Projet «Al Noor Tower» de Sheikh Tarek Mohamed Bin Laden : Les dessous d’un emballement médiatique
Depuis que la maquette du projet de réalisation de la plus grande tour d’Europe et d’Afrique a été dévoilée à Casablanca en décembre dernier, nombreux sont ceux qui pensent que Sheikh Tarek Mohamed Bin Laden est allé trop vite en besogne. Depuis, beaucoup de choses ont été dites sur le projet. Aujourd’hui, son promoteur s’explique en exclusivité sur cette affaire énorme, d’autant plus que le budget d’investissement se chiffre à plus de 1,5 milliard de dollars et dévoile ses ambitions pour le Maroc. Dossier réalisé par Roland AMOUSSOU et Adama SYLLA
Début décembre 2014. La presse nationale et internationale annonce que la plus grande tour d’Europe et d’Afrique pourrait voir le jour au Maroc. La vidéo du projet, largement relayée par les médias, fait le buzz pendant plusieurs jours. A l’origine de ce méga projet, le richissime Sheikh Tarek Mohamed Bin Laden, PDG de la société saoudienne MED (Middle East Développement). Il s’est proposé, via son groupe marocain, Universal Business Investment (UBI holding), filiale de MED, basé à Dubai, de réaliser ce gratte-ciel qui fera 540 mètres de haut pour 114 étages sur une superficie de 335.000 m² (l’équivalent en surface d’une quarantaine de terrains de football) pour un coût de 1,5 milliard de dollars. 114 étages, parce qu’il y a 114 sourates dans le Coran. Alors, info ou intox ? Face à l’emballement médiatique autour de cette annonce, l’Agence d’urbanisation et de développement d’Anfa (AUDA) censée examiner le projet avant de se prononcer sur sa faisabilité, vu que le gratte-ciel devrait être bâti dans le nouveau quartier d’Anfa, apporte dans la foulée une précision de taille : « Rien n’est officiel et l’Agence n’a pas été approchée ». Depuis, beaucoup de choses ont été dites sur le projet. Mais, jusque-là, son promoteur, Sheikh Tarek Bin Laden, ne s’est pas prononcé sur la polémique. Challenge a cherché à en savoir plus auprès de ce dernier (voir interview) et son équipe, qui ont accepté d’expliquer ce qui s’est passé, du moins leur version des faits.
Impossible d’évoquer le nom de la Tour dévoilé dans la presse sans qu’ils n’apportent de prime abord une précision. «Le projet s’appelle
«Al Noor Tower» et non pas «Tour Mohammed VI». Cette erreur sur le nom provient d’une annonce faite par un groupe qui ne travaille pas sur le dossier et qui a, très maladroitement, souhaité se positionner comme étant le partenaire local. L’équipe d’Al Noor Tower, composée d’acteurs importants, n’aurait jamais utilisé le nom de S.M le Roi pour annoncer un projet sans les autorisations nécessaires », tient à préciser Amédée Santalo, Responsable du projet et Conseiller de Sheikh Tarek Mohamed Bin Laden qui souligne que son rôle, en tant que chef de projet, « a été de démentir immédiatement l’annonce du Groupe Al Turky, pour ne pas le nommer, dans le souci de ne pas laisser passer des informations erronées sur un projet d’envergure mondiale ».
Le Responsable du projet persiste et signe : « Al Noor Tower est réel, nous le proposons au Maroc en premier lieu, car nous croyons que c’est le pays le mieux placé pour son succès. Le nom du Souverain est sur un film prévu pour une présentation privée directement auprès de Sa Majesté, car nous pensons que ce serait un honneur inestimable pour nous qu’un projet aussi important pour le continent africain et pour le monde entier, puisse porter son nom ».
Pour l’équipe d’Al Noor Tower, Sheikh Tarek Mohamed Bin Laden n’a aucun intérêt à faire du buzz pour faire parler de lui. A leurs yeux, «un tel projet ne se gère pas avec des effets d’annonces, au contraire cette erreur de départ aurait pu lui être fatale». Mais comment se fait-il que les autorités de Casablanca aient démenti l’existence d’un tel projet? «Nous avions rencontré la société Casa-Anfa directement sur le site de l’ancien aéroport afin de leur exposer nos intentions. Notre délégation avait eu, ce jour-là, un accueil très chaleureux de la part de la direction de la société, avec un rendez-vous ultérieur pour une présentation plus complète. Entre temps et indépendamment de notre volonté, le Groupe Al Turky a fait cette annonce maladroite, ce qui a entrainé le buzz et tous les problèmes qui en ont découlé», explique Amédée Santalo.
Toujours est-il que les responsables du projet Al Noor Tower, reconnaissent tout de même n’avoir pas déposé de dossier auprès des autorités compétentes. «Nous n’étions pas prêts. Les différents démentis ne nous sont donc pas destinés dans la mesure où ce qu’ils disent est vrai et ne contredisent en rien notre cheminement», martèle le Responsable du projet et Conseiller de Sheikh Tarek Mohamed Bin Laden. Qu’en est-il alors du projet Al Noor Tower ?
De Casablancaà Tanger
En tous les cas, si le projet est plus que jamais maintenu, il semble changer de destination. Et c’est la capitale du Détroit qui a été retenue. En effet, selon les responsables du projet, sur le conseil de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), ils ont décidé de stopper leurs démarches d’implantation sur le site de Casa-Anfa. Principale raison avancée : l’impact d’une telle surface (presque 1 million de m2 au total) sur un site localisé en plein centre ville qui aurait eu des conséquences importantes sur le plan de la gestion de la zone urbaine. « Nous avons, aujourd’hui, localisé un terrain à l’entrée de la ville de Tanger, qui correspond parfaitement aux besoins d’un tel projet. Tanger est une ville en pleine croissance, avec des atouts extraordinaires et un dynamisme dans le développement rarement rencontré sur le continent. Nous avons reçu également, un accueil très favorable des autorités de la région, avec qui nous travaillons, aujourd’hui, sur des problématiques liées à la réglementation sur les zones franches, de manière à nous adapter aux règles en vigueur au Maroc. Nous espérons arriver à une entente rapide, afin de voir ce beau projet aboutir », souligne le Responsable du projet et Conseiller de Sheikh Tarek Mohamed Bin Laden. Reste à savoir si cette affaire ne va pas porter un quelconque préjudice à l’image du Groupe, qui a de grandes ambitions au Maroc (voir interview). Sur la question, les responsables du projet sont catégoriques : «il peut toujours y avoir des raisons à l’échec d’un projet, les lois et les réglementations des pays peuvent parfois être une de ces raisons, mais en aucun cas cela ne pourrait nuire à la crédibilité d’une personne comme le Sheikh Tarek, qui vient avec un projet qui n’a, à ce jour, fait l’objet que de critiques très positives». Selon Amédée Santalo, le monde du développement est un monde très particulier qui compte très peu d’acteurs et Sheikh Tarek Mohamed Bin Laden fait partie de ce cercle très restreint et travaille actuellement sur plusieurs projets très importants comme la Famille Bin Laden le fait depuis des décennies. Et de rassurer : « Croyez-moi, si l’on arrive à s’entendre avec le gouvernement sur la réglementation de notre édifice en zone franche, le Royaume du Maroc va en bénéficier sur tous les plans. Ce projet est valeureux, nous allons même apporter des innovations significatives dans le domaine de la construction qui vont attirer les regards dans le monde entier sur la tour et sur son pays d’accueil. Rien ne sera laissé au hasard dans ce projet pour que cette tour soit la plus valeureuse possible. Al Noor Tower est certainement le projet le plus attractif du moment pour les investisseurs du monde entier, les demandes de partenariats qui nous parviennent des groupes les plus prestigieux nous le confirment chaque jour ».
Sheikh Tarek Bin Laden
“ Je veux m’enraciner profondément dans le tissu économique de ce pays ”
Challenge : Vous avez à coeur de construire une Tour de 540 mètres de hauteur au Maroc. Qu’est-ce qui vous pousse à croire que le Royaume peut accueillir un projet de cette ampleur ?
Sheikh Tarek Bin Laden :
Je vois le potentiel du Royaume du Maroc avec les yeux d’un développeur et d’un visionnaire. Al Noor Tower agira comme un fantastique moteur économique pour toute la région avec un impact sur tout le continent. Mon business modèle est très simple. Il répond a de vrais besoins du continent en matière de gestion de matières précieuses, de matières premières et de centre d’affaires situé dans une zone franche similaire à DIFC Dubai (Ndlr: Dubai International Financial Centre). Mon souhait au Maroc est d’obtenir un statut similaire à la zone franche de DIFC avec la possibilité d’avoir, sur un même territoire, des bureaux, des hôtels, des boutiques, des restaurants, le tout fonctionnant sous le même régime. Cette zone devrait avoir un statut particulier tout en respectant les lois du Royaume, quant à l’entrée et la sortie des marchandises. Cette formule fonctionne déjà parfaitement, elle est attractive et garantira l’adhésion d’hommes d’affaires du monde entier. Cette manne financière irriguera le pays, ce qui aura pour conséquence directe de créer de la prospérité et d’augmenter la qualité de vie des Marocains. Je pense que le Maroc a le potentiel d’être le prochain Hong Kong, Singapour ou encore Dubai.
Fair Business Company, l’entreprise que vous avez créée il y a à peine six mois, a remporté le Prix du meilleur investisseur lors du SIAM 2015. Quels sont les objectifs à court et à moyen termes que vous assignez à cette entreprise ?
Ce prix est une fierté pour moi et un signe de bon augure, mais il est surtout le fruit d’un travail exceptionnel des hommes et des femmes de cette jeune entreprise que je tiens à féliciter vivement pour leurs efforts. Fair Business Company est une société de valorisation et de commercialisation des Produits du Terroir Marocain (PTM). Son principal objectif est de nouer des partenariats avec les coopératives marocaines, afin de commercialiser leurs produits au niveau national, et surtout international. L’objectif de créer une marque comme Moroccan Legacy est de promouvoir un concept, un style de vie et un mode de consommation qui est original et lié à un héritage marocain de plus de dix siècles.
Il s’agit d’adopter ces produits cosmétiques et alimentaires à base de produits du terroir marocain dans notre hygiène alimentaire. Une consommation réfléchie qui véhicule un savoir-faire marocain, une consommation qui met en avant toute la biodiversité de ce formidable pays, et qui permet surtout d’améliorer les revenus des membres des coopératives et des populations enclavées. Pour la marque Ossoul, elle devra être dans les semaines à venir, implantée dans une grande partie du réseau des grandes et moyennes entreprises(GMS) marocaines et pour Moroccan Legacy, nous visons à ouvrir environ 15 points de vente qui verront le jour avant la fin de cette année 2015. Concernant la commercialisation de nos produits à l’international, nous comptons développer pour Moroccan Legacy plus de 20 points de vente dans des pays du Moyen Orient avant fin 2015. Quant à Ossoul, cette dernière sera implantée dans la GMS internationale et permettra de faire connaitre la richesse des produits du terroir marocain à l’international.
Cette entreprise est très active dans le secteur des produits du terroir, qui constitue un marché de niche. Quelles sont les particularités des produits que vous offrez sur le marché ?
Vous savez, la gamme de Moroccan Legacy contient plus de 80 produits alimentaires et cosmétiques. Il va sans dire que plusieurs produits, tels que l’huile d’argan, de cactus, l’huile d’olive, le safran, représentent des marchés de niche. D’ailleurs, le safran de Taliouine, qui est le meilleur safran du monde, détient moins de 5% de parts de marchés à l’international. Notre concept qui se base sur la promotion d’un «life style», reprend toute la richesse des produits marocains, avec un concept qui les met en avant, en leurs donnant leur propre valeur. Ce qui n’a pas été proprement fait jusqu’à cette date au niveau international.
Outre Fair Business Company, quels sont vos autres projets concrets au Maroc ?
Fair Business Company fait partie de UBI Holding(Ndlr: Universal Business Invest est la holding qui pilote toutes les activités de Sheikh Tarek Bin Laden au Maroc), qui dispose actuellement de trois autres sociétés. Il s’agit, en premier lieu de Artistico, une agence de communication qui a conçu et supervisé la construction de notre stand au SIAM 2015. Je tiens à féliciter, ici, ma jeune équipe aussi pour l’excellent travail qu’elle a fait. Ensuite, il y a Dar Safwa, une société que nous avons lancée dans le but d’imprimer et de distribuer des copies du Coran dans trois langues différentes. Nous avons également mis sur pied, Jnane El khir, qui est une entreprise qui, à court terme, va s’occuper de l’approvisionnement en fruits et légumes des marchés du Golfe et qui envisage à moyen terme, de devenir un producteur de ses propres produits frais. Nous avons également d’autres projets qui sont en cours d’évaluation et qui seront dévoilés au cours des prochains six mois.
Quels sont les secteurs et régions dans lesquels vous comptez investir au Maroc?
Tanger (et sa région) est une destination particulièrement intéressante où je compte développer la grande partie de mes investissements. J’ai été séduit par cette ville pour de nombreuses raisons.Pour commencer, Sa Majesté Mohammed VI a accordé une attention particulière à cette ville depuis plus de 10 ans maintenant, pour en faire une destination mondiale, en vue de drainer des IDE. Nous voyons déjà quelques réalisations importantes sur le terrain suite à cette volonté politique, et Tanger en 2020 pourrait être effectivement le premier pôle économique du Royaume, si toutes les initiatives qui ont été lancées sont réalisées. Tanger offre également, une grande proximité avec l’Europe et bénéficie d’une qualité de vie supérieure, avec une culture riche et un tourisme de qualité dans ses environs.
Je suis également très réconforté par l’hospitalité et le professionnalisme que j’ai ressentis de la part des autorités locales lors de toutes mes visites à Tanger. Elles étaient attentives et réactives à toutes nos demandes, ce qui est très encourageant. Un investisseur a besoin d’une administration qui comprend les affaires pour attirer les investisseurs et je l’ai senti à Tanger et clairement.
D’ailleurs, je profite de cette occasion pour les remercier pour leur soutien et leur collaboration totale avec nous et ce, depuis notre première visite jusqu’à présent. Pour les secteurs que je vise dans ma stratégie d’investissement, nous sommes particulièrement intéressés par le secteur Agro-industriel. Je crois que la transformation est le secteur du futur pour ce pays. Je pense aussi à d’autres secteurs industriels, mais il est prématuré de me prononcer dessus pour le moment.
Avez-vous des partenaires marocains dans vos projets d’investissement ?
Nous avons bien sûr, de nombreux partenaires à commencer par toutes les coopératives avec lesquelles nous travaillons, de nombreux producteurs locaux de produits frais, des entreprises marocaines dans le secteur de l’Agroalimentaire.Il a toujours été clair dans ma stratégie d’investissement pour le Maroc de travailler avec autant de partenaires locaux que possible. Je compte ouvrir bientôt, une division dédiée à trouver des partenaires stratégiques -sérieux et d’une taille moyenne, avec un taux de croissance constant sur les dix dernières années et qui sont prêts à passer à une phase supérieure de croissance. Je veux m’enraciner profondément dans le tissu économique de ce pays afin d’atteindre mon objectif global, qui est de créer de la prospérité en boostant l’économie locale.
A combien évaluez-vous le montant d’investissement que vous désirez apporter au Maroc?
Je pense que la meilleure réponse à votre question, est que cela dépendra du nombre d’opportunités d’affaires intéressantes que je pourrai trouver au Maroc. Je suis dans une stratégie globale qui s’étale sur trois niveaux, d’investissement. Nous avons les investissements planifiés qui sont des projets que nous développerons nous-mêmes. Le deuxième niveau est de développer un large portefeuille de partenariats stratégiques avec des partenaires locaux et internationaux, et le troisième axe est la quête d’opportunités exceptionnelles d’investissement.
Je n’ai pas de limite et je ne peux pas vous parler d’un montant limité pour être tout à fait honnête, mais je vois certainement de grandes ambitions pour ce pays et je crois que mon timing pour l’investissement est juste.
Que pensez-vous de l’économie marocaine?
L’économie marocaine a de sérieuses chances pour devenir une économie dynamique similaire aux tigres asiatiques. J’y crois vraiment. C’est déjà une destination attrayante pour l’investissement, et je crois que dans les 3-4 prochaines années, le Maroc a le potentiel d’atteindre un taux de croissance normal de 7%.
Le Maroc a des défis importants à relever, des défis qui doivent être traités de manière urgente, afin d’assurer à long terme un avenir plus prospère pour son peuple. Je pense notamment à l’état de l’éducation et de la santé publique, qui est particulièrement préoccupant à cet égard. Mais dans l’ensemble, il est juste de dire que le Maroc a, aujourd’hui, suffisamment de bons ingrédients et des conditions favorables pour être considéré comme une économie prometteuse. Il bénéficie d’une stabilité politique solide et d’une administration relativement efficace, un système financier solide et qui est déjà implanté dans plusieurs pays africains; un pourcentage de jeunes assez important dans la pyramide démographique. J’étais surpris de savoir qu’il y a plus de 200000 jeunes diplômés qui cherchent du travail et plus d’un million de jeunes qui peuvent être formés et devenir un moteur de croissance important pour l’économie marocaine.
Quelle est votre stratégie globale d’investissement au Maroc ?
J’ai passé un an à visiter et à prospecter plusieurs régions du Maroc avant de créer la holding UBI, et de ces visites effectuées, ainsi que les présentations qui m’ont été faites sur les différentes stratégies sectorielles qui ont été lancées, j’ai pu trouver d’importantes mesures incitatives du gouvernement marocain à venir investir au Maroc.
Il est regrettable que ces incitations ne soient pas bien connues. Parlons de l’investissement des pays du Golfe au Maroc par exemple. Ce dernier n’a drainé que 5 milliards de dollars d’investissements de ces pays au cours des 10 dernières années, ce qui est inférieur à 0,1% du montant total d’investissement de cette région à travers le monde.
Ce résultat est très timide comme vous pouvez le constater, et je crois fondamentalement qu’il y a une possibilité d’augmenter de manière significative ce montant, si les investisseurs des pays du Golfe trouvent la bonne plateforme pour y investir.
Mon but est, donc, de créer une telle plateforme pour eux, afin de les pousser à venir investir au Maroc. Je fonctionne actuellement avec une stratégie horizontale d’investissement pour les prochains 18 mois à venir, touchant de nombreux secteurs en même temps, mais avec différents niveaux de pénétration de marché. L’objectif, est de préparer un large choix de possibilités pour les investisseurs du Golfe qui voudraient investir au Maroc. Avec eux, je serai en mesure d’aller ensuite verticalement pour atteindre une taille optimale de chaque projet d’affaires que nous aurons initié auparavant.