Négligence criminelle
Dans un cabinet médical de l’ancienne Médina de Casablanca, exceptionnellement bondé ce jour-là, on a frôlé la tragédie jeudi dernier. Une butane a pris feu, alors qu’elle venait d’être installée, créant la panique, avant l’intervention d’un patient qui a réussi à l’éteindre, au prix de brûlures graves. Si le drame avait eu lieu, les conséquences en vies humaines auraient été très lourdes. Or, l’assistante du médecin avait constaté, et signalé à l’employé de l’épicier que la bonbonne était «toute cabossée». Chaque année, des familles n’ont pas la chance d’une issue aussi heureuse. Hors, jamais il n’y a eu enquête judiciaire pour déterminer les responsabilités. On s’en remet à la fatalité, au mektoub. Alors que ce sont des consommateurs, victimes d’un produit qu’ils ont acheté.
Il doit sûrement exister une législation autour des mesures de sécurité, imposées aux producteurs. Mais peut-on savoir qui contrôle leur application, combien de contrôles sont réellement exercés et quels sont les résultats ? Rien de tout cela n’est à la disposition du public. Un haut cadre du secteur répond que «le problème existe, le parc de bonbonnes est bon pour la casse pour une bonne moitié». C’est bon pour la structure des coûts, mais le compte n’est pas bon pour le consommateur. L’épicier enfin, ne joue pas un rôle de filtre, exigeant des contenants de qualité, parce qu’il est sûr que même en cas d’accident, sa responsabilité n’est pas engagée.
C’est un vrai problème de protection du consommateur, qui mérite que les pouvoirs publics, les tissus associatifs, s’y intéressent, avant que la compétitivité à tout prix, dans l’irresponsabilité absolue, ne débouche sur la multiplication de drames. On peut être pessimiste, parce qu’il y a un produit qui, depuis une décennie tue chaque année plusieurs Marocains, chez eux, dans leur salle de bain. Le chauffage à la chinoise, à bas prix, tue. On le sait, mais on ne fait rien. Ils pénètrent toujours sur le territoire, sont commercialisés, installés, sans qu’aucun contrôle ne soit exigé. Les Marocains n’ayant pas la culture des procès en civil, c’est aux pouvoirs publics d’y mettre un terme, parce que le consommateur sera toujours attiré par des prix très largement inférieurs à ceux de la concurrence.
Dans les deux cas, il est urgent d’établir des normes strictes et de se donner les moyens de s’assurer de leur respect. Le risque zéro n’existera jamais, mais il faut y tendre. Pour le moment, on fait l’inverse, on tente le diable par une permissivité face à la prise de risque, qui multiplie les chances d’accident et devient une irresponsabilité flagrante. Les associations de consommateurs qui existent, travaillent, mais n’arrivent pas à avoir l’aura qu’elles méritent, doivent se saisir du dossier. Militer pour que l’administration assure ses fonctions régaliennes, dont la protection des citoyens. Elles peuvent faire plus en incitant les victimes à porter plainte pour négligence criminelle. Le jour où les procès se multiplieront, assureurs et producteurs se rangeront du côté de la vigilance et l’environnement changera au profit de tous. ■