Ramesh Pavadepoulle : « si on débranchait les chargeurs lorsqu’ils ne sont pas utilisés, cela représente assez d’énergie pour alimenter 100 000 foyers »
Selon une étude réalisée en 2019 par le Shift Project, l’empreinte carbone numérique collective du monde représentait près de 3,7 % de toutes les émissions de gaz à effet de serre. En outre, la consommation d’énergie du numérique a augmenté de près de 70 % entre 2013 et 2020. Ramesh Pavadepoulle CEO de AWARINO, start up spécialisée en sensibilisation à la gestion des risques nous livre dans cette interview sa vision du digital, et de sa dimension environnementale en particulier.
Challenge : D’où vient le concept de numérique responsable ?
Ramesh.P : le Green IT (numérique responsable) est la pratique d’une informatique respectueuse de l’environnement. Ce concept est apparu en 1992 lorsque l’Agence Américaine de Protection de l’Environnement (EPA) a lancé Energy Star, que nous connaissons tous aujourd’hui via les appareils électroménagers. Il s’agit d’un programme d’étiquetage volontaire qui aide les organisations à économiser de l’argent et à réduire les émissions de gaz à effet de serre en identifiant les produits qui offrent une efficacité énergétique supérieure. Parmi les autres composantes du Green IT, citons le réaménagement des datacenters et leur optimisation électrique, la popularité croissante de la dématérialisation, les réseaux écologiques et le cloud computing.
J’avais déjà eu l’occasion en 2012 de sensibiliser certains acteurs marocains sur cette thématique du Green IT. D’autres pratiques sur la supply chain visent à minimiser l’impact négatif du « hardware » informatique sur l’environnement en concevant, fabriquant, exploitant et détruisant les ordinateurs et les produits informatiques d’une manière respectueuse de l’environnement, notamment en réduisant l’utilisation de matières dangereuses, en maximisant l’efficacité énergétique pendant la durée de vie du produit et en favorisant la biodégradabilité des produits inutilisés et périmés. Il y a aussi de toute façon en Afrique une vraie tradition de recyclage dictée par le pouvoir d’achat très réduit d’une bonne partie de la population. Une société comme Recommerce, fondée par des amis de promotion, a levé plus de 50 Millions d’Euros en 2018 et j’ai déjà identifié quelques jeunes pousses marocaines qui vont se lancer sur ce créneau. Apple a enfin pris le chemin du matériel durable avec la vente de pièces détachées pour certains de ses iPhones, après que la start-up Fairphone ait ouvert la voie.
Challenge : pourtant l’idée commune est que la digitalisation est virtuelle, et ne présente pas de liens de causalité ou de conséquences avec le monde réel. Comment se traduit cet impact environnemental concrètement ?
Ramesh.P: Depuis 2010, le nombre d’internautes dans le monde a doublé, et le trafic internet mondial a été multiplié par 12. Les services numériques dont nous bénéficions sont effectivement qualifiés de « technologies dématérialisées », mais est-ce vraiment le cas ? Les ordinateurs, les serveurs et autres appareils électroniques nécessitent de grandes quantités de ressources naturelles. L’énergie nécessaire à leur fonctionnement émet de grandes quantités de CO2, et l’obsolescence programmée ainsi que le faible pourcentage de recyclage (20 %) génèrent des déchets électroniques très importants. La grande majorité des données présentes sur le cloud ne sont pas utilisées.
Posez-vous juste la question du nombre de fois où vous avez consulté les photos prises il y a trois ans au mariage de votre cousine Fatim-Zahra. Sans nier les nombreux avantages apportés par ces technologies, y compris pour l’environnement, il est important pour les utilisateurs, les fournisseurs de services et les décideurs politiques de comprendre quels sont les impacts et d’apprendre comment nous pouvons évoluer vers des technologies numériques plus vertes. En outre, face à l’évolution du monde des affaires vers les critères ESG, l’adoption de bonnes pratiques de durabilité dans les départements informatiques est devenue un engagement stratégique pour l’ensemble de l’organisation. J’espère que l’Observatoire de la RSE au Maroc (ORSEM) sortira bientôt une étude à ce sujet.
Challenge : quels sont les bénéfices que l’on peut tirer d’un numérique responsable ?
Ramesh.P: Outre l’éthique environnementale, la gestion durable de votre parc informatique présente un intérêt économique indéniable, ce qui rend la stratégie intéressante pour les organisations de tous types et de toutes tailles. Je discutais avec des responsables de l’UM6P à Ben Guérir récemment qui ont vu leur facture d’électricité mais aussi des frais de maintenance drastiquement se réduire. Il est naturel que les entreprises au budget plus modeste rencontrent des difficultés à mettre en œuvre des initiatives vertes ; après tout, un investissement initial est nécessaire. Mais au fur et à mesure que les actions sont menées, les gains d’efficacité, de productivité et de réduction des coûts sont évidents. Ces économies génèrent des liquidités pour de nouvelles améliorations.
La consolidation de ces pratiques durables, même à petite et micro-échelle, prépare le terrain pour des changements significatifs en fonction du développement de ces organisations. Le fait de pratiquer un numérique responsable confère aux entreprises un positionnement stratégique, qui montre ainsi à ses clients et prospects sa capacité à appréhender les valeurs sociétales sur le développement durable. C’est aussi une distinction qui améliore la réputation de l’organisation, ce qui est toujours utile pour attirer les investisseurs. On en obtient une consommation d’énergie réduite, une performance améliorée et une meilleure réputation.
Challenge : comment peut-on mettre en place un numérique responsable au sein des organismes ?
Ramesh.P : On peut commencer par mettre en place des pratiques simples au quotidien pour pratiquer un numérique plus responsable. Pour économiser de l’énergie, on commence par la climatisation. Un environnement de travail sain nécessite une température contrôlée de l’environnement. C’est pourquoi, dans plusieurs entreprises, la gestion des systèmes de climatisation relève des technologies de l’information. Le fait d’avoir des serveurs/centres de données obsolètes surcharge souvent le système de refroidissement pour maintenir la productivité. Dans la mesure du possible, remplacez les vieux équipements par des versions plus modernes qui consomment moins d’énergie en intégrant par exemple les critères Energy Star dans votre processus d’achat.
Cette mesure permet d’augmenter la durée de vie et de réduire les coûts de maintenance des machines. Mais cela ne veut pas dire que ces vieux équipements sont automatiquement destinés à la casse, il faut essayer d’utiliser les matériaux qui sont encore en bon état dans le cadre d’une seconde vie. En cas de perte totale, il faut veiller à la destruction responsable des équipements, périphériques et autres composantes électroniques périmées dans des points de collecte spécialisés. On parle aussi de transition d’une économie de matériel à une économie de logiciel, en passant du stockage physique au stockage sur le cloud.
Challenge : Cela implique des dépenses supplémentaires ?
Ramesh.P : le numérique responsable nécessite un investissement de départ, mais peut aussi être intégré via des pratiques quotidiennes à la portée de tous. Par exemple, s’assurer de ne pas envoyer de fichiers volumineux qui nécessitent une plus grande consommation d’énergie. Envoyer une pièce jointe de 2 Mo à 20 personnes équivaut ainsi à parcourir 1km en voiture. Il est préférable de revoir les couleurs de fonds, réduire les sauts de page, les marges et la taille de la police pour une impression responsable. Saviez-vous qu’il y a des polices économiques en encre comme Ecofont ?
Essayez d’imprimer en noir et blanc et choisissez le mode recto-verso. Même notre consommation de contenu est énergivore. Le moyen le plus simple de réduire l’énergie consommée par les équipements informatiques est de les éteindre. Éteignez les ordinateurs la nuit et configurez les utilitaires de gestion de l’alimentation des PC pour qu’ils éteignent les écrans et les disques durs lorsqu’ils n’ont pas été utilisés pendant quelques minutes. Mais le simple fait d’éteindre les appareils ne suffit pas. De nombreux appareils consomment de l’énergie même lorsqu’ils sont « éteints ». Utilisez des multiprises et débranchez-les la nuit (après avoir éteint les appareils qui y sont connectés). Nokia, le fabricant de téléphones portables, estime que si un milliard de personnes environ dans le monde débranchaient les chargeurs de leurs téléphones lorsqu’ils ne sont pas utilisés, cela permettrait d’économiser suffisamment d’énergie pour alimenter 100 000 foyers.