Prétendue «utilisation des mineurs par le Maroc dans la crise migratoire de Sebta» : une résolution contre-productive de quelques parlementaires européens
Le Parlement européen débattra le jeudi 10 juin d’une soi-disant «violation de la convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant et utilisation de mineurs par les autorités marocaines dans la crise migratoire à Sebta». L’annonce du débat et du vote de cette résolution a fait réagir Dr. Lahcen Haddad, ex-Ministre, parlementaire du Parti de l’Istiqlal. Pour lui, « la résolution, si elle est adoptée par le Parlement européen, sera contre-productive car elle contrariera un allié de longue date sur des questions clés telles que la migration, le terrorisme, le commerce et l’investissement et pourrait nuire au partenariat Maroc-UE et saper les efforts diplomatiques et de dialogue menés jusqu’à présent par les deux parties ».
Le Parlement européen a programmé la semaine dernière, pour discussion, l’amendement et le vote d’un projet de résolution visant à condamner les « abus » présumés du Maroc à l’encontre d’enfants et de mineurs non accompagnés, en « violation présumée » de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. Le projet de résolution a été déposé par Renew Europe avec les groupes Verts/Alliance libre européenne (Verts/ALE). Ce projet de résolution est non seulement contraire à l’esprit du partenariat stratégique de longue date entre le Maroc et l’UE, mais il pourrait être contre-productif car il risque d’aggraver les relations déjà tendues entre le Maroc et l’Espagne et pourrait entraîner des réactions et des contre-réactions qui auront des conséquences désastreuses sur la coopération en matière de migration illégale, de traite des êtres humains, de crime organisé, de terrorisme et de trafic de stupéfiants, en Méditerranée occidentale, en Afrique du Nord et au Sahel. En tant que Député marocain et membre de la Commission mixte des parlements maroco-européens, toujours soucieux de préserver et de développer les relations UE/Maroc, je suis profondément préoccupé par l’impact négatif possible d’une telle résolution si elle est adoptée.
Depuis des décennies, le Maroc et l’Union européenne entretiennent et développent un partenariat historique et stratégique couvrant un large éventail de domaines, notamment au niveau politique, commercial, financier, culturel, scientifique, sécuritaire et migratoire. Ce qui fait de ce partenariat un partenariat unique dans le voisinage immédiat de l’UE et sa croissance continue, inaltérée depuis cinq décennies. Il s’agit d’un partenariat stimulé par la volonté commune d’aller plus loin dans la consolidation de la coopération et de la collaboration, dans un esprit de respect mutuel, de confiance, de loyauté, et une profonde considération pour les intérêts des deux parties. Ces principes et valeurs partagés doivent continuer à éclairer ce partenariat exemplaire et doivent être la base de la cogestion des problèmes et des crises à chaque fois qu’ils surviennent, comme est toujours le cas entre voisins liés par un réseau complexe d’intérêts partagés et d’interconnexions.
Le Maroc, pays stable et crédible, n’a jamais agi comme un simple voisin de l’UE. Il a été cité comme un pays modèle en matière d’initiatives pionnières dans le cadre de la Politique Européenne de Voisinage (PEV), ce qui l’a qualifié pour être le premier pays à obtenir le Statut Avancé, à signer un Accord de Coopération Scientifique et Technique, un Accord Ciel Ouvert, un Accord Galileo, un accord de coopération en matière de système civil mondial de navigation par satellite (GNSS), pour mettre en place des sous-comités et des groupes de travail, dont un des sous-comités est chargé de traiter les questions des « droits de l’homme, de la démocratisation et de la bonne gouvernance », entre autres. Ce partenariat exemplaire a été une source d’émulation pour les autres voisins et partenaires de l’UE.
Le Maroc étant le seul pays du voisinage sud capable de construire un modèle global de partenariat Nord-Sud avec l’UE, qui serait bénéfique pour les régions euro-méditerranéenne et euro-africaine, est lié à l’UE par une série de mécanismes de longue date, dont le dernier est la déclaration politique commune de 2019, qui a mis l’accent sur les piliers fondamentaux de la stabilité dans l’espace méditerranéen, et la nécessité de faire face à de multiples défis communs, à savoir les problèmes de santé, les différentes formes de sécurité, le changement climatique, les défis de la numérisation et de la cybersécurité, les migrations, l’extrémisme et le terrorisme, etc. C’est pour cela que la préservation de cette relation est fondamentale pour l’avenir des deux rives de la Méditerranée.
Les racines africaines du Maroc, sa proximité avec l’Europe et sa position stratégique au sein du bassin méditerranéen et du monde arabe, en font un acteur incontournable, engagé et essentiel dans la gestion et le suivi des flux migratoires considérables que la région a connus au cours des dernières décennies. A ce titre, le Maroc est activement engagé dans tous les processus régionaux et internationaux de consultation et de coopération sur les migrations (Dialogue de haut niveau sur la migration et le développement, Processus de La Valette, Processus de Rabat, Dialogue 5 + 5, Forum mondial sur la migration et le développement, Pacte sur les migrations). Le « volet migration » a toujours eu une place importante et centrale dans le partenariat Maroc-UE et ne devrait donc pas être remis en cause. La migration est l’une des priorités identifiées par la Déclaration politique conjointe de 2019, qui en fait un axe fondamental de la relation, et il incombe aux deux parties de développer des moyens innovants pour la cogérer de manière intelligente et dans un esprit gagnant-gagnant.
Le Maroc, comme l’UE, aborde la migration de manière globale en tenant compte des spécificités, de la complexité, de la sensibilité de ce phénomène et des principes de responsabilité partagée. Cette approche intégrée, qui fait du Maroc un modèle dans ce domaine, s’inscrit dans un partenariat Nord-Sud, conciliant gestion des migrations, enjeux de développement et responsabilité internationale. Concernant les cadres de gestion des migrations, le Maroc a été le premier pays du Voisinage Sud à conclure, en juin 2013, un partenariat pour la mobilité avec l’UE et neuf de ses États membres (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni et Suède). Ce partenariat a marqué une nouvelle phase, visant à consolider les acquis communs et à atteindre des objectifs ambitieux dans divers domaines, notamment en ce qui concerne la migration légale, la migration illégale et la traite, ainsi que les questions d’asile et de réfugiés.
Les résultats parlent d’eux-mêmes. La coopération entre le Maroc et l’UE dans le domaine de la gestion des flux migratoires irréguliers a permis, depuis 2017, selon le ministère marocain des Affaires étrangères, la prévention de plus de 280 000 tentatives de migration irrégulière, le démantèlement de plus de 1 020 réseaux de trafic, la prévention d’une cinquantaine de tentatives d’assaut sur les enclaves de Ceuta et Melilla et le sauvetage de plus de 80 500 migrants en mer. Si quelqu’un veut donner une leçon au Maroc à cet égard, je lui conseillerais de méditer sur ces faits révélateurs et irréfutables.
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Le Maroc supporte un lourd fardeau en termes d’efforts de mobilisation de ressources humaines et de coûts financiers liés à la surveillance de ses 3500 Km de côtes. On estime que le Maroc dépense près d’un demi-milliard de dollars par an pour protéger l’Europe des flux migratoires, des dollars qu’il pourrait bien utiliser pour développer ses zones rurales et montagneuses pauvres. Le soutien financier de l’UE au cours des 20 dernières années n’a couvert que 4 % des efforts marocains de suivi, de gestion et de contrôle des flux massifs de migrants. Ce qui s’est passé à Ceuta le 18 mai 2021 était triste et déplorable, mais une faille ponctuelle ne devrait pas nous faire oublier les nombreux succès de la coopération maroco-espagnole (& UE) dans le domaine des migrations.
Le Maroc attache une grande importance à la question de la migration des enfants, en particulier des mineurs non accompagnés. Il a toujours travaillé en étroite collaboration avec ses partenaires, principalement des pays européens, dans le cadre d’un mécanisme de coopération fondé sur la prévention, la protection et le retour concerté des mineurs, dans le respect de ses engagements internationaux et dans l’esprit de la préservation du principe de “l’intérêt supérieur” de l’enfant. Le 1er juin 2021, SM Le Roi Mohammed VI a réitéré l’engagement clair et ferme du Maroc à accepter le retour des mineurs non accompagnés dûment identifiés. Cette décision est venue aider à régler un problème complexe et devrait être applaudie par toutes les parties. Tenter de condamner le Maroc au moment où il tend la main pour résoudre un problème épineux est non seulement contre-productif, mais risqué pour une future collaboration sur les questions migratoires en général.
Auparavant, des mécanismes de coopération avaient été mis en place par le Maroc avec certains pays, notamment la France et l’Espagne, qui avaient conduit au retour de plusieurs dizaines de mineurs au Maroc. Les freins observés dans la mise en œuvre de cette coopération sont principalement dus aux contraintes engendrées par des procédures complexes dans certains pays européens. Par la décision du Roi, le Maroc a réitéré sa volonté de collaborer, comme il l’a toujours fait, avec les pays européens et l’UE, pour résoudre la question des mineurs non accompagnés. À mon avis, l’UE et les pays européens concernés devraient s’efforcer de surmonter les contraintes procédurales pour faciliter cette opération.
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La tragédie humaine de l’immigration clandestine, dont les événements de Ceuta du 18 mai n’est qu’un triste chapitre, ne peut faire l’objet de marchandages et de manœuvres politiques. L’initiative menée par Renew Europe avec les groupes Verts/Alliance libre européenne (Verts/ALE) de voter une résolution d’urgence sur la « Violation de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant et l’utilisation de mineurs par les autorités marocaines dans la crise migratoire à Ceuta », intervient dans le contexte d’une tension diplomatique entre le Maroc et l’Espagne, provoquée par l’autorisation du gouvernement espagnol à Brahim Ghali, un chef de guérilla soutenu par l’Algérie, d’entrer sur le sol espagnol. Ghali porte les armes contre des civils (y compris des citoyens espagnols), est accusé de génocide et de crimes contre l’humanité et est recherché par la justice espagnole. Le Maroc est partenaire stratégique et économique de l’Espagne depuis plus de quatre décennies. Le Maroc a vu dans la décision espagnole un acte de déloyauté envers un ami et voisin fidèle. Au lieu de traiter la question, l’Espagne a tenté de « l’européaniser », utilisant la migration comme prétexte pour camoufler son embarras diplomatique.
La résolution, si elle est adoptée par le Parlement européen, sera contre-productive car elle contrariera un allié de longue date sur des questions clés telles que la migration, le terrorisme, le commerce et l’investissement et pourrait nuire au partenariat Maroc-UE et saper les efforts diplomatiques et de dialogue menés jusqu’à présent par les deux parties. Comment peut-on envisager d’approfondir la coopération migratoire et la rendre plus efficace à la suite de l’adoption éventuelle d’une telle résolution ? Comment le Parlement européen peut-il espérer que le Maroc soit un partenaire fidèle de l’Europe en matière de migration et de terrorisme, si en même temps, il insiste à le condamner sur une question instrumentalisée par l’Espagne pour éviter de traiter de véritables tensions bilatérales ?
L’adoption de cette résolution constituera un déni des succès communs obtenus dans le cadre de la relation exemplaire Maroc-UE. Elle sera en contradiction flagrante avec les positions prises par les hauts responsables européens qui considèrent le Maroc comme un partenaire fondamental dans le domaine de la gestion des migrations. Le Parlement européen devrait jouer un rôle de facilitateur, de médiateur de paix et de compréhension, au lieu d’aggraver une situation déjà complexe et tendue entre deux voisins appelés à collaborer et à travailler ensemble, à savoir le Maroc et l’Espagne.
Par Dr. Lahcen Haddad, ex-Ministre, parlementaire du Parti de l’Istiqlal, membre du comité mixte Parlements Européen et Marocain, Vice Président de la Society for International Development.