Rapport de la Cour des comptes, mauvaise gestion publique : Des pertes en milliards
La publication du rapport annuel de la Cour des comptes constitue un instant important dans notre paysage public. Des responsables sont dans l’obligation de répondre de leurs actes, d’autres se voient déjà devant les tribunaux et une majorité de gestionnaires d’administrations, d’établissements ou de collectivités territoriales subissent une première sanction avec la publication d’un rapport sur leur gestion. L’accès à beaucoup d’informations est devenu possible avec les rapports de cette institution qui évolue d’une année sur l’autre, mais qui reste sous équipée pour jouer pleinement son rôle en matière d’évaluation des politiques publiques. L’essentiel de ses efforts va vers l’examen de la gestion des comptables, des ordonnateurs et des contrôleurs de la dépense et de la recette publique. Les inspections ministérielles sont encore faibles et ne pourraient dans un avenir certain, alléger la charge qui incombe à la Cour des comptes et à l’IGF. Nous avons choisi d’exposer quelques aspects « non classiques » de la gestion des deniers publics soulevés par cette juridiction dans son dernier rapport.
La Cour des comptes nous permet d’ouvrir un dossier qui est difficile d’accès dans des conditions normales. Les finances des partis politiques constituent un domaine où la transparence doit ,en principe, être exemplaire.
L’Etat, principal bailleur de fonds des partis politiques
On apprend que sur un total des ressources des partis politiques de 91.883.064 DH, le contribuable marocain apporte aux partis un montant de 64.040.248 DH soit environ 70% de ces ressources en 2014. Les cotisations ont atteint un montant de 17.481.935 dhs soit 19% du total des ressources . Le PJD collecte le volume le plus important au niveau des cotisations, soit un montant de 9.072.554 dhs en 2013 et presque 10 millions de dhs en 2014, soit plus de 50% du total des contributions de l’ensemble des partis. l’USFP n’a réalisé, à titre d’exemple, qu’environ 50 millions de centimes. Cette situation reflète une culture politique et organisationnelle des « Pejidistes » qui implique un engagement des militants et partant, un respect des échéances fixées pour leurs contributions financières. La particularité de la structure des ressources des partis politiques fait ressortir deux faits saillants. Il s’agit de la réalisation de produits d’exploitation par le parti de l’Istiqlal en 2013 pour un montant d’environ 3,5 millions de dhs en 2014 et de la réalisation par le PJD de produits financiers en 2013 pour un montant de 595 072 dhs et de 132 725 dhs en 2014. On ne sait pas si ces produits proviennent ou non de placements «halal» ou non. Dans tous les cas , les produits alternatifs ne sont pas encore disponibles sur le marché financier. Certains partis n’enregistrent que de très faibles montants en matière de cotisations. Des montants dépassant légèrement le seuil de 1000 DH sont enregistrés par deux partis qui meublent notre paysage politique. 19 sur les 34 partis marocains n’ont encaissé aucune cotisation en 2014. Ils sont totalement dépendants de l’argent public. C’est grave…
Et pourtant, la Cour des comptes recommande à nos partis de se conformer à la règlementation et notamment la loi 29-11 au niveau de son volet ressources. Ils doivent « produire l’ensemble des documents relatifs aux comptes annuels dans les délais prescrits… Tenir une comptabilité conformément au CGNC…Respecter les dispositions du plan comptable normalisé des partis politiques…Etablir un état détaillé des sommes virées aux structures locales…Respecter les dispositions particulières des menues dépenses…. »
La déclaration du patrimoine : un échec qui requiert une grande révision
La moralisation de la vie publique exige un suivi des patrimoines des responsables publics. Ce sont des personnes qui ont choisi un mandat électif ou qui ont été désignées à la tête de départements ministériels, de directions centrales ou d’établissements et d’entreprises publiques. Le suivi de l’évolution de leur patrimoine est donc un moyen de contrôle de leur probité. Après 4 années de déclarations qui ont donné lieu à un problème de stockage, d’archivage et partant, de problèmes de locaux, les 90.000 déclarations annuelles bien gardées et hermétiquement fermées restent à l’abri du contrôle public. Bien plus, le poids de la gestion s’est avéré très grand. Au début de l’année, les services que la Cour des comptes charge pour recueillir ces déclarations se trouvent submergés par des centaines de kilos de déclarations. La loi sur la déclaration a fini par banaliser cette opération pour noyer le poisson et donner une légitimation à une opération sans résultats réels.
Le constat de la Cour des comptes est édifiant à ce niveau. La déclaration de patrimoine s’est révélée inefficace et difficilement gérable. La réforme de cette opération est nécessaire pour qu’elle puisse contribuer à la moralisation de la vie publique et à une efficacité aux opérations de contrôle des deniers publics. Cette réforme, qui doit tenir compte des dispositions constitutionnelles, doit aboutir à un rétrécissement de la liste des responsables qui doivent déclarer la consistance de leur patrimoine. Le nombre doit passer de 100.000 à 6.000 grands responsables dont les ministres, les parlementaires, les juges, les hauts fonctionnaires chargés de hautes fonctions, les présidents des grandes et moyennes collectivités territoriales et les responsables des établissements et entreprises publics.
La proposition de la Cour des comptes relève d’une rationalité certaine et permettrait de mieux cibler l’évolution ou la stagnation de la consistance des responsables publics. Mais la réforme n’aurait de sens sans une exploitation bien encadrée des déclarations. La Cour des comptes ne doit pas être cantonnée dans un rôle de collecteur des déclarations. Ses juges doivent examiner, selon des normes arrêtées , les patrimoines et leurs origines et établir des rapports sur les situations qui présentent des présomptions ou doutes d’enrichissement illicites.
Les subventions aux associations : un domaine politique sensible
Les séances les plus houleuses en matière de gestion communale, sont celles consacrées à la distribution des subventions aux associations. Les PV de présence des membres enregistrent généralement un absentéisme minime au regard des séances consacrées au développement local ou à l’examen des projets communaux. Les subventions font partie des mécanismes d’association de la société civile aux activités gouvernementales. Cette forme de financement n’est pas toujours neutre ou loin de tout soupçon politique. Les organisations parallèles des partis sont toujours en première ligne pour formuler les demandes de subventions et ce, dans tous les domaines. L’assise politique d’un parti dépend beaucoup du dynamisme du tissu associatif ayant un certain degré de «sympathie » avec lui.
La Cour des comptes évite ce volet du dossier relatif aux subventions, mais note avec force que beaucoup de ministères, d’institutions publiques et d’établissements et entreprises publics ne se conforment pas aux dispositions de la circulaire du Chef du gouvernement du 5 mars 2014, relative à la communication par les ministères et autres institutions de la liste des associations bénéficiant des subventions. La Cour note que seules 81 associations reconnues d’utilité publique ont présenté des documents comptables relatifs à leur gestion financière. La plupart de ces documents ne répondent que partiellement aux normes requises en matière de présentation des rapports financiers. La Cour va plus loin et relève une faiblesse flagrante des liens entre les dépenses des associations et l’objet de leurs principales activités.
Des œuvres sociales à la promotion immobilière : Clubs et subventions
Des révélations inquiétantes ont été publiées par la Cour des comptes sur certains clubs rattachés à des ministères et dont les activités ont glissé des œuvres sociales à la promotion immobilière, avec une absence de transparence dans la gestion financière et tout un système de détournement des subventions et de distribution cachée des primes.
Les Clubs rattachés à certains ministères jouent un rôle très important dans la vie des fonctionnaires et ils sont là depuis maintenant plus de trente ans. Ils remplissent des fonctions à caractère social dans l’intégration et l’identification des fonctionnaires à leur département. Le problème, est que certaines de ces associations se sont développées et ont prospéré en dehors de tout contrôle et de transparence. Le rapport de la Cour des comptes s’est penché plus particulièrement sur le cas de la Fondation des œuvres sociales des travaux publics (FOSTP), l’un des plus grands clubs de la place et l’une des plus grandes associations de la FOSTP, qui a le privilège de disposer du statut d’association d’utilité publique depuis 1982 .
Le rapport de la Cour des comptes montre qu’il s’agit là d’un exemple très édifiant de mauvaise gouvernance administrative et financière où on se permet de gaspiller sans compter l’argent du contribuable.
La mauvaise gouvernance administrative
La Cour des comptes, a tout d’abord souligné la mauvaise Gouvernance administrative du Club, dont le fonctionnement ne respecte pas les statuts qui le régissent. Selon ces derniers, le Conseil national est l’organe principal de la Fondation. La majorité de ses membres (8 sur 12), ainsi que le Président, son suppléant et le trésorier sont désignés par le ministère de l’Equipement. Le Règlement Intérieur exige que le Conseil se réunisse au moins une fois par mois. Cependant, les juges constatent dans leur rapport que dans les faits, depuis sa création, ce conseil joue un rôle marginal et ne se réunit que d’une façon épisodique et sans respect de la règle du quorum. Autre lacune de taille relevée par les juges et qui illustre toute la défaillance des structures administratives: l’inexistence des conseils régionaux prévus par les statuts. Or, selon le règlement intérieur, ces conseils régionaux devraient jouer un rôle très important dans la gestion de proximité des besoins des différents membres. De même le Club n’a pas mis en place, comme l’exigent les statuts, de commission d’audit des comptes. Or, le Conseil national de la Fondation se permet pourtant de valider les rapports moraux et financiers et donne des quitus à des dirigeants qui ne présentent aucun bilan comptable.
Deuxième anomalie relevée par les juges: cette association qui bénéficie annuellement d’une subvention de 18 millions de dirhams, n’a jusqu’à présent, jamais produit aucun rapport à l’intention du Secrétariat Général du Gouvernement, alors que la loi l’oblige à le faire. Troisième anomalie relevée par les juges, concerne la gestion du patrimoine foncier du Club: compte tenu du poids du ministère de l’Equipement, qui gère le domaine public, l’actuel ministre comme ses prédécesseurs, ont fait bénéficier la Fondation de terrains à des prix très avantageux, pour en principe faire accéder ses adhérents au logement. Or, les juges de la Cour des comptes constatent que progressivement, la Fondation s’est transformée en promoteur immobilier en réalisant des projets immobiliers de hauts et de moyens standings dans plusieurs villes. Bien plus, les juges constatent dans leur rapport et à leur grand étonnement, que la Fondation dispose même de réserves foncières de plus de 16 hectares de terrains nus.
La mauvaise gouvernance financière
Quatrième anomalie relevée par les magistrats : les juges constatent des détournements dans les affectations dans l’octroi des crédits et des logements. Selon la Cour des comptes, de nombreuses personnes non adhérentes ont bénéficié par des moyens détournés et selon des procédures opaques, des crédits et des logements du Club du ministère de l’Equipement. De même, les juges ont relevé que plusieurs prêts au logement ont été accordés aux mêmes personnes parmi les adhérents et ce, en violation des statuts juridiques de la Fondation. Pour étayer leur constat, les juges rapportent que durant la période 2007-2012, le Président, ainsi que quatre directeurs, ont profité de crédits dépassant le plafond exigé par le règlement intérieur: 100.000 DH. Autre exemple édifiant : le Président du Conseil national de la Fondation s’est vu octroyer un prêt gratuit de plus de 4 millions de DH. De même, le directeur du Club a obtenu 3 prêts d’un montant total de 800.000 DH. En outre, le Président a bénéficié d’une indemnité forfaitaire de 24.000 DH/mois durant la période s’étalant du mois d’août 2006 au 31 décembre 2008. Ces avantages s’ajoutent aux indemnités de déplacement dont il dispose et de sa pension de retraite. Bien plus grave, les juges constatent avec étonnement que ce même Président a de nouveau bénéficié et durant trois ans (2009-2012) d’une indemnité forfaitaire d’un montant mensuel de 40.000 DH, tout en touchant sa pension de retraite. Par ailleurs, le Président s’est approprié 3 appartements dans le projet Ryad 9 à Rabat et en a offert deux autres à ses proches. En outre, le rapport des juges cite d’autres exemples de distribution injustifiée de primes et de gratifications. Enfin, le rapport fait un zoom sur les nombreux déplacements à l’étranger avec un système de double prise en charge par la Fondation et les ministères, aggravé par l’octroi de taux indemnitaires journaliers très élevés. Les juges ont même relevé des faits étonnants, tels que par exemple : le règlement des cotisations à un club de golf au profit de certains hauts responsables et qui se sont élèvées à 589.000 DH en 2010.
Observons enfin, que la publication du dernier rapport de la Cour des comptes n’a pas encore suscité de réaction publique du ministre de l’Equipement, du Transport et de la Logistique.