Nantissement : une bouffée d’oxygène pour la trésorerie des entreprises ?
Le régime juridique du nantissement des marchés publics, vient de faire l’objet de refonte en vertu d’une loi qui entre en vigueur le 13 juin 2015, c’est-à-dire trois mois à compter de sa publication au Bulletin Officiel. Cette réforme intervient dans le cadre de la révision globale du dispositif régissant la commande publique. Pourra-t-elle constituer une nouvelle possibilité d’élargir les financements de l’entreprise ? par C.A.H.
Les entreprises adjudicataires de marchés publics, notamment les PME, rencontrent souvent des difficultés financières pour faire face aux dépenses générées par les travaux, les fournitures et les services, ce qui se traduit par des retards dans l’exécution de ces marchés et parfois par du contentieux. Ceci est dû à plusieurs facteurs, dont notamment la sous-capitalisation des entreprises et l’application par l’Etat de la règle du «service fait» qui ne permet le règlement qu’après exécution des travaux, fourniture des biens ou prestation des services. Le nouveau dispositif pourrait rétablir la confiance des banques dans ce type de garantie, ce qui faciliterait l’accès au financement bancaire des entreprises adjudicataires de marchés publics.
Pour leur permettre d’accéder au financement, l’Etat les autorise à donner les marchés dont elles sont titulaires, en garantie des prêts contractés pour les besoins desdits marchés auprès des établissements de crédit. Ce mécanisme de garantie a été introduit au Maroc dès 1948 avec le Dahir du 28 août de la même année, relatif au nantissement des marchés publics dont certaines dispositions ne répondent plus aux besoins des entreprises qui traitent avec l’Etat.
Le nouveau dispositif introduit quelques améliorations de nature à renforcer la confiance des banques dans ce type de garantie, même si le souci de l’Etat de préserver ses intérêts en matière de recouvrement de ses créances risque de décourager les bailleurs de fonds à se contenter, pour la couverture de leurs concours financiers, du nantissement des marchés publics.
Avantage de la simplification de la prise de garantie
Selon la nouvelle loi, les marchés qui peuvent être donnés en nantissement, dans le cadre de ce régime, sont ceux conclus avec l’Etat, les régions, les préfectures, les provinces, les communes et leurs groupements et les établissements publics. Donc, les marchés des entreprises publiques et des entreprises concessionnaires de services publics restent en dehors de ce régime ; leur nantissement obéit aux règles prévues par le Dahir des Obligations et des Contrats (DOC) et le Code de Commerce.
L’un des apports majeurs de la réforme est la simplification de la prise de cette garantie à travers une description claire de la procédure et aussi l’unification des actes et documents utilisés ; ce qui se traduirait par la fluidification des relations entre les intervenants dans le processus du nantissement, à savoir, le maître d’ouvrage ( l’Etat, la collectivité territoriale et l’établissement public), le comptable public chargé du paiement, l’entreprise adjudicataire et la banque qui assure le financement du marché.
La mise en place du nantissement d’un marché public obéit à un formalisme bien défini mettant chaque intervenant devant ses responsabilités ; la banque, bénéficiaire du nantissement, se trouve ainsi rassurée concernant la validité de sa garantie du fait que le rôle du comptable chargé du paiement et celui du maître d’ouvrage sont clairement définis. Etant constitué gardien de la garantie (tiers détenteur du gage selon les termes de la loi), le comptable public engage, outre sa responsabilité professionnelle, sa responsabilité pénale en cas de non observation des règles prévues par la loi. Ceci se traduirait par le rétablissement de la confiance dans cette garantie qui deviendrait un levier facilitateur de l’accès au financement bancaire des entreprises titulaires des marchés publics.
Autre nouveauté, les documents utilisés dans l’opération de nantissement sont fixés par voie réglementaire. Ainsi, les modèles de l’acte de nantissement, de l’état sommaire des travaux, fournitures ou services, de l’attestation des droits constatés et de l’accusé de réception sont fixés par arrêté du Ministre de l’Economie et des Finances. Ceci va permettre d’uniformiser la pratique et d’éviter toute difficulté d’application de la loi relative au nantissement des marchés publics.
L’obligation d’information du maître-d’ouvrage
Dans le but de permettre au bénéficiaire du nantissement de suivre l’exécution des marchés pour une bonne gestion des concours financiers mis en place en faveur des entreprises, le maître d’ouvrage est tenu de l’informer de tout incident susceptible d’affecter la garantie ; contentieux, résiliation du marché, décès de son titulaire, pénalité de retard etc. De même, le bailleur de fonds est habilité à demander au maître d’ouvrage la communication de documents sur l’état d’exécution du marché : état sommaire des travaux, fournitures ou services effectués, attestation des droits constatés, état des avances consenties et des acomptes mis en paiement.
Le nantissement donne à la banque le droit d’encaisser le prix du marché par priorité aux autres créanciers malgré toutes oppositions. Toutefois, il faut noter que le droit de préférence accordé à la banque est primé par trois privilèges ; le privilège des frais de justice, le privilège des ouvriers et employés en cas de redressement ou de liquidation judiciaire de l’employeur, mais surtout par le privilège du Trésor pour le recouvrement des impôts et taxes. La primauté du privilège du Trésor sur celui du créancier nanti réduit l’efficacité du nantissement des marchés publics en tant que garantie des crédits. Cette donnée pourrait inciter les banques à exiger d’autres garanties à l’occasion du financement des marchés publics, ce qui pénaliserait les entreprises, notamment les PME.
Le législateur n’a pas pu à l’occasion de cette réforme, trouver une solution à la problématique de la dynamisation du financement des marchés publics face au souci de recouvrement des créances publiques. La question est de savoir si l’Etat, en donnant la priorité au recouvrement de ses créances, ne va-t-il pas réduire les chances de succès de ses projets d’investissement confiés aux entreprises et par ricochet, compromettre les possibilités de récupération de ses impôts et taxes.