Pour une diplomatie marocaine novatrice en Afrique Subsaharienne
Le Maroc – malgré l’ancienneté de ses rapports avec un grand nombre de pays de la ceinture sahélienne, malgré la profondeur et la multiplicité de ces rapports avec des pays comme le Sénégal, le Mali, la Guinée Conakry ou la Côte d’Ivoire – semble en retrait au regard des derniers évènements vécus dans la région et sa diplomatie paraît tétanisée, comme interdite face à ce que peut être la réaction de l’Algérie à toute action que les Marocains pourraient entreprendre.
C’est une diplomatie de l’attentisme qui ne nous a jamais réussi et qui n’a pas, notamment, permis au Maroc de mobiliser plus de soutiens à certaines de ses causes, dont celle du Sahara n’est pas la moindre. Et pourtant, notre pays est attendu, recherché, demandé par nombre de nos partenaires africains – et européens – qui pensent, à juste titre, qu’il a des cartes à jouer, dont celle de sa proximité historique, culturelle, religieuse avec la plupart des pays du Sahel, et au-delà.
Pourquoi le Maroc ne joue-t-il pas de ses atouts ? Pourquoi ne montre-t-il pas plus d’allant dans sa démarche et ses relations avec les pays situés au-delà de ses frontières sud ?
Ce sont là des questions qui se posent avec d’autant plus d’acuité que les opportunités du moment sont bien nombreuses, qu’il serait fortement dommageable de les gaspiller, comme cela se produit bien trop souvent depuis quelque temps.
En réalité, et au-delà de la diplomatie et des relations strictement politiques entre Etats, la voie qui permettrait à la région sahélienne – comme à l’ensemble de l’Afrique – d’éviter terrorisme, instabilité et guerres de tous ordres est celle du développement économique et social sur le long terme; celle du relèvement du niveau de vie et d’espérance des Africains. Et à ce niveau, notre pays a des cartes à jouer à plusieurs niveaux et dans différents secteurs :
1. Ainsi, dans le secteur agricole, les complémentarités entre le Maroc et certains pays sahéliens, comme le Mali ou le Niger, sont extrêmement importantes. Le Maroc dispose en effet de beaucoup d’expérience dans ce secteur, avec des ressources humaines relativement qualifiées, comme il exprime certaines années des besoins en produits alimentaires importés importants. Au Mali ou au Niger, il existe de grandes superficies de terre, potentiellement irrigables et exploitables, mais qui sont encore largement inexploitées faute de ressources humaines expérimentées, de moyens matériels et de marchés. Or, on peut imaginer des contributions humaines ou techniques du Maroc pour l’exploitation d’une partie de ces terres, en vue de la satisfaction des besoins alimentaires des populations locales, et aussi de toute la région, dont notre pays. Il est possible également d’entrevoir des participations triangulaires, impliquant d’autres pays du Maghreb et des pays de l’UE. Ces derniers apporteraient leur savoir-faire et quelques ressources financières. Le Maroc et la Tunisie formeraient des cadres de pays du Sahel dans leurs instituts de formation agricole. Les Algériens et les Libyens contribueraient financièrement et ouvriraient leurs marchés aux produits sahéliens. Ces actions profiteraient aux emplois et aux populations locales tout en permettant la satisfaction de besoins d’autres consommateurs (marchés internationaux devenus extrêmement tendus par manque de terres à exploiter ces dernières années).
2. Le Maroc pourrait s’impliquer avantageusement dans le secteur textile de l’ensemble des pays de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) grâce à son expérience, à la technicité de ses entreprises et aux aptitudes de sa main-d’œuvre. Il bénéficierait ainsi, par exemple, de « l’Initiative sur le Coton » élaborée depuis quelques années par l’ONUDI en faveur de 11 pays, dont 9 de la CEDEAO. Cette initiative vise en particulier :
- le développement et l’amélioration de la productivité et des capacités d’offre de la chaîne de valeur coton-Textile-Habillement;
- l’amélioration de la qualité et de la conformité des marchandises fabriquées en Afrique avec les prescriptions techniques applicables à l’international;
- la connexion des producteurs locaux dans le système commercial multilatéral[1]. Les Marocains et Tunisiens pourraient notamment former, dans les instituts de formation qu’ils dédient à ce secteur, des cadres originaires des pays de la zone.
3. Au niveau industriel encore, les Marocains pourraient mettre, avec le support technique et financier de pays de l’UE, leur savoir-faire et leur technicité dans des secteurs tels que celui des matériaux de construction, de transport, du bâtiment ou du cuir, avec des retombées importantes en matière d’emploi et de rentabilisation des chaînes de valeur.
4. Dans le secteur touristique, les Marocains pourraient également contribuer à la formation de cadres de pays sahéliens, aussi bien dans la restauration que dans l’hôtellerie. Ils pourraient aussi mettre leurs aptitudes matérielles et des moyens humains dans la protection et la promotion de quelques sites touristiques majeurs. Avec l’aide de spécialistes et de ressources venant de pays de l’UE (tels l’Italie, la France, l’Espagne ou l’Allemagne), il y aurait moyen de tirer le meilleur profit, notamment, de lieux d’histoire tels que l’Île de Gorée (Sénégal) ou tels que Djenné et Tombouctou (Mali).
Soit là où l’intégrisme et le terrorisme sont venus prendre pied au cours des dernières années. La preuve aura alors été donnée que le développement et la réalisation des besoins de base des populations valent mieux que la guerre, et installent davantage la stabilité et la sécurité dans l’espace et dans le temps long.
[1] UNIDO, ‘’South-South Initiative on Cotton”; www.unido.org . Pays concernés: Benin, Burkina Faso, Cameroun, Tchad, Côte d’Ivoire, Mali, Nigeria, Sénégal, Ouganda, Tanzanie et Zambie.