Solidarité face au Covid 19 : Encore un effort, Messieurs les assureurs !
Ayant consenti un geste commercial estimé à 500 millions de dirhams au profit de leurs clients en assurance Automobile, les assureurs marocains ont, enfin, fait montre d’une solidarité louable face au Covid-19 dont ils font partie des rares secteurs qui semblent, au contraire, profiter jusqu’à présent grâce à la baisse significative de la sinistralité engendrée par les conséquences de cette crise inédite. Mais cette solidarité est bizarrement sélective, aussi bien pour ce qui est des segments de clientèle éligibles que des branches d’assurance concernées !
En ayant pris à travers ces colonnes le porte-voix – bien avant tout le monde – de millions d’assurés marocains sur le dos desquels les assureurs ont engrangé un surprofit considérable grâce au confinement strict appliqué pendant plus de deux mois par le gouvernement marocain et la chute vertigineuse de la sinistralité qui s’ensuivit, nous n’espérions guère faire bouger si rapidement une corporation aussi puissante, puisque cinq jours à peine ont séparé notre premier article s’étant emparé du sujet le 08/05/2020 (« Les assureurs marocains jouent-ils réellement le jeu en ces temps de crise? » et le communiqué dont la FMSAR (Fédération marocaine des sociétés d’assurances et de réassurance) s’est fendue pour annoncer la décision de l’ensemble de ses membres, de faire bénéficier leurs clients particuliers disposant d’une assurance automobile d’un rabais de prime pouvant atteindre, pour un contrat annuel, 30% de la portion de prime RC automobile et garanties annexes couvrant les deux mois de confinement. Bien que cela ne représente que le quart de notre estimation des gains qu’empocheraient, in fine, les compagnies d’assurance marocaines en marge du Covid-19 (grâce à la simple baisse mécanique de la sinistralité, et au-delà de la seule période de confinement dans les deux branches phares que sont l’Automobile et l’Accident de Travail), le geste commercial en faveur des assurés est tout de même de 500 millions de dirhams. Ce qui tranche nettement avec les «mesurettes» annoncées jusqu’alors par les assureurs, entre prorogation jusqu’à fin avril 2020 des attestations d’assurances automobile expirant à compter du 20 mars et soutien apporté aux agents généraux d’assurance – qui n’est autre que le bras armé commercial du secteur lui-même. Et cela est d’autant plus louable que le Code marocain des assurances n’accorde guère, comme cela est le cas en France, à l’assuré – allez savoir pourquoi – Le droit à une diminution du montant de la prime en cas de diminution du risque en cours de contrat (Voir notre article du 14 mai 2020 : «Code des assurances :
un «oubli» législatif qui ne passe pas en ces temps de crise»).
Mais est-ce suffisant pour autant et, surtout, est-ce équitable vis-à-vis de l’ensemble des assurés ? De prime abord, il y a lieu de se demander pourquoi ce partage légitime des gains «providentiels» liés à la situation générée par le Covid-19 ne concerne-t-il que les particuliers ? Certes, la clientèle des personnes physiques est largement majoritaire dans les 12 milliards de primes collectées, en 2019, par les compagnies d’assurance au titre de l’Assurance automobile, mais est-ce une raison d’ignorer des centaines de milliers de personnes morales qui détiennent ou exploitent un parc de près de 150.000 véhicules dont 44.000 en Location Longue Durée (LLD) ? Cela semble tout de même un pied de nez pour ces clients qui s’acquittent annuellement de près de 1,5 milliard de dirhams en primes (dont près de 350 millions de dirhams à travers leurs loyers de LLD) et dont le parc professionnel de voitures, notamment la partie dominante de véhicules de tourisme et utilitaires légers, affiche une exploitation substantiellement inférieure à la normale dans le sillage d’une activité économique qui a freiné aux quatre fers.
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Par ailleurs, quelle rationalité justifierait l’exclusion de la branche de l’Accident de Travail qui pèse également sur les finances déjà ébranlées des entreprises, alors que 80% des salariés auront été pendant plus de deux mois, soit en arrêt de travail soit en télétravail à partir de leur domicile (donc exposés à nettement moins de risques qu’en temps normal et étant, de surcroît, dans une situation où il est très compliqué de distinguer entre accident de travail et accident domestique ou ménager) ? Faut-il rappeler que les primes supportées par les employeurs au titre de cette assurance ont frôlé, en 2019, les 2,3 milliards de dirhams ?
Est-ce que derrière cette solidarité sélective, a prévalu une doctrine économique qui privilégie l’aide de la demande en soulageant les bourses des ménages au détriment du soutien de l’offre portée par les entreprises ? Qu’à cela ne tienne, mais un tel tropisme serait sans fondement car, d’abord, ce sont les entreprises par leurs investissements, leurs productions et leurs prises de risques qui créent les emplois et les revenus sous-jacents qui alimentent l’essentiel de la demande domestique dans un système économique. Ensuite, nous sommes tentés de dire à nos vénérables assureurs qu’il s’agit surtout d’être justes envers des clients, quelle que soit leur nature, qui se retrouvent à surpayer (ou à avoir surpayé) des primes à cause d’un « dysfonctionnement» à postériori des probabilités de sinistralité due à une crise inédite.
Encore un effort Messieurs. Vous êtes sur la bonne voie, mais il faut aller au-delà pour être réellement au rendez-vous de la mobilisation et de la solidarité que requiert l’heure grave que traverse notre pays, surtout venant d’un secteur qui en fut bien épargné jusqu’à présent, voire au contraire en profite à bien des égards. Un secteur qui engrange également bon an mal an, plus de trois milliards de dirhams de bénéfices en grande partie distribués aux actionnaires sous forme de dividendes, vu la moindre pression exercée par les contraintes prudentielles édictées par le régulateur de l’assurance sur leurs fonds propres réglementaires, que ne subissent leurs «confrères» du secteur bancaire de la part de Bank Al Maghrib. En témoignent les très rares augmentations de capital (avec leur poids dilutif pour les actionnaires) que les acteurs marocains de l’assurance ont été contraints de mettre en place au cours des dernières années, contrairement à ce qui a été observé chez les banques qui, elles par contre, ont été quasiment asphyxiées par les resserrements multiples du cadre réglementaire les régissant (Bâle III, IFRS 9…). Enfin, face à cette crise du Covid-19, les compagnies d’assurance marocaines doivent s’estimer heureuses qu’aucun commerçant ayant pignon sur rue ne leur réclame (à ce jour en tout cas !) la prise en charge de ses pertes d’exploitation dues aux fermetures imposées par l’Etat d’urgence sanitaire, comme cela a eu lieu il y a quelques jours en France à l’occasion d’un jugement historique rendu par un tribunal parisien à l’encontre du groupe AXA et l’enjoignant, par des attendus sans ambages, à indemniser un patron qui a dû fermer ses quatre restaurants gastronomiques situés à la capitale française. Un jugement qui fait déjà trembler les assureurs de l’Hexagone par l’effet boule de neige qu’il risque de susciter, ce qui serait synonyme pour eux d’un gouffre abyssal d’indemnisations.