Réforme des retraites, métier de grande pénibilité
L’hebdomadaire Le Point avertit dans le tirage du 14 mars 2014 que « travailler sur le chantier des retraites était reconnu métier d’une grande pénibilité ». On peut ajouter qu’il comporte aussi des risques politiques. En 1995, le plan de sauvetage de la sécurité sociale lancé par Jacques Chirac et Alain Juppé avait suscité l’opposition farouche des syndicats. Ils déclenchèrent une grève générale qui paralyse l’activité pendant trois semaines. Jacques Chirac décida de dissoudre l’Assemblée nationale, mais les élections furent remportées par la gauche. Alain Juppé a alors perdu son poste de Premier ministre et Jacques Chirac a dû cohabiter avec un gouvernement de gauche.
par Mohamed BENDRISS BENAHMED
Les gouvernements successifs ont privilégié la réflexion et la concertation, mais ont perdu en efficacité. Des études de haute qualité qui proposent d’intéressantes pistes de réforme ont été effectuées. Cependant, en pratique, le manque d’audace politique a fait que les actions entreprises n’ont servi qu’à faire du « rafistolage à défaut d’une vraie réforme ».
Au Maroc, les contacts avec la Banque Mondiale au sujet de la réforme des retraites remontent déjà à 1994. Les deux commissions, nationale et technique, planchent sur ce dossier depuis 2004 et pourtant, la réforme se fait toujours attendre. Entre-temps, les différents régimes subissent les vicissitudes de la démographie et les « sans couverture » voient leurs rangs grossir en attendant de meilleurs jours.
Comment expliquer une telle lenteur? Certes, la tâche est loin d’être facile, surtout lorsque les partenaires sociaux défendent des objectifs contradictoires. Pour les uns, la réforme doit sauvegarder les acquis à défaut de les améliorer. Pour d’autres, c’est plutôt l’adaptation à un contexte économique et démographique en perpétuel changement qu’il faut rechercher.
Il n’en demeure pas moins qu’il y a problème : on ne peut pas cogiter indéfiniment sans que la réflexion n’ait d’impact sur la réalité. Au moment où tout le monde s’accorde sur la nécessaire bonne gouvernance, on ne peut pas s’empêcher de constater que notre système décisionnel souffre, du moins dans ce cas, d’inefficacité. Depuis le départ du gouvernement dirigé par Mr Jettou, on a l’impression que la réforme des retraites est déclassée de la liste des priorités.
A la limite, les décideurs politiques peuvent juger que la réforme globale n’appelle pas d’urgence. En revanche, le cas du régime des pensions civiles géré par la CMR ne laisse aucune marge de choix devant la nécessité de rétablir son équilibre financier.
Le dossier de la CMR a fait couler beaucoup d’encre et suscité des commentaires de tous genres donnant lieu à quelques amalgames. Ainsi, convient-il d’apporter quelques précisions en guise de contribution à la clarification des termes du débat.
1°)- Le cas de la CMR est urgent pour la simple raison qu’on ne peut pas concevoir un régime de retraite fonctionner avec des déficits. Un régime par répartition ne peut redistribuer au profit des retraités plus que ce qu’il récolte comme cotisations auprès des actifs. Sauf, bien entendu, si les autorités acceptaient de couvrir les déficits au moyen de subventions.
Il est aussi possible de puiser sur le portefeuille des réserves. Mais une telle action ne fera que détériorer encore plus la santé financière du régime et aggraver son incapacité à financer sa dette implicite. Ces réserves ont un rôle stratégique. Elles procurent des ressources qui viennent alléger les prélèvements sur les affiliés actuels et futurs. Elles permettent surtout de maintenir le taux de cotisation à un niveau supportable. En priver le régime, c’est condamner les futurs actifs à des sacrifices impossibles à consentir.
2°) – Il y a une frappante confusion au niveau du discours dont la conséquence est d’amplifier à outrance les enjeux du débat. On parle systématiquement de «réforme» des pensions civiles alors qu’il ne s’agit en fait que d’un « ajustement ». En effet, dans les régimes par annuités, dont fait partie celui des pensions civiles, l’ajustement en cas d’insuffisance des ressources ne peut se faire que par le biais des paramètres composant le fameux triangle maudit : taux de cotisation, âge de retraite et niveau de prestation.
L’éminent professeur, Jacques Bichot, rappelle que dans les régimes par annuités, « le mot réforme ne désigne pas l’importance du changement réalisé, mais celle des efforts qu’il requiert, qui est souvent grande ».
Dans le cas de la CMR, la forte dégradation du rapport démographique et le retard accusé dans la réalisation de l’ajustement font que la modification du taux de cotisation pour rétablir l’équilibre nécessiterait de le porter à plus de 50% du salaire brut. Agir sur ce seul paramètre est donc inconcevable. Pour maintenir ce dernier à un niveau acceptable, il faut agir aussi sur l’âge et l’assiette de calcul des pensions.
3°)- La difficulté pour la CMR provient du fait que pour adapter le moindre paramètre, il faut modifier la loi. Cela confère automatiquement à la mesure un caractère politique qui entraine des débats interminables et la recherche de compromis difficiles. Chaque fois que le conseil d’administration de la CMR soulevait la question des équilibres financiers, les ministres ont préféré renvoyer le dossier devant la Commission Technique. Or, cette dernière n’a aucun pouvoir en matière de régulation des régimes, sa mission couvre tout ce qui concerne la réforme globale et rien que cela.
4°)- Dans les régimes qui fonctionnent selon la technique des points, ce genre d’ajustement se fait en douceur et sans bruit. Lorsque les cotisations ne suffisent plus à couvrir les prestations, on procède à la modification de la valeur d’acquisition et de service du point de base. Une telle mesure, qui a le même effet que l’augmentation du taux de cotisation, relève de la gestion courante et se prend par la simple décision du conseil d’administration.
Si la CIMR avait à réajuster la valeur du point, il ne viendrait certainement pas à l’esprit de ses dirigeants de consulter la Commission Technique ni le Conseil Economique, Social et Environnemental. En procédant ainsi, ils ne font que leur travail de pilotage.
5°)- Les mesures proposées par le gouvernement pour redresser l’équilibre financier du régime des agents publics demeurent, malgré leur importance, insuffisantes pour assurer sa pérennité à long terme. Elles vont donner un répit d’une quinzaine d’années avant l’apparition de nouveaux déficits. Le problème est qu’avec la dégradation continuelle du rapport démographique, les déficits futurs seront d’une telle ampleur que l’action sur les paramètres classiques risque de ne pas être de grand secours.
Plus les mesures sont timides et tardives, plus le sacrifice attendu des prochaines générations sera lourd et les chances de sauvegarder les acquis moindres. Ce qu’il faut aujourd’hui, ce ne sont pas des retouches paramétriques, mais plutôt une remise à plat pour préparer le régime à affronter le défi démographique que lui impose le choix de l’Etat de restreindre les recrutements. Jusqu’au début des années 1990, il y avait peu de retraités et de nombreux actifs (plus de 10 actifs pour un retraité). Dans quelques années, il y aura peu d’actifs, obligés de par le contrat de la répartition de prendre en charge une population de retraités très nombreux (2 retraités pour un actif à partir de 2020). Même les régimes de retraite des pays les plus vieillissants ne connaissent pas de dégradation aussi forte du rapport démographique. Sans perfusion à base de subventions, le régime aura les pires difficultés à se maintenir en vie. L’aisance démographique d’antan qui a permis au régime d’être généreux et peu regardant sur les valeurs qui le fondent, relève désormais du passé.
Le changement du contexte sociodémographique est tel, qu’il est temps de rechercher quel type de solidarité pourrait soutenir durablement la pérennité du régime et quel genre d’équité conviendrait mieux aux exigences du moment.