Refonte du droit des entreprises en difficultés
Le ministère de la Justice et des Libertés a organisé le premier octobre 2014 au siège de l’Institut Supérieur de la Magistrature de Rabat, une journée d’étude portant sur la refonte du livre V du Code de Commerce relatif aux procédures de prévention et de traitement des difficultés des entreprises. Les responsables du ministère ont veillé à y inviter toutes les parties concernées et ce, suite au rapport de la Haute Instance du Dialogue National sur la réforme du système Judiciaire. par C.A.H.
Les risques d ‘une entreprise en difficulté
A l’instar d’une personne physique, une entreprise peut connaître au cours de sa vie des difficultés de nature à mettre en péril sa pérennité. Les causes sont multiples ; elles peuvent être d’ordre interne comme la défaillance du système de gouvernance, les conflits sociaux ; mais elles peuvent être aussi d’origine externe comme la survenance de crise économique, les problèmes du marché ou autres.
Une entreprise en difficulté présente des risques non seulement pour ses propriétaires et son personnel, mais aussi pour tout son environnement (fournisseurs, clients, banques…..). C’est la raison pour laquelle, les pouvoirs publics dans tous les pays du monde mettent en place des cadres juridiques pour traiter les difficultés des entreprises. Toutefois, l’approche a énormément évolué avec le temps. Si sous l’empire de l’ancien régime juridique, le souci était d’éliminer «l’entreprise atteinte de maladie» de peur de la voir contaminer les autres entités du tissu économique, le droit moderne fait de l’entreprise «une déesse» dont le maintien en vie est une priorité dans le but notamment, de préserver les emplois. Ceci ne se fait pas toujours sans sacrifier les intérêts d’autres entreprises.
Le crédo est de tout faire pour sauver l’entreprise afin qu’elle continue à produire de la richesse et à créer de l’emploi
Avant l’adoption du Code de Commerce en 1996, le dispositif en vigueur prévoyait un traitement chirurgical de choc sous la forme de deux procédures étroitement liées : la liquidation judiciaire et la faillite. La logique dominante était d’éliminer du circuit économique les entreprises en difficulté. Avec le Code de Commerce de 1996, la logique a changé, le crédo est de tout faire pour sauver l’entreprise afin qu’elle continue à produire de la richesse et à créer de l’emploi. Après dix sept ans d’application de ce régime au Maroc, les résultats sont décevants, selon l’avis de tous les intervenants dans le processus de prévention et de traitement des difficultés des entreprises.
En effet, les participants à la journée d’étude ont été unanimes sur l’échec de l’expérience et sur l’urgence d’entreprendre une réforme en profondeur du régime actuel à la lumière de l’expérience accumulée depuis l’instauration de ce régime en 1996. Certains sont allés jusqu’à se demander s’il est opportun de maintenir ce régime. Des experts américains (FSVC) présents à la journée d’étude sont d’un autre avis. Pour eux «un cadre juridique stable concernant les difficultés des entreprises crée des opportunités d’attirer les capitaux pour développer l’activité économique actuelle ou d’en créer une nouvelle ».
Les raisons de cet échec sont multiples. Tout d’abord, l’inadaptation de la législation à la réalité des entreprises marocaines qui sont en très bonne partie de petites entreprises qui, souvent, ne tiennent pas leur comptabilité d’une manière régulière. Comme l’a bien dit un président d’un Tribunal de Commerce, les plans de redressement basés sur des documents comptables non fiables ne peuvent pas aboutir à un bon résultat. D’un autre côté, il a été bien souligné que les entreprises recourent tardivement au mécanisme de traitement des difficultés, ce qui réduit les chances de réussite des plans de sauvetage.
Les limites de l’approche judiciaire
L’approche judiciaire a des limites, il est temps de réhabiliter l’approche économique et financière en confiant le traitement des difficultés des entreprises à un corps constitué de professionnels expérimentés. Le projet de réforme préparé par le Ministère de la Justice et des Libertés avec l’appui de nombreux experts étrangers (Banque Mondiale, Union européenne, l’organisation américaine FSVC…) apporte de nombreux amendements au régime actuel. L’apport principal de cette réforme est l’introduction d’une nouvelle procédure de traitement des difficultés des entreprises appelée « procédure de sauvegarde ». La spécificité de cette procédure par rapport aux autres déjà existantes, est qu’elle intervient avant même que l’entreprise n’arrive à la cessation de paiement.
La procédure de sauvegarde a été empruntée, comme le régime introduit en 1996, au droit français qui a adopté cette procédure en 2005 en s’inspirant du droit américain de la faillite (chapter 11 du Bankrupty Act). La question qui se pose est de savoir si la réalité marocaine est propice à l’implantation d’une autre procédure de traitement des difficultés des entreprises ; ne va-t-elle pas accentuer la complexité du système existant dont l’application n’est pas toujours évidente. Le chef d’entreprise se trouvera en face de plusieurs procédures; conciliation, sauvegarde, redressement judiciaire, liquidation judiciaire. Ne serait-il pas plus intéressant de simplifier le système pour le rendre à la portée des entrepreneurs et des professionnels ? Est-il nécessaire de garder la procédure de la conciliation à côté de la procédure de sauvegarde ? N’est-il pas opportun, dans un souci d’alléger les procédures, d’abréger les étapes en prévoyant le passage, en cas d’échec de la procédure de sauvegarde directement à la liquidation judiciaire de l’entreprise ?
La multiplicité des procédures est peut être adaptée au tissu économique de la France, mais la réalité du Maroc est différente. Se référer à l’expérience étrangère est toujours une source d’inspiration, encore faut-il éviter le mimétisme qui présente des dangers qu’il faut éviter. Avec le capital expérience de dix sept ans, les rédacteurs du projet de texte de refonte du livre V du Code de Commerce auraient pu oser et innover pour doter l’entreprise marocaine d’un système qui lui est adapté.
Il reste entendu que le redressement d’une entreprise en difficulté n’est pas une simple affaire de procédures judiciaires, le juge n’est pas «un manager» ; il ne peut pas supporter tout seul le fardeau du traitement des difficultés des entreprises comme c’est le cas actuellement. L’approche judiciaire a des limites, il est temps de réhabiliter l’approche économique et financière en confiant le traitement des difficultés des entreprises à un corps constitué de professionnels expérimentés travaillant sous le contrôle du juge dont la mission se limitera à veiller au respect des procédures judiciaires et à la préservation des intérêts de toutes les parties en présence.