gold & Silver décroche sept nouveaux permis d’exploration

Les retombées de notre communication dépassaient nos espérances. Le soir même, la première chaîne nationale diffusa un reportage sur le sujet en ouverture de son JT de 20 heures. Le lendemain, de grosses manchettes de la presse écrite ont abondamment relayé nos doléances. Cheikh Biadillah m’appela pour me féliciter de cette médiatisation aussi large que réussie. Des contacts eurent lieu entre le gouvernement et le parlement avec un but urgent : voter le nouveau code de la pharmacie et enlever tout frein à l’investissement.

J’avais appris par la suite que, pour adopter la loi tant attendue, les députés se réunirent un dimanche à minuit, à quelques heures de la fin de la session parlementaire de l’automne. Depuis ce jour, tout investisseur pouvait entrer au capital d’un laboratoire marocain. Je reçus les félicitations de l’ensemble de la profession. Sothema n’avait plus besoin de deux lignes de cotation en Bourse. Quelques semaines après, Promopharm devint le deuxième laboratoire marocain à entrer en Bourse.

Avec l’ex-ministre de la Santé Mohamed Cheikh Biadillah

[1] Aujourd’hui, ce groupement s’appelle LEMM Maroc.

[2] Confédération Générale des Entreprises du Maroc.

[3] Office de la Formation Professionnelle et de la Promotion du Travail.

[4] Contrat à Durée Indéterminée.

 
Article précédent

OCP obtient un financement de 100 millions de dollars de l'IFC

Article suivant

Espagne. Plan d’urgence pour éviter l'étouffement économique de Sebta et Melilla