Recherche : qu’a-t-on fait de nos scientifiques ? [Tribune]
S’il est un indice de développement on ne peut plus clair, c’est bien celui de la place de la recherche scientifique dans un pays donné. Il est mesuré à partir de plus d’un critère : la part du PIB annuellement accordée à la recherche, l’importance du montant alloué, le nombre de chercheurs, le nombre d’articles publiés dans les revues indexées, le nombre de brevets déposés annuellement, les types et domaines de recherches, etc…
La récente crise du Covid-19, aura permis de remettre la question de la recherche au cœur du débat. La recherche scientifique n’est plus l’affaire d’hommes et de femmes en blouse, enfermés dans des laboratoires, à s’occuper de choses inaccessibles. Tout un chacun a pris conscience que leur travail avait un impact direct sur son quotidien. La recherche scientifique n’est pas un luxe, mais bien une nécessité. En deux ou trois semaines, elle est devenue un domaine de discussion. Le monde entier s’est accordé, par la magie du Covid-19, à la remettre au cœur des politiques publiques.
En sera-t-il vraiment ainsi chez nous ?
Il est impératif pour nos instances et structures concernées, de se pencher sur ce secteur vital. Nous nous questionnons sur l’importance accordée à la recherche dans nos budgets certes, mais également et de manière pressante, sur la place qu’on lui accorde en tant que moyen inéluctable de développement de l’autonomie et de la souveraineté économique, comme moyen d’amélioration des politiques publiques, d’évaluation de l’impact de ses politiques, de rayonnement du pays, de création d’emplois, d’amélioration du quotidien des populations, d’augmentation du potentiel de confiance et de fierté nationale, etc. La recherche scientifique a toujours été un moyen important pour le développement dans les pays l’ayant compris avant les autres. Elle s’avère maintenant être incontournable pour notre futur. En pleine crise, le ministère de l’Education Nationale s’est dépêché de dégager une enveloppe budgétaire relativement importante, avec une feuille de route et des thématiques de recherche, pouvant profiter de cette enveloppe. Dans le désarroi et sous pression, nous restons les champions de la réaction. Il aurait été préférable d’être dans l’action et que ce genre de réflexes soit omniprésent et continu dans nos politiques et notre façon d’entreprendre et de considérer la chose publique.
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Il faut vite préciser que la recherche développement existe bien dans notre pays, mais qu’elle est toute récente. Ce n’est que depuis une vingtaine d’années, que nous essayons de la systématiser et de la favoriser. Depuis près de deux décennies, notre pays consacre près de 0,8% de son PIB à la recherche scientifique. Ce n’est pas assez. Cela se situe tout de même dans la moyenne supérieure des pays semblables, hormis ceux ayant véritablement opté pour l’investissement dans la recherche scientifique. Le Maroc s’est fixé pour objectif d’arriver progressivement à 2%, mais en 2025. Cela ne semble pas atteignable si l’on regarde l’évolution des choses. Sans aller vers des comparaisons vexantes, disons à titre indicatif que le Japon ou la Corée du Sud consacrent près de 4% de leurs PIB à la recherche. Au niveau africain, nous ne sommes que 6ème après l’Afrique du Sud, l’Egypte, la Tunisie, l’Algérie et le Kenya. Aujourd’hui, nous comptons quelque 14.000 chercheurs, ce qui est bien peu en comparaison avec certains pays à économie et niveau de développement comparables. Donner les chiffres de certains pays du continent nous ferait mal. Mieux vaut les taire ici, les spécialistes les connaissent bien. Les politiques devraient s’y intéresser sérieusement.
Un autre indice de notre retard, est la quantité des recherches qui aboutissent. Elle est simplement dérisoire ; même si notre production a triplé depuis une décennie. Sur les quatre millions de publications annuelles mondiales, notre pays ne participe que pour 0,2 pour cent. Notre part n’est que de quelque 8000 publications. La Turquie à titre d’exemple, produit 7 fois plus que nous .La qualité de nos recherches laisse également à désirer. Les travaux de nos chercheurs sont bien moins cités comme références que ceux du Kenya, dont les recherches sont citées deux fois plus que les nôtres, par exemple. Nos chercheurs sont aussi peu prolifiques. Si la moyenne mondiale est de deux publications par chercheur et par an, nous n’en sommes qu’à 0,5. En outre, un nombre ahurissant d’enseignants qui portent pourtant l’appellation de professeurs chercheurs, n’ont rien publié depuis plus de dix ans.
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Laissons de côté les chiffres et les parts de budget, pour nous pencher sur l’organisation de la recherche scientifique dans notre pays. Si les universités restent l’habitacle privilégié pour le développement de la recherche, au Maroc, celles-ci n’ont aucunement obligation de s’en occuper. Nos universités sont conçues comme des établissements pédagogiques et rien ne les oblige à faire de la recherche. Là où existe la recherche, est le fait de la volonté des enseignants qui veulent bien y consacrer une part de leur temps. Quoique dans leur salaire, les enseignants universitaires bénéficient bien d’une indemnité de recherche, ils ne sont point évalués, ni sur la quantité, ni sur la qualité de leurs travaux. Pour faire encore plus de mal à l’université marocaine, les administrations n’accordent que peu de crédit à leurs compétences. Le Maroc dépense des budgets conséquents dans des études et demandes de conseils à des bureaux d’études qui n’en portent que le nom, ou à des cabinets conseils internationaux à la compétence douteuse, représentés sur place par certains petits malins profitant copieusement, dans l’impunité de délit d’initié et de relations influentes. Si les livrables ainsi obtenus étaient bons et de qualité, cela se saurait. Pourtant, la Constitution de 2011 consacre bien l’importance de la recherche scientifique et technique dans ses articles 25 et 26. Il y est question de liberté, mais aussi d’appui de l’Etat à la recherche scientifique parmi les secteurs créatifs. Plusieurs institutions dédiées à la recherche ont vu le jour depuis peu. Elles sont tellement nombreuses et dispersées, qu’elles sont devenues malgré elles une sorte d’obstacle à l’avancement efficace du travail de recherche. Le système national d’innovation n’arrive pas à sortir d’une fragilité devenue systémique, et pour cause : un manque flagrant d’intégration des efforts déployés çà et là.
A ce jour, il n’y a toujours pas de loi régulant les questions inhérentes à la recherche scientifique, ni n’existe un organisme fédérateur et d’orientation. Il est quasiment impossible de parler de coordination ou même de visibilité. Personne ne sait, ni ne peut savoir ce qui se fait comme recherche, qui travaille sur quoi, quel organisme peut ou a les moyens de financer tel ou tel domaine de recherche. Un projet de loi cadre pour mettre de l’ordre dans tout ça, serait en cours d’étude à un stade avancé, au ministère de l’Education Nationale. L’administration et le contrôle financier à priori, sous prétexte de transparence et de bonne gouvernance, sont un obstacle des fois infranchissable. Le chercheur ou le laboratoire, pour exécuter un budget qui lui est pourtant alloué, va rencontrer les pires difficultés à convaincre l’administratif et le financier souvent incompétents, d’une dépense quelconque. Pour un oui ou pour un non, un projet peut être retardé ou carrément mis à mal et arrêté. Depuis longtemps, comme pour d’autres domaines, les chercheurs peinent malheureusement à être entendus. Ils réclament un contrôle a posteriori.
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Les ressources humaines et leur implication, sont une autre entrave au progrès en recherche scientifique. Les professeurs universitaires ne sont pas, chez nous, recrutés pour mener des recherches mais plutôt pour enseigner. L’avancement dans la carrière ne dépend point de la production du savoir, mais simplement du travail pédagogique. Certains professeurs, vont jusqu’à polycopier leurs cours sans aucun changement ni apport, année après année. Ainsi, ceux là ne suscitent aucunement de vocation chez leurs étudiants, ni ne les poussent à la recherche. Certaines thèses de doctorat vont ressembler plutôt à des revues de littératures, des fois dépassées, dès fois mal inspirées et n’apportent aucune avancée à la connaissance scientifique.La recherche et développement au Maroc souffre également du manque d’un statut de doctorant. Le doctorant est considéré être un simple étudiant et ne jouit d’aucune considération. Chacun sait que ce sont les doctorants qui, sous la houlette de leurs professeurs, accomplissent le gros du travail de recherche. De l’avis de nombreux enseignants, la qualité de certains masters ne qualifie aucunement les étudiants à des études doctorales de valeurs. Rares sont les étudiants qui vont changer d’universités après leur master. Ceci peut laisser penser que la dimension affective, de copinage, compte beaucoup dans l’admission aux études doctorales. Le niveau très bas en anglais de nos étudiants comme celui d’un bon nombre de professeurs d’ailleurs, les prive de l’accès et de la compréhension des publications les plus avancées.
A ce jour, il n’y a pas de coordination entre les universités et même entre les départements dans une même université, quant à la méthodologie qui doit être observée dans une recherche et pour le mode d’élaboration et de présentation d’une thèse de doctorat. Certains départements universitaires font montre d’une grande hardiesse et générosité dans l’octroi de titre de docteur, sans valeur ajoutée aucune. A se demander si cette inflation, en titres de docteur, dans certaines branches, n’est pas motivée par des considérations autres que la réussite académique et l’avancée de la science. Etablir et enseigner une méthodologie concertée poserait les jalons des compétences nécessaires pour les étudiants et garantirait une qualité incontestée des résultats, avec de bons critères de comparaison et d’évaluation.
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Le Maroc n’est certes pas à ce jour, un pays de recherche scientifique. C’est par contre un grand pays de chercheurs. Le nombre de Marocains dont les noms transcendent les frontières et qui font le bonheur de grandes universités et de centres de recherche prestigieux à travers le monde, est juste faramineux. Ils sont partout, dans tous les continents et dans tous les domaines. Leurs compétences profitent aux autres pays, donc aux autres économies. La Covid-19 nous a fait découvrir de très grands noms de scientifiques marocains. Bien plus grand est le nombre de ceux dont nous n’avons pas entendu parler. Que coûterait au Maroc de proposer, à ne serait-ce qu’une infime partie de ceux là, de rentrer au pays et d’y travailler, en leur garantissant des salaires, des motivations, de la considération et des moyens de travail à la hauteur de leurs compétences. Il a ces moyens. Ce serait le meilleur investissement que le Maroc puisse faire aujourd’hui. Le pays se mettrait ainsi à créer de la richesse dans des domaines à grande valeur ajoutée. Il pourrait devenir un véritable dragon, voire dépasser ceux d’Asie. Il en a les moyens humains et ce sont les humains qui créent l’histoire. Nombreux sont nos jeunes chercheurs porteurs de valeurs de modernisme et d’innovation, pleins d’amour pour la patrie qui les a vus naître. Aujourd’hui ils sont prêts et ne rêvent que d’une chose : rentrer au pays parmi les leurs et le faire profiter de leurs compétences. Alors pourquoi ne pas leur mettre à disposition et à celle de chercheurs d’horizons divers, une «Bouregreg Valley» arrimée à l’Université Mohammed V ou un «Oum Arrabi3 Science city» rattachée à l’Université Mohammed VI de Benguerir.
Pourquoi ne ferait-on pas comme la Chine qui a offert à de nombreux savants chinois de la diaspora de rentrer au pays, en leur garantissant les mêmes avantages que ceux qu’ils avaient ailleurs. Aujourd’hui, la Chine dispose d’institutions qui n’ont plus rien à envier au MIT ( Massachusetts Institute of Technology , NDLR ) . A la base de toute avancée, de toute industrie et de toute richesse, il y a l’invention et l’innovation ; point possible sans recherche scientifique. Si l’on s’écarte de ce chemin, en ne faisant que copier les autres et attendre qu’ils viennent allègrement et généreusement implanter tel ou tel business chez nous, alors on ne sera que l’éternelle mauvaise copie de l’autre, à la traîne de l’autre. Ce serait dommage pour un si beau pays qu’il en soit ainsi.