Pouvoir budgétaire du parlement : mythe ou réalité ?
Qui détient le pouvoir budgétaire ? La réponse qui vient à l’esprit est qu’il est partagé entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. La réalité est tout autre ; il est essentiellement entre les mains du Gouvernement. par ABDELHAFID CHENTOUF
Les finances sont au cœur de la politique publique. Dans les régimes démocratiques, le vote du budget de l’Etat par le parlement est un moment fort de la vie politique. Chaque année, l’examen et le vote de la loi de finances retiennent pendant des semaines l’attention des hommes politiques, des syndicalistes, des chercheurs, des journalistes et de la société civile. Le parlement devient le centre de la vie politique du pays. C’est tout à fait normal, car c’est lui qui autorise les recettes et les dépenses de l’Etat. Faut-il comprendre par là que le pouvoir budgétaire est entre les mains du parlement ?
Les travaux du dernier «Colloque international des finances publiques» organisé par le ministère des Finances les 16 et 17 de ce mois, ne permettent pas de répondre par l’affirmative. Comme l’ont bien expliqué plusieurs intervenants, le pouvoir budgétaire du parlement est loin d’être réel pour plusieurs raisons. Le régime démocratique en lui-même est porteur d’un germe qui affaiblit les pouvoirs du parlement en matière budgétaire. Le «fait majoritaire» joue en faveur du gouvernement; la majorité parlementaire soutient souvent les choix budgétaires du gouvernement. Et comme l’a bien dit un ancien président du Sénat français: on ne peut pas contrôler quelqu’un que l’on soutient. Ceci montre combien est important le rôle de l’opposition dans les régimes démocratiques. Face au soutien quasi systématique de la politique gouvernementale par la majorité, elle est la seule à même de remettre en cause les choix budgétaires du gouvernement.
Le gouvernement mène le jeu
Outre le fait majoritaire, le pouvoir des parlementaires connaît des limitations d’ordre constitutionnel. Ainsi, le droit d’amendement du parlement est strictement encadré, même si la constitution impose au gouvernement de motiver ses décisions d’irrecevabilité. La marge de manœuvre laissée au gouvernement est très large, puisqu’il peut opposer l’irrecevabilité à toute proposition ou amendement formulés par les membres du parlement lorsque leur adoption aurait pour conséquence, par rapport à la loi de finances, soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique.
De même, le fait que certains crédits budgétaires soient purement évaluatifs, laisse au gouvernement les mains libres lors de l’exécution du budget. Il s’agit des dépenses du personnel et des charges de la dette publique qui ont représenté 54,8% du total des crédits ouverts en 2015 au titre du budget général , soit 173,5 MMDH par rapport à un total de 316,9 MMD.
Mais ce qui réduit davantage le pouvoir budgétaire du parlement, c’est la «position de faiblesse des parlementaires» vis-à-vis du gouvernement. Ce dernier, fort de l’expertise de son administration, mène le jeu tout au long du processus budgétaire. C’est lui qui arrête les hypothèses sur lesquelles se basent les prévisions et c’est lui qui maîtrise l’information. Le parlement ne dispose que des données et des informations que le gouvernement accepte de lui communiquer.
En matière d’exécution du budget, la prééminence du gouvernement est plus accentuée en raison de la liberté dont dispose le gouvernement pour opérer des modifications au niveau du budget, sans en informer le parlement qui l’a voté. Et ce qui aggrave ce phénomène, c’est que le parlement se soucie peu de l’exécution des budgets qu’il autorise. En témoigne le peu d’intérêt réservé aux lois de règlement qui sont généralement examinées et votées en quelques heures, alors qu’ils offrent une bonne occasion pour contrôler le respect par le gouvernement du budget voté.
Dans un souci d’atténuer la prédominance de l’exécutif en matière budgétaire, la constitution de 2011 a introduit quelques changements, dont la mise en œuvre a été opérée par le biais de la nouvelle Loi organique des finances (LOF). Pour permettre au parlement de disposer des informations nécessaires à l’examen du budget, le projet de loi de finances est accompagné de onze documents parmi lesquels on peut citer le rapport sur les dépenses fiscales, le rapport sur la dette publique et la note sur la répartition régionale de l’investissement. Dans le même cadre, la constitution prévoit, dans le but de permettre au parlement d’exercer son contrôle budgétaire, que le projet de la loi de règlement doit être présenté au plus tard à la fin du premier trimestre du deuxième exercice qui suit celui de l’exécution de la loi de finances concernée. A signaler, que les projets de lois de règlement ont toujours été soumis au parlement avec beaucoup de retard, ce qui explique que les parlementaires leur réservaient peu d’intérêt.
A l’instar de la loi de finances, le projet de loi de règlement est lui aussi accompagné de nombreux documents: le compte général de l’Etat, le rapport annuel de performance, le rapport sur les ressources affectées aux collectivités territoriales et le rapport d’audit de performance. Plus important, les comptes de l’Etat devront même être certifiés par la Cour des Comptes dès 2020.
Comme l’ont souligné de nombreux intervenants, si les apports de la constitution et de la LOF poussent à l’optimisme, la question est de savoir si nos parlementaires seront en mesure d’exploiter toute cette documentation financière qui est appelée à devenir de plus en plus complexe.