Redevances: le secteur de l’affichage urbain étouffe
Déjà lourdement affectées par la crise du Covid-19 et peinant à sortir de la période mortelle du confinement, les sociétés d’affichage publicitaire sont désormais asphyxiées par les lourdes redevances que leur réclament les collectivités locales. Le secteur est lui aussi au bord de la faillite.
Avec plus de 10.000 emplois directs et indirects en jeu, les sociétés d’affichage publicitaire constituent un secteur important au Maroc. La crise, profonde, qui les touche et menace même leur survie, risque d’être fatale aussi pour tout leur écosystème. Et pour cause, c’est grâce à ces entreprises structurées, citoyennes et responsables, que de nombreux métiers, fournisseurs et sous-traitants ont pu émerger et se développer (imprimeurs, industriels de l’aluminium, électriciens, négociants en bâches, sociétés de matériel électrique et d’équipement en éclairage solaire, bureaux d’études… ).
Le secteur de l’affichage a mené un dur combat pour assurer sa survie suite à l’intenable période de confinement. Ne comptant que sur la trésorerie issue d’un chiffre d’affaires réalisé et facturé plusieurs mois avant le confinement, il a pu maintenir tous les emplois et régler toutes les factures fournisseurs contrairement à d’autres secteurs qui privilégient des emplois précaires. Mais, l’heure est encore plus grave aujourd’hui, vu la crise persistante. « Le problème se posera dans quelques mois, lorsque il n’y aura rien à recouvrer puisque nous n’avons rien facturé pendant la période de confinement. Et c’est justement pour ça que nous sollicitons une exonération des redevances d’occupation du domaine public. On tire la sonnette d’alarme », alerte M’hammed Fahmi, vice-président de l’Association Marocaine des sociétés d’Affichage Publicitaire (AMAP), la seule qui représente le secteur, englobant les sociétés qui exploitent les domaines public et privé.
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Fahmi rappelle qu’avec le confinement l’activité a été stoppée net, mais que de nombreux clients ont suspendu les contrats et les paiements à cause de la crise et la reprise qui semble encore lointaine. Résultat, les sociétés d’affichage se retrouvent aujourd’hui avec des caisses vides. Malgré tout, les collectivités locales font la sourde oreille face à leur désarroi.
Tous les professionnels concernés s’accordent à affirmer que pour sauver l’activité, cette seule solution, pratique, s’impose : «il faut agir sur les redevances, aussi bien celles collectées par les collectivités locales que celles payées aux régies d’électricité, pour éviter une vague de licenciements et de fermetures qui touchera même les plus grandes sociétés», conviennent-ils.
L’AMAP souligne aussi que malgré le déconfinement, et le semblant de reprise qu’il laisse présager, l’activité n’a pas réellement repris et les différentes restrictions imposées ici et là dans plusieurs villes du pays continuent d’handicaper le secteur. « Face à cette situation alarmante, les collectivités locales, notamment à Casablanca, ne daignent même pas répondre aux sollicitations des acteurs pour trouver une solution qui satisfasse les deux parties », s’indigne l’Association.
Des revenus en baisse et des redevances en forte hausse
Saisie à deux reprises par écrit, la Mairie de Casablanca n’a, à ce jour, donné aucune réponse à ces appels à discuter. Et pourtant, les sujets de discorde sont nombreux et l’association n’avait pas attendu cette période pour exposer certaines incongruités au Conseil de la ville. Depuis plus d’une année, l’AMAP a attiré l’attention du Conseil de la Ville sur un certain nombre de problématiques qui plombent le secteur.
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Parmi celles-ci, « la déconnexion incompréhensible et le déphasage glaçant des redevances versées à la ville par rapport au chiffre d’affaires réalisé par le secteur. Des redevances d’exploitation du domaine public qui ont augmenté de … 500 à 600%, passant de 12.000 à 60.000 – 100.000 dirhams par an et par panneau sur les 10 dernières années ; alors même que le prix moyen de vente d’une face de panneau est passé, durant la même période, de 15.000 dirhams à 4.000 dirhams par mois » ajoute Adil Lahlou, président de l’association. Avec une moyenne très optimiste de 6 mois de vente d’affichage publicitaire par an, le secteur a du mal à couvrir les redevances avec les revenus générés.
Pire encore, la redevance pour certains panneaux appelés « unipôles » est fixée entre 100.000 et 200.000 dirhams ! selon le zoning. Or, dans le métier, seule la face dans le sens de la circulation est vendue. « L’autre face, appelée face B, est souvent bradée et même accordée en gratuité. Elle ne génère quasiment pas de revenu pour l’opérateur. Les communes doivent comprendre cette particularité dans notre métier. Finalement, nous nous acquittons d’une redevance par panneau pour deux faces, mais nous générons du chiffre d’affaires à partir d’une seule face », souligne Adil Lahlou.
La situation est encore plus grave lorsqu’il s’agit d’exploiter le domaine privé (les murs ou le toit d’un immeuble par exemple). « Là, en plus de payer un loyer au syndic de l’immeuble, les sociétés doivent s’acquitter de la redevance d’exploitation du domaine public, très élevée et disproportionnée ; une double-peine en quelque sorte, qui handicape le développement du métier et freine les investissements », ajoute Lahlou.
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Exonération immédiate des redevances pour sauver le secteur
C’est clair que les revenus du secteur peinent à couvrir les charges et de nombreuses sociétés sont obligées de combler le manque à gagner sur cette activité par les gains obtenus dans d’autres activités. Mais pour ne pas tuer ce qui est à l’évidence pour la Ville de Casablanca « la poule aux œufs d’or », puisque son trésor y gagne quand même pas moins de 300 millions de dirhams de revenus (50% des revenus de l’affichage sur l’ensemble du pays), l’AMAP appelle à réagir vite pour sauver le métier.
La redevance étant payable par trimestre, et le premier trimestre 2020 étant déjà liquidé, l’Association veut que cette année exceptionnelle soit traitée de manière exceptionnelle. « Le secteur demande une exonération des redevances d’occupation du domaine public qui couvre la période allant du 1er avril au 31 décembre de l’année. Car, lissé sur l’année, le secteur a perdu 60% de ses revenus à cause de cette crise sanitaire. Une approche de solution ne peut pas être partielle, mais doit concerner la totalité des 9 mois restants de l’année à partir du 1er avril. Le secteur n’a aucune visibilité sur le reste de l’année et les conséquences de cette pandémie se feront ressentir sur plusieurs années encore », détaille M’hammed Fahmi.
Un courrier de la Direction Générale des Collectivités Locales adressé à toutes les communes a vaguement évoqué une exonération du 2e trimestre et d’une partie du 3ème trimestre. Or, il n’existe pas de prorata dans le paiement des redevances, et le courrier ne précise pas si les sociétés d’affichage sont concernées par une telle exonération. Ce courrier qui, devait répondre à une situation urgente, a lui-même besoin d’être clarifié. L’AMAP, précise que plusieurs courriers envoyés à la DGCL sont restés sans réponse à ce jour. « Nous avons besoin d’être fixés pour prendre des décisions. On est dans l’urgence, plusieurs communes nous pressent de régler les redevances et nous ne savons pas comment réagir » précise Fahmi.
Sur le long terme, il s’agit pour le secteur d’obtenir de plusieurs grandes villes une révision globale du cadre de prestation, avec des redevances en cohérence avec les revenus. « Il faudra qu’on arrive à un partenariat gagnant-gagnant pour la ville et le secteur tout en revoyant à la baisse les redevances, en corrélant ces dernières aux revenus, à fixer un plancher et un plafond pour les redevances. Dans ce même ordre, une révision des forfaits des régies d’électricité est nécessaire pour ne pas pénaliser le secteur mais plutôt l’encourager dans des investissements en matière d’économie d’énergie », conclut le vice-président de l’AMAP.
Points clés du mémorandum
En mai 2019, l’AMAP a proposé un mémorandum pour une entente entre le Conseil de Ville de Casablanca et les sociétés opérant dans le secteur de l’affichage urbain. Ce document souligne le caractère disproportionné des redevances par rapport aux revenus du secteur et appelle à leur révision.
– Le 1er point concerne le niveau élevé des redevances, qui ont davantage augmenté en 2018 alors même que le secteur réclamait déjà leur réduction, face à une chute drastique du prix de vente moyen de l’affichage.
– Le 2e concerne les panneaux unipôles dont la redevance est plus élevée encore, avec une double peine lorsque le terrain abritant le panneau relève du domaine privé.
– Le 3e point concerne la Lydec à Casablanca, dont le montant des redevances est en totale décorrélation avec l’activité et les investissements des afficheurs. En effet, malgré le passage de la plupart des afficheurs en éclairage LED suite à des investissements importants pour réduire leur impact énergétique, la Lydec a maintenu très élevé le taux forfaitaire de l’éclairage, à 1.500 dirhams par panneau et par mois pour les panneaux 4X3 et plus de 3000 dirhams pour les panneaux grand format.
– Le 4e fait référence au zoning à revoir et une révision du cahier de charges du Conseil de la Ville.