Culture

Najia Mehadji : l’insoutenable légèreté du geste !

Après le Musée d’Art Moderne du Céret, c’est les cimaises des Villas des Arts de Casablanca (du 7 mars au 31 mai 2019) et de Rabat ( du 8 mars au 31 mai 2019) qui accueillent la grande rétrospective de Najia Mehadji. Survol des facettes d’une palette inclassable !  

L’été 2018, le Musée d’Art Moderne de Céret du Sud de la France a ouvert ses portes pour une rétrospective inédite, consacrée à l’artiste internationale Najia Mehadji, du 30 juin au 4 novembre 2018. Curetée par sa conservatrice en chef, Nathalie Gallissot, l’accrochage a attiré pas moins de 35.OOO visiteurs. Après la France, c’est les capitales économique et administrative du Royaume, Casablanca et Rabat, qui abritent deux accrochages complémentaires qui font suite à «la trace et le souffle» : «Le Trait et la Forme, 1985-2018» et «Le flux et la danse». Des titres évocateurs du parcours d’une artiste qui mixe l’Orient et l’Occident.

Fruit d’un couple mixte, un papa originaire de Fès, capitale spirituelle du Royaume, et une maman française, Najia Mehadji est née en 1950 à Paris. Très jeune, elle s’intéresse au dessin et peint, à l’âge de dix ans, des marines inspirées des vacances familiales sur les côtes atlantiques ou méditerranéennes.

Après des études en arts plastiques et esthétiques à la Sorbonne, ses rencontres des figures marquantes de l’effervescence culturelle des années soixante-dix, elle se passionne pour le théâtre expérimental et la chorégraphie. Intellectuelle qui collabora à une revue féministe, curieuse des cultures mondiales, après de longues années de pratique picturale, Najia Mehadji finit par se forger son propre style, une synthèse entre l’histoire de l’art et ses écoles occidentales et l’imaginaire à la fois musulman et oriental en général. Et le geste fut !

Danses extatiques

J’ai découvert, pour la première fois, les œuvres de l’artiste grâce à une exposition qu’a abritée la défunte galerie Meltem avec ses catalogues originaux concoctés par Nawal Slaoui. Je la retrouve à Paris avec les accrochages de l’année du Maroc en 1999 et puis sur les murs du Taros à Essaouira, café littéraire et culturel qu’Alain venait d’ouvrir… Najia Mehadji, qui expose régulièrement à travers les quatre coins de la planète, a atterri le temps de ses escales marocaines à l’Atelier 21, galerie qui soutient le grand hommage de la Fondation ONA. A parcourir les parcours des villas des arts de Casablanca et Rabat, avec une centaine d’oeuvres en provenance de plusieurs collections publiques et privées , on est ébloui par les «Images» époustouflantes de l’artiste, l’ensemble rehaussé d’un joli catalogue édité par la Fondation ONA, ainsi que d’un film dévoilant l’artiste dans son atelier et son intimité, réalisé par la complice Brigitte Huault-Delannoy.

Najia Mehadji, parlant de sa première rétrospective en France déclare, « Cette exposition au musée de Céret est très importante pour moi, car elle représente une étape signifiante qui montre que le chaos intérieur a été surmonté, pour suivre une trace, un souffle qui sont mes guides. Il y a une petite musique, comme un refrain qui résonne dans chacune de mes oeuvres. De plus, je pense que cette exposition ira voyager au Maroc, ce qui m’apporte une grande joie. » une joie largement partagée par le public et les fidèles de son univers.

L’artiste, avec son style minimaliste, le dépouillement de ses traces sur la toile, nous résume à sa manière sa vision du monde. En cherchant l’essentiel, en commençant par le particulier qui embrasse l’universel, en synthétisant les créations humaines appartenant à diverses cultures et époques…elle nous dévoile le sens de notre existence. Paris, Fès, Ispahan, Rome…lui inspirent les formes géométriques et des architectures qui dépassent le bâtir pour figurer le cosmos, l’univers. Avec les fleurs, les pétales, leur légèreté et fragilité, elle nous met devant la faiblesse de notre existence. Et puis elle résume l’ensemble avec les danses extatiques chères à Nietzsche qui écrit dans «Ainsi parlait Zarathousta», « je considère comme gaspillée toute journée où je n’ai pas dansé ».

Et si la danse résume notre besoin de se soustraire au chaos du monde? Les oeuvres de l’artiste sont légères, fluides, coulantes, minimalistes et surtout belles ! Mais derrière chaque trait, chaque geste, chaque étalage avec ce fameux pinceau coréen que l’on dirait une flûte indienne, la musique n’est pas loin, il y a le fracas du monde, la Bosnie, le terrorisme…! Comment pouvait-elle faire autrement quand l’actualité vous poursuit dans les retranchements de votre isolement mystique ? Je n’hésite pas encore à la citer, « Est-ce que l’art peut quelque chose contre la barbarie ? Je pense que oui… L’art est essentiel à l’être humain dans les moments très difficiles, pour soulager la douleur morale ou mentale. Mon œuvre est finalement une forme de résistance, puisqu’elle montre que l’on peut faire la synthèse entre les arts de toutes les civilisations. » C’est ainsi que Najia Mehadji a atteint l’universel à travers le truchement du soufisme qui transcende les dogmes et les religions pour toucher l’universel, l’infini, l’absolu, dans une sorte de mouvement perpétuel.

Allez admirer les oeuvres dans des espaces adéquats des Villas des Arts de Rabat et de Casablanca. Des oeuvres où les éléments de l’univers se donnent à voir dans des calligraphies indéchiffrables. A force de regarder, on se laisse emporter, on rêve éveillé et on danse sans bouger. Dionysos, les derviches tourneurs de Jalal Eddine Roumi, les Gnawas et leurs transes…ne sont pas loin ! Avec ces vagues en blanc et bleu, personnellement je vois les mouvements des danses collectives et mixtes d’Ahidous du Moyen Atlas ! L’oeuvre est offerte et chacun peut y voir ce qu’il désire. N’est-ce pas la caractéristique même de l’oeuvre ouverte théorisée par Umberto Eco? L’oeuvre a suscité plusieurs reflexions et critiques, les Khatibi, Pascal Amel, Nathalie Gallissot, Bouthaina Azami, Christine Buci Glucksman et autre Mohamed Rachedi qui résume, m’offrent une conclusion pertinente « Au coeur de l’oeuvre de Najia Mehadji : le corps, l’éros et la mystique. Chez elle, tout acte graphique ou pictural s’enracine d’abord et avant tout dans la dynamique du corps dans ce qu’il a de plus vivant et d’animé de pulsion désirante, de plus concrètement ancré dans l’ici et maintenant du sensible, mais qui demeure sans cesse tendu vers l’ailleurs, vers l’univers suprasensible. En effet, c’est toujours à partir de son propre corps agissant sur des supports matériels, papier ou toile, que l’artiste fait naître ses créations à portée spirituelle. » 

 
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