Pouvoir législatif : qui légifère réellement ?
La vitesse avec laquelle le Parlement a adopté la loi relative aux sûretés mobilières a de quoi donner le tournis. Elle est en même temps inquiétante et pousse à se demander qui légifère réellement ? Est-ce le Parlement qui est censé détenir ce pouvoir ou l’exécutif, et pour être plus précis, l’administration ?
Est-il vrai que c’est le Parlement qui légifère ? Cette question peut paraître dénuée de tout sens, car dans les démocraties représentatives, le pouvoir législatif est entre les mains du Parlement. Selon cette même logique, la Constitution marocaine dispose que le «Parlement exerce le pouvoir législatif».
Dans la pratique on est loin de ce schéma; le Parlement joue parfois le rôle de figurant en votant des projets de loi présentés par le gouvernement sans les examiner en profondeur et sans y apporter la moindre modification. Les cas sont nombreux mais limitons-nous à un exemple très récent, celui de la loi sur les sûretés mobilières. Déposé le 20 mars 2018, le projet de loi a été adopté le 1er avril de la même année. C’est une vraie «prouesse».
Quand on connaît la complexité de la réforme et ses impacts, on est surpris par le peu de temps consacré par nos représentants à son examen. La Commission des finances et du développement économique de la Chambre des représentants lui a consacré en tout et pour tout une seule séance d’une durée de cinq heures. Sachant qu’il s’agit comme l’ont bien dit les ministres de la Justice et des Finances devant ladite commission, d’une vraie révolution au sein du système juridique marocain.
En effet, le projet de loi apporte des modifications de fond à deux socles fondamentaux de notre système juridique, à savoir le Dahir des obligations et contrats (DOC) et le Code de Commerce. Le premier a connu l’ajout de 11 nouveaux articles, l’abrogation et le remplacement de 35 articles et l’amendement de 38 articles. Le second a enregistré l’abrogation et le remplacement de 16 articles, l’amendement de 26 articles, l’ajout de 19 articles et enfin l’abrogation pure et simple de 24 articles. Outre ces deux codes, le projet crée le Registre national électronique des sûretés mobilières et introduit pour la première fois l’Agent des sûretés qui aura un rôle important dans la gestion et le suivi des garanties mobilières.
Or, l’examen du rapport de la Commission des finances et du développement économique laisse clairement apparaître que les débats étaient très superficiels et n’ont même pas effleuré les questions de fond que soulève cette réforme, dont les retombées seront très importantes à différents niveaux. Aucune proposition d’amendement ou d’amélioration du projet n’a été faite. Le texte a été adopté à l’unanimité, tel qu’il a été déposé par le gouvernement.
Dans le cas d’espèces, peut-on dire que le Parlement a légiféré ? Si sur le plan théorique, on peut toujours trouver des arguments pour répondre par l’affirmative, la réalité prouve le contraire, car comment avancer que le Parlement a légiféré en la matière alors qu’il n’a pas touché au projet de texte; le projet de loi est sorti du Parlement tel qu’il y est entré. Bref, aucune valeur ajoutée de la part de nos élus.
Certes, pour certains projets de loi, un tel scénario est concevable et même acceptable. Mais pour le texte sur les sûretés mobilières, il est inadmissible compte tenu de la densité, de la richesse et des conséquences de la réforme tant sur le plan économique que social. En d’autres termes, une telle réforme méritait des débats profonds de la part de nos élus pour la scruter sous les angles juridique, technique, financier et même philosophique. La réforme des sûretés mobilières ne touche pas uniquement les intérêts des banques et des entreprises, mais toutes les composantes de la société.
A titre de conclusion, il n’est pas exagéré de dire que les circonstances de l’adoption de la réforme des sûretés mobilières portent préjudice à l’image de l’institution parlementaire et ne préserve pas sa crédibilité. Le résultat est qu’on se retrouve avec un dispositif régissant les sûretés mobilières, de bout en bout confectionné par un cabinet d’avocats étranger, des experts d’institutions internationales et des cadres de l’administration marocaine et ceux de la profession bancaire, sans aucune empreinte de l’institution parlementaire. La morale de l’histoire est qu’il y a loin entre la théorie constitutionnelle et la pratique.