Nezha Hayat : «Le marché des capitaux joue un rôle important pour accompagner la relance économique»
Le paysage financier et économique fait actuellement face à un contexte particulier, marqué par la sortie de crise et l’adoption de plans ambitieux pour la relance de l’économie et le développement du pays, où le marché des capitaux est appelé à jouer un rôle important et complémentaire aux autres sources de financement de l’économie. Explications de Nezha Hayat, présidente de l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC) sur le rôle de cette instance de régulation, les actions mises en place et les défis à relever.
Challenge : Quel rôle a joué le marché des capitaux dans la relance économique et financière du Maroc, notamment après la crise de la Covid et le besoin accru en financement des entreprises ?
Nezha Hayat : Le rôle fondamental du marché des capitaux est de contribuer au financement de l’économie, rôle encore plus important dans des situations de crise telle que celle de la Covid, ou encore celle résultant du récent contexte géopolitique international. A ce titre, l’analyse de plusieurs indicateurs nous a permis de constater que notre marché a fait preuve de résilience durant ces crises. En effet, le marché des capitaux a continué à fonctionner normalement et à mobiliser l’épargne pour le financement des entreprises pendant une période d’incertitude et de besoin de financement accru. A titre d’exemple, le nombre d’investisseurs personnes physiques intervenant sur le marché a continué à croître, notamment sur le segment de la bourse en ligne. L’industrie de la gestion d’actif, pour sa part, a également poursuivi sa dynamique de développement en franchissant la barre des 500 milliards de dirhams d’actifs sous gestion, soit plus de la moitié des dépôts bancaires.
De même, le marché a renoué avec la dynamique des introductions en bourse avec quatre opérations réalisées depuis le déclenchement de la crise sanitaire en 2020. Quant au marché obligataire, il a aussi démontré sa capacité à répondre aux besoins des entreprises en affichant une hausse de 10% en 2020, en pleine crise sanitaire. Ce segment a, en outre, continué à accompagner les efforts de relance économique en permettant de structurer des financements innovants pour de nouveaux acteurs, notamment adjudicataires de marchés d’infrastructures publiques et collectivités territoriales. Ces évolutions positives sont principalement le résultat d’une nouvelle approche en matière de régulation, alliant simplification, innovation et supervision par les risques, et ce, afin d’assurer un bon fonctionnement des marchés et protéger l’épargne des investisseurs.
Challenge : Dans ce sens, quelles ont été les nouvelles formes de risques que le marché des capitaux a dû appréhender et se doit d’anticiper ?
N.H : Je tiens à rappeler que malgré la crise la continuité d’activité des acteurs et des infrastructures du marché a été assurée. Dès le début de la crise, nous avons mis en place un dispositif d’accompagnement et de suivi rapproché des intervenants sous notre contrôle. Grâce à un travail mené en étroite collaboration avec notre écosystème, nous avons veillé à ce que tous les intervenants et infrastructures concernés mettent en place des plans de continuité d’activité efficaces pour assurer un fonctionnement normal du marché des capitaux.
Enfin, nous avons également accompagné les émetteurs en les sensibilisant sur l’importance de maintenir le même niveau de transparence, et ce, en dépit de la dispense réglementaire introduite dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. L’industrie de la gestion collective constituait un point d’attention particulier au regard de sa dimension systémique. Le besoin accru de liquidité de certains investisseurs a créé une grande tension à laquelle les OPCVM ont dû faire face. Afin de répondre au mieux à cette situation, l’AMMC a mis en place auprès des sociétés de gestion un suivi quotidien des opérations à l’actif et au passif des fonds et a exigé des stress tests afin de surveiller la capacité des fonds à résister à des situations de forte tension. Les stress tests ont mis en lumière un risque de liquidité et un risque de crédit maîtrisés, ainsi qu’une bonne capacité à honorer les demandes de rachat reçues, conséquences de stratégies d’investissement globalement prudentes et d’expositions relativement conservatrices.
Challenge : Quelles sont les actions que l’AMMC a entrepris pour anticiper les risques et prévenir les émetteurs et investisseurs des risques encourus ?
N.H : La gestion par les risques est une approche incontournable dans la régulation des marchés de capitaux. C’est dans ce sens que l’AMMC, dans une démarche préventive et depuis sa transformation en 2016, a élaboré des cartographies de risques internes et externes selon une méthode standardisée et en utilisant une plateforme dédiée. Aussi, la déclinaison des processus de l’AMMC, notamment la gestion des autorisations et des contrôles, est basée sur l’approche par les risques. Durant la période de la crise de Covid, plusieurs actions ont été entreprises par l’AMMC pour préserver le bon fonctionnement du marché des capitaux, sa transparence et son intégrité telles la veille à la résilience des infrastructures du marché, à la bonne information et à la protection des investisseurs (communication financière des émetteurs, publications de recommandations, de guides…). Durant cette période aussi, les échanges entre les différentes autorités de supervision dans le cadre du Comité de coordination et de surveillance des risques systémiques ont permis de préserver la stabilité du système financier national dans son ensemble.
Challenge : Quels sont les défis que l’Autorité marocaine des marchés des capitaux doit relever pour aider le Maroc à se repositionner économiquement et financièrement au niveau international ?
N.H : Le positionnement international de notre marché des capitaux constitue un levier important pour son développement et son attractivité, notamment en termes de captation des flux de capitaux étrangers. Il s’agit de l’une des dimensions principales de l’action de l’AMMC en la matière.
Tout d’abord, l’AMMC veille à l’alignement de notre marché avec les standards internationaux, notamment à travers notre implication au sein de l’OICV et de ses différents comités régionaux et thématiques. A titre d’exemple, le Comité régional Afrique et Moyen-Orient de l’OICV que je préside depuis 2020, œuvre à porter la perspective et les enjeux des pays de notre région afin qu’ils soient pris en compte lors de l’élaboration des standards internationaux de régulation.
Ensuite, nous nous appuyons sur la coopération bilatérale avec nos pairs pour favoriser l’échange d’expériences et la convergence des cadres nationaux, notamment avec nos homologues africains, ce qui est susceptible de faciliter l’intégration de nos marchés et la création de synergies entre nos économies respectives. Ainsi, grâce à un travail soutenu sur le volet normatif, le marché des capitaux propose aujourd’hui un large choix de solutions pour répondre aux différents besoins des acteurs économiques, qu’il s’agisse de moyens de financement ou de véhicules d’investissement. A titre d’exemple, nous avons introduit de nouveaux instruments innovants tels que les obligations durables et les obligations municipales, qui pourront accompagner les orientations de notre royaume en matière de développement durable et de régionalisation avancée. D’autres instruments, tels que les organismes de placement collectif en immobilier (OPCI), ou encore le marché alternatif dédié au financement des PME, ont été lancés pour faciliter le financement des différents secteurs économiques.
Toutefois, ces outils ne sont pas tous utilisés à leur plein potentiel, d’où l’importance d’un effort collectif de promotion pour augmenter la profondeur, et par conséquent l’attractivité du marché. Il s’agit notamment de rompre avec l’idée préconçue que le marché des capitaux est réservé à une élite de grandes entreprises et d’investisseurs institutionnels, et d’attirer davantage d’acteurs, ce qui nécessite de déployer des efforts importants en matière d’éducation financière et de vulgarisation des solutions du marché auprès des investisseurs et des entreprises de toutes tailles.
Ainsi, il est nécessaire d’élargir le nombre d’investisseurs sur le marché, notamment les personnes physiques, pour avoir un niveau de liquidité satisfaisant. La réalisation de cette ambition pourrait être favorisée par la réalisation d’opérations emblématiques telles que les ouvertures de capital d’entreprises publiques. En effet, ce type d’opération a prouvé sa capacité à induire un effet d’entrainement positif sur le marché et à mobiliser l’épargne publique.
Challenge : Comment voyez-vous l’évolution du paysage du marché des capitaux nationaux dans les prochaines années à venir ?
N.H : Nous faisons actuellement face à un contexte particulier, marqué par la sortie de crise et l’adoption de plans ambitieux pour la relance de notre économie et le développement de notre pays, où le marché des capitaux est appelé à jouer un rôle important et complémentaire aux autres sources de financement de l’économie. En effet, le marché des capitaux offre aujourd’hui les outils nécessaires pour accompagner cette nouvelle dynamique.
En outre, nous allons continuer à participer à améliorer le cadre législatif et réglementaire par des évolutions visant à enrichir davantage l’offre d’instruments financiers, et à faciliter la mobilisation de l’épargne au service de l’investissement productif. Pour maximiser l’impact de ces réformes, nous veillons à mobiliser toutes les composantes de l’écosystème du marché autour d’une vision commune et d’une action coordonnée. Ainsi, et en complément des rencontres bilatérales avec les différents acteurs du marché, nous avons instauré une rencontre bi-annuelle réunissant tout l’écosystème du marché afin d’échanger collectivement sur nos réalisations respectives et sur les priorités communes à adresser, la dernière ayant été tenue cette semaine.