Quel bilan de la nouvelle Constitution dans le domaine budgétaire et fiscal ?
A elle seule, la Constitution, en tant que texte, ne peut guère changer la réalité. C’est son application concrète, dans divers domaines, qui est fortement attendue par les citoyens. Quatre ans après, quelle évaluation générale pourrait-on faire de la nouvelle Constitution de 2011 et quelle évaluation particulière dans le domaine budgétaire et fiscal duquel dépendent toutes les politiques publiques ? par M. Amine
An IV de la nouvelle Constitution de 2011. Une Constitution aux couleurs d’un printemps déclenché d’abord dans un hiver tunisien. Dans le Royaume chérifien, le Parti de la Justice et du Développement a su surfer sur la vague des mouvements de protestation et s’offrir la première place lors des élections post Constitution. Jamais, dans l’histoire du Maroc, un contexte politique n’a été aussi favorable pour amorcer un changement irréversible après les signaux forts lancés au début du nouveau millénaire marocain. Dans quelques mois, le gouvernement à prédominance PJD aura le même âge que la nouvelle Constitution.
La clémence du ciel a atténué les effets de la crise
La réforme de la justice est un chantier toujours ouvert. Le système de santé publique continue de s’enfoncer. L’enseignement public est dans l’impasse. La décompensation a pu être faite grâce à la chute des prix du baril au niveau international. La clémence du ciel a permis d’atténuer les effets de la crise économique et sociale. Les grandes réformes annoncées dans la nouvelle Constitution attendent. Qu’en est-il dans le domaine fiscal ?
La Constitution de 2011 a repris les principes fondamentaux consacrés antérieurement et relatifs à l’équité fiscale. Les articles 39 et 40 devraient être la boussole principale des pouvoirs publics dans l’élaboration de toute politique fiscale. L’article 49 intègre les projets de lois de finances dans les orientations stratégiques relevant du Conseil des ministres. Et la loi organique, mini-Constitution des finances publiques, a été adoptée, consacrant une nouvelle démarche budgétaire basée sur la programmation, l’évaluation et la reddition des comptes.
Ce qui rejoint l’esprit de la nouvelle Constitution qui a consacré le titre XII à la bonne gouvernance. L’article 70 a renforcé le rôle du Parlement dans l’adoption des projets de lois de finances et donc des dispositions fiscales, et l’article 71 précise clairement que le régime fiscal et l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impôts sont du ressort de la loi. Le Parlement vote les lois de finances en veillant à l’équilibre des finances de l’Etat. Equilibre qui devrait prévoir nécessairement des dérogations exceptionnelles, notamment lorsque l’Etat doit engager des dépenses d’investissement public à caractère stratégique pour éradiquer la pauvreté qui continue à sévir dans les régions les plus dépourvues d’infrastructures de base.
Mais les dispositions constitutionnelles introduisant de nouveaux mécanismes de participation démocratique (article 13, 14 et 27 de la Constitution) ont juste fait l’objet de débats de la part de la société civile sans être intégrées parmi les priorités des partis politiques. Ces nouvelles dispositions ne sont pas toujours vues d’un bon œil, surtout de la part de partis politiques, caractérisés par un déficit chronique de démocratie interne et habitués à marcher avec des béquilles makhzéniennes. En effet, selon les termes de la nouvelle Constitution, les pouvoirs publics doivent œuvrer à la création d’instances de concertation, en vue d’associer les différents acteurs sociaux à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques, notamment dans le domaine fiscal où n’existe guère une instance indépendante des pouvoirs publics et regroupant toutes les catégories de contribuables (chefs d’entreprises, salariés, consommateurs…). Une instance dont l’existence et le rôle pourraient enrichir les réformes fiscales et renforcer la légitimité de l’impôt dont le fondement démocratique moderne est le consentement.
Dans le domaine fiscal, le bilan est encore plus pauvre
L’article 14 de la Constitution va plus loin. Il a ouvert la voie à la participation directe des citoyens en leur donnant le droit de présenter des propositions en matière législative et donc en matière fiscale. Certes, une loi organique doit prévoir les conditions et les modalités d’exercice de ce droit. Et après presque 4 ans, aucune loi organique n’a été adoptée dans ce sens. L’article 27 donne le droit aux citoyens d’accéder à l’information détenue par l’administration publique, et notamment l’information portant sur les finances publiques.
Un budget qualifié de citoyen est publié chaque année, alors qu’il s’agit d’un simple acte officiel de communication de certaines informations budgétaires au public. Rien à voir avec les expériences internationales, surtout celles connues en Amérique latine ou en Inde, où les citoyens sont réellement impliqués dans la totalité du processus budgétaire, du début à la fin, à tous les stades, de la définition des besoins collectifs de la population jusqu’au contrôle, en passant par le choix des priorités, l’exécution et le suivi.
Après quatre ans, et de manière générale, il y a lieu de constater l’absence des citoyens des processus décisionnels tant au niveau national qu’au niveau local.
Cela a été le cas de la décompensation des produits pétroliers qui a permis d’atteindre des résultats positifs sur le plan budgétaire, sans pour autant ouvrir la voie à une alternative pour faire face aux chocs exogènes, les énergies alternatives étant encore à leur début et faisant partie du long terme. L’accalmie est due surtout exceptionnellement à la chute des prix du baril de pétrole au niveau international, facteur conjoncturel externe.
Pourtant, c’est là un domaine qui impacte directement la vie quotidienne des citoyens. A défaut de s’attaquer frontalement et courageusement à un système fiscal inéquitable qui conforte, voire développe les inégalités sociales, la préférence est allée vers la création de taxes exceptionnelles dont l’application est limitée dans le temps.
La fiscalité peut être un instrument de réduction des inégalités sociales et d’encouragement des activités génératrices de revenus et créatrices de richesses. L’absence de vision stratégique basée sur une prise de conscience des vraies causes de la situation actuelle permet de comprendre les limites du gouvernement actuel. Ce dernier a pu gagner la confiance et donc les élections sur la base de deux revendications clés exprimées par la rue : la lutte contre l’économie de rente et l’injustice sociale. Mais les actions réellement menées pour affronter la réalité qui génère rente et injustice, ont eu une portée limitée.
A quoi ont servi les économies budgétaires résultant de la décompensation ? A quoi ont servi les recettes exceptionnelles du Fonds de cohésion sociale ? A l’exception de quelques actes fortement symboliques mais à impact faible sur la vie des catégories sociales démunies, comme l’augmentation des bourses des étudiants, ce sont surtout les catégories sociales aisées qui continuent à tirer profit d’un système fiscal concentré sur certaines catégories de contribuables : quelques dizaines de grandes entreprises structurées pour l’IS ; les salariés du secteur public et du secteur privé pour l’IR et les consommateurs pour la TVA dont les recettes dépassent le 1/3 des recettes fiscales totales.
Non seulement le système fiscal actuel n’est pas équitable mais, de plus, il ne fait guère partie d’une vision stratégique globale où les ressources sont mobilisées pour la réalisation d’objectifs de justice sociale et de développement.
Le grand chantier de l’INDH mérite un nouveau souffle par l’alimentation de ressources fiscales pérennes et la priorité des investissements publics dans la construction d’infrastructures à fort impact sur le mode de vie des populations vivant dans les régions condamnées par l’histoire récente et qui demeurent enclavées.