Quel nouveau modèle économique pour le Maroc d’après Covid-19 ?
De l’avis de tous les experts, le modèle de développement adopté par le Maroc depuis trois décennies (c’est-à-dire depuis le Plan d’Ajustement Structurel) est arrivé à bout de souffle. Sa Majesté l’a souligné et a mis en place une Commission pour revoir ses fondements et proposer une nouvelle approche plus efficace et plus performante.
Certes le modèle actuel a permis au Maroc de doubler son PIB en moins de deux décennies, mais il est resté en deçà des ambitions en ce qui concerne la lutte contre la pauvreté, l’emploi des jeunes, le renforcement des capacités de la classe moyenne et la réduction des écarts entre les riches et les pauvres et entre les régions. Par ailleurs, le Maroc est encore loin d’intégrer pleinement l’économie de savoir fort créatrice de valeur ajoutée et de richesses. Le grand défi a été pendant deux décennies, l’incapacité de l’économie marocaine à réaliser plus qu’une moyenne de croissance de moins de 4 % annuelle malgré l’effort considérable en matière d’investissement public et privé, en plus des IDE.
La rentabilité de l’investissement en matière de création de richesses et d’emploi reste également faible par rapport à d’autres pays qui mettent en place un effort d’investissement similaire. La doctrine régalienne de “trickle-down economics” n’a pas donné les fruits escomptés par les néo-libéraux. Les incitations consenties en faveur du capital n’ont pas filtré en emplois et richesses vers les classes moyennes et vulnérables!. Par ailleurs, les choix stratégiques d’arrimer l’économie à l’Europe n’ont pas été dans un souci de bâtir un partenariat égal et juste ! En fait, ces choix ont créé une dépendance structurelle puisque l’économie marocaine a servi d’une part de fournisseur de matières premières, de produits agricoles et de pièces de rechange, et d’autre part d’arrière cour pour les politiques de délocalisation, et d’exécutant des commandes des donneurs d’ordre de textiles et de maroquinerie.
Le rendement du “partenariat” avec l’Europe en matière du renforcement du tissu industriel national et de l’émergence d’une économie nationale forte qui répond aux besoins de la société en matière de richesses et d’emploi a été faible. La croissance timide de l’économie marocaine (dépassant à peine la facture environnementale qui est évaluée à 3.7 % du PIB annuellement) est due selon le rapport de la Banque mondiale (le Maroc à l’horizon 2040 – Investir dans le capital immatériel pour accélérer l’émergence économique) à une dépendance quasi-totale du capital fixe pour sa croissance ! Le capital fixe se situe à 5 % du PIB, mais pour arriver à une croissance soutenue de 6 à 7 % de l’économie il faut que ce capital arrive à 50 % du PIB, chose insoutenable vu que l’épargne ne dépasse pas 30 % du PIB; chercher les 20 % qui restent dans la dette ne peut se faire sans mettre en péril l’équilibre fragile (nonobstant déficitaire) de la balance des paiements. Les relais de croissance additionnels possibles se trouvent au niveau du marché de l’emploi et du capital immatériel. Seulement 46% des Marocains travaillent (23% au niveau des femmes) selon le même rapport! Ouvrir le marché de l’emploi par le biais de nouvelles formes innovantes et flexibles de contractualisation, la promotion de l’auto-emploi, l’entreprenariat social et collectif, l’économie sociale, la gestion des carrières, la promotion de nouveaux métiers, l’employabilité durant la formation, la promotion de l’innovation technologique – permettrait au Maroc d’arriver à 56 % de taux d’emploi et de gagner au moins un point additionnel de croissance. Un à deux points est à chercher dans le renforcement du système de gouvernance, la transparence dans l’octroi du foncier et du capital, dans des institutions fortes et redevables, un tissu associatif fort, une participation des femmes plus soutenue, l’innovation, la recherche et le savoir. C’est le capital immatériel.
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À mon avis, les régions sont également appelées à jouer un rôle de relai de croissance d’au moins un point du PIB! Une vraie régionalisation basée sur une vision claire du potentiel économique régional et des compétences de planification et suivi et évaluation! Les régions actuelles ne sont ni plus ni moins qu’une autre couche de plus dans une gouvernance mal lotie! Il faut dépasser ce modèle de régionalisation né en forceps dans le cadre d’une fuite en avant politicienne! Il faut revoir complètement la formule et aller de l’avant dans le sens d’une vision de la région comme locomotive de politique favorisant la mise en exergue des richesses humaines, culturelles et économiques des différents terroirs! En outre, la réduction de la facture environnementale, via l’économie verte, les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, l’économie circulaire, aiderait à réduire la facture écologique d’au moins un point. Le total serait au moins 7 % de croissance soutenue sur 20 ans pour gagner le ticket d’entrée au club des émergents! L’émergence n’est pas un slogan mais un travail de longue haleine, de suivi stratégique intelligent et agile. Qu’est-ce qui a changé avec le Coronavirus ? La pandémie a redonné la confiance des marocains en eux-mêmes, leurs capacités, leurs compétences, leur sens de vivre-ensemble! C’est un capital à ne pas gâcher! Il faut mobiliser tout le monde autour d’une vison de l’avenir, réaliste et réalisable! Mais il faut prendre en considération l’impératif de la sécurité sanitaire! Il faut qu’on soit prêts pour la prochaine épidémie en lits de réanimation, en ressources humaines, en recherche scientifique dans le domaine de la santé publique! La santé, une priorité nationale aujourd’hui et demain! La sécurité alimentaire est également vitale pour un Maroc souverain et pas trop dépendant de l’étranger! Réorienter notre politique agricole vers un modèle solidaire, créant l’autosuffisance et l’échange dans le cadre de communautés durables et créatrices de produits de terroir à consommation locale est un virement stratégique incontournable !
Il faut revoir notre politique de culture du blé et de l’orge: il faut qu’on arrive à une autosuffisance via une productivité égale aux leaders internationaux tels les USA, l’Ukraine ou l’Australie. Coronavirus a également montré combien l’innovation et la technologie sont fondamentales comme sources de solutions à nos problèmes! Investir dans la science, la créativité et les inventions technologiques pour répondre aux besoins de la société et de l’économie, n’est plus un luxe! C’est un acte de souveraineté! Il est essentiel pour mettre en place les jalons d’une économie nationale forte basée en premier lieu sur la demande interne, et sur une base industrielle forte et une classe moyenne capable et consommatrice des biens et services nationaux! Ce n’est pas un retour à un nationalisme primaire ou à un protectionnisme révolu! Mais c’est la condition sine qua non d’une vraie rentrée dans le circuit de la mondialisation: en acteur solide et partenaire incontournable de l’Europe et des autres pays du globe.
Par Lahcen Haddad