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Recouvrement par voie d’ATD : Est-ce la fin de la polémique ?

L’avis à tiers détendeur (ATD), mécanisme de recouvrement des créances publiques, se trouve depuis deux ans, au centre d’un débat public qui a vu intervenir des hommes politiques, des hommes d’affaires, des banquiers et des représentants des salariés. Après plusieurs tentatives de solution, une charte a été signée le 17 avril 2014 entre les principales parties prenantes  (Ministère de l’Economie et des Finances, Ministère de l’Emploi et des Affaires Sociales, Trésorerie Générale du Royaume, Administration des Douanes et Impôts Indirects, Direction Générale des Impôts, Confédération Générale des Entreprises du Maroc, Groupement Professionnel des Banques du Maroc et Caisse Nationale de Sécurité Sociale). La question se pose de savoir si le remède apporté par ladite charte est suffisant ou bien faut-il une réforme plus profonde ?

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our le recouvrement de ses créances, l’Etat dispose d’une procédure spéciale lui permettant, sans avoir besoin d’ester en justice, d’engager des actions coercitives contre les redevables par le biais de ses services administratifs. Cette mission est confiée essentiellement à la Trésorerie Générale du Royaume qui dispose d’un réseau de Perceptions implantées sur tout le territoire national. Les règles relatives aux conditions et formalités devant être respectées par les services de l’Etat en la matière sont édictées par la loi n° 15- 97 formant Code de Recouvrement des Créances Publiques. Outre l’Etat, d’autres organismes publics sont habilités, par leurs textes de création, à recouvrer leurs créances selon la même procédure ; Caisse Nationale de Sécurité Sociale, Caisse Centrale de Garantie etc.

Le Code de recouvrement des créances publiques met à la disposition des comptables publics toute une batterie d’instruments parmi lesquels l’avis à tiers détenteur (ATD) qui leur permet d’appréhender entre les mains des tiers, les sommes appartenant ou devant revenir aux redevables (banques, notaires, avocats, liquidateurs judiciaires, locataires, employeurs…). L’ATD, en tant que procédure de recouvrement des créances publiques, est très ancien ; il existait déjà dans le Dahir du 21 août 1935 (portant règlement sur les poursuites en matière d’impôts directs, taxes assimilées et autres créances recouvrées par les agents du Trésor) sous l’appellation de « sommation à tiers détenteur » (STD) ; son utilisation par les comptables publics était limitée du fait que le taux de bancarisation était relativement faible. 

Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code en septembre 2000, les comptables en charge du recouvrement ont recours de plus en plus à l’ATD contre les redevables bancarisés. Ceci s’est traduit par une charge de travail trop élevée pour les banques qui, malgré la mobilisation des moyens humains importants n’arrivaient pas à faire face à la masse des ATD émanant des perceptions, surtout que l’échange se faisait sur support papier entre des centaines de comptables publics et des milliers d’agences bancaires.

Pour remédier à cette situation qui était devenue ingérable, les deux parties, à savoir la Trésorerie Générale du Royaume et les banques de la place ont convenu en 2010 de l’utilisation des nouvelles technologies en dématérialisant tout le circuit des ATD (de l’émission à la main levée) et en mettant en place au niveau de la TGR un interlocuteur unique des banques (Unité Centrale de Recouvrement) chargé de centraliser tous les ATD émanant des perceptions. Le passage du support papier au fichier numérique a boosté les ATD dont le nombre et le rendement ont augmenté d’une manière exponentielle, ce qui a provoqué une sorte de panique chez la clientèle bancaire. Devant cette situation décriée à la fois par les entreprises et les particuliers, les autorités gouvernementales ont dû intervenir pour calmer le jeu dans l’attente d’une réforme de la procédure de recouvrement des créances publiques. 

Après moultes tergiversations et devant l’impossibilité pour l’Etat de renoncer à ce privilège en matière de recouvrement surtout en période de disette budgétaire, les pouvoirs publics ont opté pour une solution sous la forme d’une charte tendant à « concilier les intérêts des redevables et ceux de l’Etat, à renforcer la confiance entre l’administration et le citoyen et à contribuer à améliorer le climat des affaires ». Quelles sont donc les solutions apportées par ladite charte et dans quelle mesure peuvent-elles mettre fin au malaise créé par la dématérialisation des ATD frappant les comptes bancaires ?

La charte qui a été signée le 17 avril 2014 adopte une démarche pédagogique originale en rappelant le cadre législatif régissant l’avis à tiers détendeur et les «garanties dont bénéficie le contribuable en termes d’information, de délais à respecter et de moyens de suspension du recouvrement des créances contestées, ainsi que de garanties administratives complémentaires instituées en faveur du contribuable». Elle appelle les deux parties, à savoir, le contribuable et le comptable public à respecter les dispositions régissant l’avis à tiers détenteur pour « en faire un instrument de garantie des droits reconnus au citoyen-contribuable et de sauvegarde des prérogatives conférées en ce domaine au comptable public ». A l’effet d’y arriver, de nombreuses mesures son arrêtées allant de l’information préalable du contribuable jusqu’à l’institution d’un mécanisme de suivi des ATD par le Ministre de l’Economie et de Finances. 

Le contribuable est mieux informé

Pour éviter le recours systématique aux ATD, la charte rappelle que le contribuable doit être informé, par l’envoi, par voie postale, d’un avis d’imposition comportant les dates de mise en recouvrement et d’exigibilité des impôts et taxes. Un délai minimum de deux mois à partir de la date de mise en recouvrement est accordé au contribuable pour régler sa dette à l’amiable. En cas de non paiement, il est de nouveau informé au moyen d’un avis sans frais qui lui est adressé par voie postale dans les dix jours suivant la date d’exigibilité de la créance ; les tiers détenteurs en sont informés concomitamment. Pendant cette période, les administrations chargées du recouvrement s’engagent à n’entreprendre aucune action de poursuite à l’encontre du contribuable qui bénéficie ainsi d’un délai minimum de soixante dix jours à compter de la date de mise en recouvrement pour régler ses dettes. A l’expiration de ce délai, le comptable chargé du recouvrement peut user de l’avis à tiers détenteur tout en informant, par lettre envoyée par voie postale, le contribuable qui en est informé en parallèle par le dépositaire ou le tiers détenteur. Lorsqu’il s’agit d’une banque, l’information est assurée par tous les moyens utilisés par les banques avec leur clientèle y compris les SMS. 

L’ATD n’est notifié qu’à une seule banque

La dématérialisation des échanges de renseignements entre les banques et la TGR permet à cette dernière dans le cadre de l’exercice du droit de communication, d’obtenir par un simple échange automatique des fichiers, les numéros de tous les comptes du redevable auprès de l’ensemble des banques de la place. Ainsi, la saisie instantanée de tous les comptes du redevable devient possible et augmente les chances de recouvrement des créances publiques. Mais en même temps, elle peut s’avérer non justifiée lorsque le solde global de ces comptes dépasse le montant de la créance objet de l’ATD. Afin d’éviter une telle pratique, la charte de recouvrement prévoit que le comptable chargé du recouvrement ne peut notifier l’ATD qu’à une seule banque; la notification éventuelle d’un ATD à une autre banque n’est possible qu’en cas d’insuffisance des fonds récoltés suite au premier ATD. 

L’article 102 du Code de recouvrement des créances publiques prévoit que l’avis à tiers détenteur a pour effet l’attribution immédiate des sommes détenues par les tiers et que ledit effet s’étend aux créances à terme ou conditionnelles. L’application de cette disposition n’était pas sans soulever des divergences entre les perceptions et les banques en ce qui concerne les comptes à terme et les bons de caisse au porteur. Pour dépasser ces difficultés, la charte retient une solution qui tient compte des intérêts de toutes les parties en prévoyant que les prélèvements sur les créances à terme ou conditionnelles ne peuvent être effectués qu’à la date de survenance du terme ou celle de réalisation de la condition. Mais en cas d’existence de comptes à terme ou de bons de caisse nominatifs, la banque en informe la TGR mais n’opère le prélèvement qu’à la date d’échéance. 

Un délai est accordé au contribuable

La charte accorde au contribuable un délai de 72 heures en vue de prendre les mesures qu’il juge nécessaires pour la régularisation de sa situation vis-à-vis de l’administration concernée. Passé ce délai, le tiers détenteur ou le dépositaire est tenu de verser les sommes prélevées entre les mains du comptable en charge du recouvrement. D’un autre côté, il convient de signaler que les banques disposent dans le cadre de la convention signée avec la Trésorerie Générale du Royaume d’un délai de deux jours ouvrés, à compter de la réception des ATD, pour déterminer les soldes réels des comptes du redevable pouvant faire l’objet de prélèvement et ce, après traitement des opérations en cours, initiées avant la réception des fichiers de la TGR.  

Les prélèvements sur salaire sont plafonnés

Afin d’atténuer l’impact des ATD sur les salaires, la charte fixe à 40% maximum le taux des prélèvements opérés sur les salaires. Cette mesure ne profite toutefois qu’aux fonctionnaires de l’Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics. Quant aux salariés du secteur privé, ils demeurent soumis au Code du travail qui prévoit un barème moins favorable dans la mesure où les prélèvements sont illimités sur la portion du salaire annuel supérieure à vingt fois le salaire minimum légal. A noter que le plafonnement des prélèvements ne peut produire d’effet que lorsque l’ATD est notifié à l’employeur; dans le cas où il frappe le compte bancaire où le salaire est domicilié, le contribuable ne peut pas prétendre au bénéfice de cette règle du fait que le salaire, en intégrant le compte bancaire, perd son individualité et devient un élément du solde créditeur du compte. 

L’administration s’engage à restituer les montants prélevés à tort et à exécuter les décisions de justice

Pour mieux garantir la protection du contribuable face à l’administration publique, il est prévu que cette dernière s’engage à restituer les montants prélevés à tort, dans un délai de 48 heures. Il s’agit là d’une mesure très significative car généralement, les administrations publiques mettent beaucoup de temps quand il s’agit de rembourser les sommes encaissées indûment. La charte prévoit aussi que le comptable public sursoit aux actions de recouvrement dans le cas où le contribuable obtient une décision de justice. 

Généralisation de la dématérialisation des ATD

 A l’heure actuelle, seuls les ATD de la TGR frappant les comptes bancaires sont dématérialisés ; ceux initiés par les autres administrations publiques (Administration des impôts, Administration des douanes..) ainsi que les ATD destinés aux autres tiers détenteurs ou dépositaires sont toujours établis sur support papier. La charte prévoit qu’il sera procédé progressivement à l’adoption de la plateforme de la Trésorerie Générale du Royaume pour le traitement des opérations relatives aux ATD entre les administrations publiques en charge du recouvrement et les établissements bancaires. 

Si la généralisation de la dématérialisation des ATD présente des intérêts indéniables en termes d’efficacité, de coût et de délai, elle risque d’accentuer la pression sur les redevables, clients des banques en raison du nombre des ATD qui va certainement connaître une augmentation exponentielle.

Conscients de ce risque, les rédacteurs de la charte ont mis en place un reporting mensuel permettant au Ministre de l’Economie et des Finances de suivre le nombre des ATD et les sommes récupérées par le biais de ce moyen de recouvrement. Ce mécanisme donnera la possibilité au Ministre d’intervenir chaque fois qu’il constate que le nombre des ATD auprès des banques atteint un niveau de nature à provoquer un nouveau malaise au sein de la clientèle bancaire. En effet, l’usage des nouvelles technologies augmente très sensiblement la force de frappe des organes chargés de recouvrement qui risque, s’il n’est pas bien encadré, de remettre en cause la politique de bancarisation engagée par le pays. Ceci nous amène à poser la question de savoir si la dématérialisation des procédures prévues par des lois, non seulement en matière de recouvrement mais dans tous les domaines, ne nécessite pas l’intervention du législateur afin d’adapter les règles et procédures aux nouvelles technologies et ce, dans le souci de sauvegarder les garanties offertes au citoyen dans ses relations avec l’administration publique. n

C.A.H

 
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