Pour quand la dépolitisation du gaz butane ?
Les défections de certains équipements achetés par des ménages marocains ont fait d’innombrables victimes. Les dernières en date, étaient trois Sénégalaises surprises en plein sommeil par l’erreur humaine et par le gaz. Si ces défections techniques sont dangereuses pour la vie humaine, les prix de ce produit pourraient s’avérer toxiques pour une réforme qui tarde à cibler ceux qui méritent les subventions à caractère social. par Driss Al Andaloussi
L a compensation fait partie du paysage politique, elle est au centre des débats et parfois de querelles entre partis et est surtout un lieu où la réforme est la moins souhaitée et la plus combattue par des discours souvent démagogiques. Le coût de la compensation est bien calculé sur le plan politique. L’indexation a sauvé en partie le budget. L’évolution des prix sur le marché international a été une réelle bouffée d’oxygène pour la dépense publique. La chute des prix des hydrocarbures se maintient et a fait dire au ministre des Affaires générales et de la gouvernance, que la main du ciel était salvatrice pour notre pauvre budget. Entre temps, le sucre, la farine et le gaz butane continuent de constituer une charge qui ne peut être totalement qualifiée de sociale. Les cibles de la compensation ne sont que partiellement atteintes par les «générosités budgétaires». L’essentiel des subventions profite à ceux qui peuvent s’offrir les produits subventionnés à leur prix réel. Et à la tête de ces produits, se trouve le gaz butane.
Les questions fusent de tous les côtés et les réponses gouvernementales se sont inscrites depuis longtemps dans le flou. Annoncer qu’on va annoncer dans un proche avenir une réelle réforme de la compensation est un discours qui a trop duré. Le nombre d’articles de presse » écrits sur la base d’informations qualifiées de fiables et à partir de sources considérées comme «sûres», annonçant la fin de la subvention au gaz, est grand. Entre affirmations et démentis très savamment distillés, le citoyen plus que l’homme politique est en droit de savoir si la décision sera prise demain ou reléguée au gré de la situation politique et de ses soubresauts.
Ménages, compensation et taxes sur les produits énergétiques
En 2013, les ménages ont bénéficié de 12,7 milliards de DH au titre des produits énergétiques, soit moins de 38% du montant total de la compensation qui s’est élevé à 33,649 milliards de DH. Et même à l’intérieur de la catégorie «ménages», les disparités sociales réduisent l’effet social de la compensation. Les quantités consommées par les familles pauvres (gasoil, essence et gaz butane) sont moins importantes que celles consommées par les familles de la catégorie «moyenne supérieure et aisée».
Beaucoup de calculs ont été faits pour déterminer le prix «réel» des bonbonnes de gaz que le citoyen achète auprès de son épicier à un prix «artificiellement bas» de plus de 20 DH pour celle de 3 kg et de plus de 80 DH pour celle de 12 kg. Mais pour aller plus dans la logique des calculs des coûts, il faut aussi calculer le montant des transferts affectés à travers le mécanisme de la compensation pour alimenter en gaz des exploitations agricoles, des pâtisseries, des boulangeries, des exploitations agricoles et des familles aisées. Plus logique, serait la démarche qui consisterait à comparer, comme l’a fait la Cour des comptes, les coûts de la compensation avec les prélèvements de la fiscalité indirecte sur les produits énergétiques importés. En 2013, la TIC (taxe intérieure à la consommation) et la TVA sur l’importation des prix énergétiques, ont rapporté à la caisse de l’Etat 24 milliards de DH. Les chiffres de 2014 n’ont pas connu de bouleversements significatifs. La baisse de 8,2% du produit de la TVA à l’importation des produits énergétique, a été compensée par la hausse de la TIC. Cette dernière a comme assiette le tonnage et non la valeur. Les recettes susvisées ont donc couvert environ 64% de l’ensemble des émissions au titre de la compensation en 2014, soit 37,2 milliards de DH .Si on enlève les subventions au titre du sucre et de la farine, la balance serait presque parfaite. L’impôt est donc une composante essentielle dans la structure des prix et il faut le dire pour relativiser le langage comptable et ses rigueurs. Les 23 milliards de DH budgétisés pour 2015 au titre de la compensation seraient, et nous le souhaitons, moins élevés que les taxes qui grèvent les produits énergétiques à l’importation.
L’éternelle question du ciblage
Reste le ciblage et ses portées politiques et parfois « politiciennes ». Le FMI et la Banque Mondiale demandent la réalité des prix et le transfert social vers ceux qui le méritent et nous assistons depuis le début du processus, à des réformes par « petites touches » de la question. L’indexation et la courageuse décision de son application ne sont pas suffisantes. L’aide directe aux familles nécessiteuses doit être bien calculée et surtout bien pilotée et bien sûr, il faut pouvoir entrer dans une bataille contre les lobbys défendant certains systèmes de rente dans tous les secteurs. A la veille d’une bataille électorale qui s’annonce difficile, le prix du gaz butane peut réchauffer les ardeurs et le système nerveux politique.