RAM : Devenir leader de l’aérien à l’échelle mondiale ?
La RAM, les ailes du Maroc, est un établissement public de portée stratégique. Avec soixante ans d’expérience derrière elle, elle a au fil des années acquis un rôle d’outil diplomatique, politique, et économique de première importance.
La Royal Air Maroc (RAM) a évolué au fil du temps pour devenir une compagnie qui innove pour rester compétitive sur un marché frileux et à haut risque, malgré la croissance que connait le secteur aérien depuis quelques années. Aujourd’hui, la RAM est mieux gouvernée depuis une décennie, avec un Conseil d’Administration ramassé qui se réunit régulièrement; elle est présente avec force en Afrique de l’Ouest et historiquement très active en Europe de l’Ouest, le maillage entre vols de nuit en Afrique et vols diurnes sur l’Europe autour du hub de Casablanca lui donne ainsi une force de frappe concurrentielle non négligeable. En Afrique, la RAM joue également le rôle d’une entreprise au service des pays africains appuyant les efforts locaux en matière d’animation culturelle et économique. La décision de ne pas annuler des vols vers des destinations affectées par le Ebola en août 2014 a été hautement appréciée en Afrique.
La diversification des marchés a connu un saut en avant important avec l’arrivée des dreamiliners (commandées il y a 6 ans), l’ouverture des lignes sur Washington, Miami et Boston. Doha se fait en code share avec la Qataria et la Chine est toujours à l’ordre du jour. Le vol Nairobi se faisait via un 737 avec escale à N’djamena quelquefois mais n’a pas pu se développer comme souhaité. L’Afrique de l’Est reste un marché à investir malgré la dominance de Ethiopean Airlines, Kenya Airways et Emirates.
Le service à l’accueil et à bord s’améliore de plus en plus, mais beaucoup reste à faire en matière de communication, de prestations du staff et des services clientèle. Les vols font moins de retard qu’auparavant, mais la compagnie reste handicapée par le manque d’appareils disponibles pour l’utilisation en cas de problèmes techniques. La prestation Hajj demeure un exercice totalement déficitaire puisque le taux de remplissage est de 50 % (vu que les avions reviennent vides au début du pèlerinage et partent vides pour récupérer les pèlerins à la fin). Mais la RAM le fait en entreprise citoyenne soucieuse du bien-être spirituel des Marocains.
« La compagnie nationale doit garder son autonomie, mais elle reste au service de l’Etat et un outil de l’Etat »
Le dernier rapport de la Cour des Comptes a relevé les divers risques auxquels doit faire face la compagnie nationale -surtout la volatilité du secteur touristique eu égard à la situation sécuritaire et géostratégique mondiale. Un autre grand risque consiste en l’accumulation des arriérés de restitution de la TVA (dont 1,5 milliards de DH n’a été payé qu’en 2018)- un risque qui pourrait avoir des conséquences néfastes sur les équilibres financiers de la RAM.
Certes, la compagnie nationale doit garder son autonomie, mais elle reste au service de l’Etat et un outil de l’Etat. Il revient donc à l’Etat de lui tracer les orientations générales par rapport à la diplomatie, le développement du tourisme et la desserte des zones enclavées ou lointaines. Le contrat programme 2010-2016 avait inclus des décisions qui ont réduit la diversité des ressources de la RAM (en l’incitant à vendre ses hôtels) et sa capacité à former le personnel naviguant et d’autres profils nécessaires à la gestion de l’activité de l’aérien. Le principe des lignes rentables ne devait pas être appliqué aux lignes touristiques comme Varsovie (ligne qui été supprimée en 2012 en application du contrat programme).
Politique de prix : Aligner la RAM fiscalement à la concurrence
La stratégie d’avenir de la RAM doit prendre en considération les menaces et les opportunités qui existent dans un contexte de concurrence rude. L’avantage concurrentiel sur l’Afrique de l’Ouest est challengé par des compagnies avec de gros moyens comme Turkish Airlines, Air France ou Emirates, ou encore par des compagnies qui affichent une ambition de croissance vertigineuse comme Air Algérie (disposée à investir 25 milliards de dollars pour augmenter sa flotte et sa présence en Afrique en particulier).
La stratégie du Hub de Casablanca connaîtra ses limites quand la croissance sur l’Afrique de l’Ouest arrivera au maximum possible. A ce moment, et sur le moyen terme, un modèle plus dynamique serait de mise, en capitalisant sur les destinations touristiques comme Marrakech et Agadir et les destinations émergentes (Fès, Rabat, Tanger, Nador/Oujda), en plus du Hub Casablanca (dont le troisième terminal devrait être mis en place en quelques années). Des destinations touristiques comme Marrakech et Agadir (ou émergentes comme Rabat et Fès) sont desservies par des lowcosts au modèle de gestion léger et basé sur une méthode de yield management aggressive. Les bases mises en place par la RAM au niveau des destinations touristiques (notamment Marrakech et Agadir) restent moins compétitives surtout au niveau des prix.
La politique des prix de la RAM doit changer en fonction d’incitations fiscales qui peuvent être accordées par l’Etat dans le cadre de la loi de Finances afin de lui permettre d’avoir les mêmes avantages que les compagnies concurrentes. Ceci dit, la RAM doit devoir faire un saut qualitatif de taille dans l’avenir si elle souhaite avoir la force de frappe nécessaire pour intégrer le marché mondial par sa grande porte. Ce n’est pas avec une soixantaine ou une centaine d’appareils que la RAM va pouvoir tirer profit du réseau One World qu’elle va intégrer en 2020.
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Un changement de vision et de business model s’impose. Il faut que la RAM soit dotée de 300 appareils à l’horizon 2035 si elle veut avoir la taille critique pour aller chercher la valeur là où elle existe. Les marchés leaders de l’aérien sont les Etats Unis, le Royaume Uni, l’Allemagne, la Russie et la Chine. Ces marchés sont presque complètement intégrés mais des niches de croissance sont possibles pour la RAM surtout sur des destinations comme Chicago, Atlanta et Houston aux USA et Pékin, Shangai, et Hong Kong en Chine. Mais les marchés à fort potentiel de croissance sont l’Amérique Latine (Buenos Aires, Santiago, Mexico City, Bogota et Caracas) et l’Asie Pacifique (Jakarta, Manille, Tokyo, Bangkok, Kuala Lumpur et Singapore). Pour arriver à ces marchés, la RAM doit se doter de grands appareils de type Boeing 777 et 787 ou des Airbus 380. Et elle peut trouver de bons maillages entre ces marchés/destinations et le Maghreb, l’Afrique de l’Ouest, l’Europe Occidentale et même la côte Est des USA.
Les destinations à potentiel moyen de croissance comme l’Afrique de l’Est, l’Europe de l’Est et le Moyen-Orient peuvent être desservies par des moyens courriers à partir des mêmes marchés en plus de l’Amérique Latine. L’Afrique Méridionale et l’Asie Centrale, le Pakistan et l’Inde nécessitent de longs courriers et peuvent être alimentés par l’Europe, l’Afrique du Nord et l’Amérique pour la première et l’Afrique de l’Ouest et le Maghreb pour la destination Asie Centrale, Pakistan et Inde.
Des low-costs pour compléter l’offre de la RAM
Il faut d’ici là créer quatre low-costs, des compagnies satellitaires de la RAM appareillées par des ATR, des Embraers et des 737. La première assurera les vols internes en partenariat avec les régions. La deuxième desservira l’ouest algérien, le sud de l’Espagne, la Corse, le Portugal et les îles canaries. La troisième, purement touristique, visera les marchés à petite et moyenne taille comme la Slovaquie, la Hongrie, la Tchéquie, les Balkans, la Roumanie, la Bulgarie et des villes difficilement desservis en aérien en Sardaigne, Sicile, Chypre, l’est français, la Galicie et le pays basque, l’est de l’Allemagne, le Pays de Galle, l’Islande etc. La quatrième se spécialisera en Hajj et Omra.
Une grande compagnie a besoin de plusieurs low-costs qui se chargent d’assurer les vols difficiles et de desservir les régions et les destinations et zones enclavées à des prix convenables à ce type de passagers. Pour accueillir et acheminer les 70 à 90 millions de passagers que cette flotte va drainer, l’aéroport de Casablanca doit être doté d’un quatrième terminal géant. Aussi, l’aéroport de Benslimane doit être agrandi et mis à niveau et accueillera les low-cost, les vols nationaux, les ATR et les Embraer. L’aéroport Mohammed V aura comme vocation d’accueillir les compagnies nationales, les vols réguliers, et les grands avions. Un train rapide et une autoroute express reliera les deux aéroports.
A l’évidence, le coût déterminera la force future de la flotte de la RAM, mais il faut recourir à des mécanismes variés pour financer cette opération stratégique sur 15 ans. L’Etat doit acheter les avions et doit créer un organisme étatique qui les mettra à la disposition de la RAM à des prix concurrentiels. Recourir au leasing est également une option pour une partie de la flotte. Le marché obligataire en plus de l’endettement garanti par l’Etat sont des options à considérer afin d’avoir un package complet de ressources financières à même de doter la RAM des avions nécessaires à son sursaut sur la scène mondiale.
Il devient impératif d’oser rêver et se projeter dans l’avenir. La rentabilité globale ne se limite pas à la simple rentabilité comptable, mais s’étend à la rentabilité économique, diplomatique, politique, culturelle et nationale. Il faut chercher à atteindre cette rentabilité globale si l’on veut que la RAM soit effectivement les ailes du Maroc dans un monde en pleine ébullition et mutation. Avec de la volonté, de la foi et une vision claire, on peut arriver à la hisser à un rang mondial. Mais il faut commencer ici et là, 2035 c’est demain et il ne faut pas qu’on soit déjà en retard.