Occupation du domaine public : une réforme au goût d’inachevé
L’occupation du domaine public est un sujet qui se trouve au centre de controverses depuis de nombreuses années. Avec les agréments de transport et l’exploitation des carrières, il symbolise les phénomènes de déni de droit, de privilèges et de situations de rente dont souffre notre société. Seulement, le Maroc de la constitution de 2011, ne s’accommode plus avec de telles pratiques; leur maintien constitue une violation flagrante et inadmissible des principes consacrés par la loi fondamentale. par C.A.H.
Le gouvernement aux commandes depuis bientôt quatre ans, a placé ces questions parmi ses priorités. Mais va-t-il pouvoir tenir ses engagements ? Sera-t-il capable de mener à bout de vraies réformes ? Ne sera-t-il pas acculé par les défenseurs du maintien du statu quo à se contenter de réformettes, juste pour ne pas perdre la face avec ses électeurs ? Autant de questions auxquelles nous tenterons de répondre à travers l’analyse du projet, dont le texte a été mis en ligne pour consultation publique.
L’examen du projet de loi relatif à l’occupation temporaire du domaine public, laisse comprendre que l’exécutif est incapable de traiter le mal dans toute son ampleur. Il se limite à apporter quelques modifications au Dahir du 30 novembre 1918, alors que les observateurs s’attendaient à un nouveau texte qui rompt complètement avec l’ancien dispositif qui a ouvert la porte à « la privatisation » d’une partie du domaine public.
Un régime de faveur pour les gros investissements.
Le constat dressé par la note de présentation du projet est alarmant : «cession du domaine public», «redevances dérisoires», «occupation gratuite du domaine public», «privatisation de fait du domaine public»… Devant la force des mots employés, le lecteur du texte s’attend à une riposte appropriée du gouvernement en vue de mettre fin à cette situation. Sa déception ne peut être qu’immense, car aucune solution n’est prévue. Le projet ne dit pas mot de l’assainissement de la situation actuelle. C’est un aveu d’impuissance de la part du gouvernement et de son manque de courage à traiter en profondeur la problématique de l’exploitation illégale du domaine public. Le projet se limite à énoncer des règles pour l’avenir ; mais n’est-ce pas une manière de dire : «fermons les yeux sur l’existant et occupons-nous du futur» et «laissons ceux qui ont eu la chance de s’approprier le domaine public de continuer à en profiter».
Il est à noter toutefois, que le projet gouvernemental apporte quelques changements qui, sur le plan théorique au moins, présentent un certain intérêt. Ainsi, l’occupation du domaine public se fera dorénavant dans un cadre «transparent» sur la base d’un cahier des charges. Seulement, aucune mesure de publicité n’est prévue pour dévoiler l’identité des bénéficiaires retenus, comme c’est le cas dans d’autres pays. De même, l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public peut être accordée d’une manière directe dans des cas limités, mais assez nombreux pour ouvrir la porte aux excès: absence d’offres suite à l’appel à la concurrence ou réalisation d’équipements publics, de projets d’investissements dépassant 200 millions de DH, de projets de sociétés à capital public et aussi de projets sur des propriétés privées dont la valorisation nécessite l’occupation d’une parcelle limitrophe du domaine public.
Plus d’autorisations pour les résidences particulières
Quant à la période d’occupation, elle est de dix ans au maximum, prorogeable une seule fois pour la même durée. Pour les investissements dont le montant est supérieur à 200 millions de DH, elle peut aller jusqu’à trente ans, renouvelable une seule fois pour une durée de vingt ans. Dans le but de protéger les intérêts des investisseurs, il est prévu que le retrait de l’autorisation avant son terme donne lieu au versement par l’Etat d’une indemnité dont le montant est fixé par une commission administrative. A la fin de l’autorisation, l’occupant est tenu de rétablir la parcelle du terrain dans son état initial. Mais contrairement à ce qui a été retenu pour l’exploitation des carrières, le projet de loi ne prévoit pas l’obligation de présentation de caution bancaire par le bénéficiaire. Un flou mérite cependant d’être tiré au clair, car il est prévu que la résiliation avant terme de l’autorisation ne donne lieu à aucune indemnité au titre de la perte du fonds de commerce.
L’apport le plus important de cette réforme, est l’interdiction de l’octroi de l’autorisation de l’occupation du domaine public pour les logements et résidences exploités à titre principal ou secondaire. Mais il faut reconnaître que son point faible reste l’absence d’un régime de traitement des résidences privées existantes; le texte se limite à énoncer que les autorisations d’occupations en cours, sont maintenues pour la durée fixée dans ladite autorisation sans qu’elle ne dépasse la durée maximale de dix ans. Mais quid des résidences dont la durée a expiré depuis de nombreuses années? Le projet, faute de courage politique, reste muet ; aucune solution n’est proposée, ce qui veut dire qu’il mérite d’être sérieusement amendé et complété au niveau des deux Chambres du Parlement.