Pain, avec ou sans liberté?
Remplir son ventre et se taire, voire rester affamé et se soumettre. Ou bien vivre libre avec un ventre vide. Les systèmes actuels dominants ont tendance à refléter ces situations radicalement opposées. Pourtant, pain et liberté ne sont guère inconciliables.
La Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) (1948) a plus de 70 ans. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ont le même âge, le premier étant entré en vigueur le 3 janvier 1976 et le second, tout de suite après, le 23 mars 1976. D’autres textes plus spécifiques verront le jour successivement, avec toujours un objectif unique : celui de doter l’humanité de règles universelles garantissant la protection de la dignité humaine.
Au départ, avec la DUDH, il a été question de mettre définitivement fin à la barbarie. Deux grandes guerres ont ravagé l’humanité toute entière. La première phrase de l’article premier de la DUDH a reconnu la liberté et l’égalité de tous les êtres humains en dignité et en droits. Cette DUDH devait mettre fin à toutes les formes de discrimination liées à la race, à la couleur, au sexe, à la langue, à la religion, à l’opinion politique ou à toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. Pourtant, malgré cette DUDH, les colonies étaient maintenues et les conflits armés n’ont pas cessé de se multiplier. Il a fallu plusieurs décennies pour mettre fin à l’Apartheid en Afrique du Sud et à l’occupation coloniale dans plusieurs régions dans le monde : Angola, Mozambique… Et aujourd’hui les grandes séquelles coloniales persistent. C’est surtout le cas de la Palestine où tout un peuple demeure privé de son droit élémentaire à l’existence. Le nouveau phénomène justifiant le recours à la violence est le terrorisme. Une part importante des richesses mondiales est mobilisée dans la fabrication des armes. L’offre doit susciter la demande. Et même si le terrorisme actuel n’existait pas, il aurait fallu en créer un, pour pouvoir justifier le maintien de cette économie de guerre.
Nous sommes face à deux visions qui, au lieu d’être complémentaires, s’opposent radicalement. L’une met l’accent sur les droits humains tels que définis dans le Pacte relatif aux droits civils et politiques, l’autre sur les droits économiques, sociaux et culturels. Aux Etats Unis d’Amérique, et dans la plupart des pays d’Europe, c’est la liberté individuelle qui est sacrée. Mais, en même temps, l’individu, dépourvu de ressources, est privé des droits économiques et sociaux. Libre mais sans ressources, il pourra dormir «librement» à la belle étoile, dans un carton. Malade, sans argent, ni couverture sociale, il attendra patiemment le départ vers cet autre monde, s’il existe vraiment. Il jouira ainsi d’une liberté individuelle, mais, parfois, dans la misère totale. A l’autre extrême, les personnes, en même temps riches et libres, pourront jouir de tous les plaisirs terrestres, y compris la liberté d’exploiter la misère des pauvres. La loi est là pour protéger leur liberté. Libres de posséder et de jouir du pouvoir que donne la richesse. Morale, religion et lois permettent de freiner, de limiter ce pouvoir qui risque souvent de transformer des individus en monstres humains.
Par contre, dans certains pays priorisant les droits économiques et sociaux, au détriment des droits civils et politiques, la règle «mange et ferme-la» prévaut. Autrement dit, l’individu doit s’effacer face à la «collectivité», l’Etat, qui prime. La liberté individuelle est perçue comme une menace. L’effondrement de l’URSS et des pays de l’Est de l’Europe, suite aux tentatives de réformes politiques, a accentué ce sentiment de menace, dans les pays qui conservent le référentiel idéologique marxiste. Ainsi les anciens Etats socialistes/communistes (Chine, Vietnam, Mozambique, Angola, Cuba…) entreprennent progressivement des réformes exclusivement économiques, tout en maintenant le mode d’organisation politique restrictif des libertés individuelles.
Pourtant dimensions politique et économique sont inséparables (Infrastructure et superstructure dans le langage althusérien). L’interaction est nécessaire et permanente.
Les nouvelles formations sociales en émergence, malgré l’influence historique des systèmes idéologiques ayant dominé le monde, peuvent ouvrir la voie à d’autres alternatives où pain et liberté, au lieu de s’opposer, se complètent et se renforcent, donnant ainsi une signification réelle et un contenu effectif à la dignité humaine.