Stress hydrique au Maroc. Comment réagir face à l’urgence [Par Charaf Louhmadi]
Si l’eau salée est abondante sur la planète bleue, la situation est diamétralement opposée s’agissant de l’eau douce. Les études différant sensiblement, on peut estimer à 3% le stock d’eau douce disponible dont moins d’1% accessible à l’Homme. S’y ajoute le fait que la répartition de cette eau douce demeure des plus inéquitables : 85% de la population mondiale vit dans des zones arides, dominées par une sécheresse quasi structurelle et un manque cruel d’eau douce.
En 2016, l’Unesco affirmait déjà que plus de 700 millions de personnes souffraient de la non-disponibilité et du non-accès à l’eau potable. Ce qui, par ricochet, entraînait des décès, 5 par minute, à l’échelle mondiale, conséquence de cette situation. On assiste par ailleurs à un resserrement entre l’offre et la demande, tendant vers un déséquilibre inquiétant : l’Organisation des Nations unies affirme qu’en 2040, la demande mondiale en eau dépassera 40% de la production globale.
Une situation extrêmement critique au Maroc
Le Maroc est considéré par l’ONU en état de stress hydrique. L’organisation justifie ce constat par un volume annuel d’à peine 500 mètres cubes d’eau douce par habitant. Au cours des années 1960, ce volume était 5 fois plus élevé. La Banque mondiale évoque, quant à elle, une situation de « stress hydrique structurel ». Les hydrologues estiment qu’une cinquantaine de villes sont menacées par la soif, le monde rural et le sud du pays étant particulièrement exposés. A ce rythme, à l’horizon 2050, le Maroc perdra plus de 80% de ses ressources en eau douce, de quoi véritablement inquiéter. Le Royaume n’est pas un cas isolé dans la région. Les pays d’Afrique sub-saharienne, d’Afrique du Nord et du Golfe subissent également un stress hydrique accru.
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Selon le ministère de l’Equipement et de l’Eau, la pénurie d’eau est expliquée d’une part par les baisses graduelles, d’environ 2 à 3 mètres annuellement, des niveaux de la nappe phréatique, mais aussi par ce dur constat : les volumes globaux d’eau stockés dans les réservoirs ont été divisés par deux entre 2018 et aujourd’hui, atteignant un niveau d’à peine 4,7 milliards de mètres cubes, à l’été 2022. A titre d’illustration, le barrage d’Al-Massira, un des plus grands barrages du pays, situé à 140 kilomètres de la ville de Casablanca, est quasiment asséché. Notons également la forte volatilité du potentiel de production d’eau douce à l’échelle nationale, celle-ci dépendant évidemment de l’intensité annuelle des précipitations. Selon les spécialistes, le volume potentiel varierait entre 5 et 48 milliards de mètres cubes.
L’agriculture, socle de l’économie marocaine, très gourmande en eau
L’agriculture constitue un secteur névralgique pour le royaume et pèse pour 14% du PIB national et les exportations marocaines de fruits et de légumes se portent bien battant même des records en 2022. Le problème est incontestablement inhérent à la consommation en eau du secteur : 80% des eaux douces du pays vont au secteur agricole. Le Maroc a même triplé ses surfaces irriguées afin de cultiver et produire dans des surfaces arides et semi-arides, notamment dans le sud du pays. De plus, le Royaume a développé des techniques d’irrigation goutte à goutte, extrêmement « aquavores », visant à nourrir en eau son arboriculture principalement fruitière. Cette politique agricole, certes efficace mais gourmande en eau, est évidemment en déphasage structurel avec la situation hydrique actuelle, caractérisée par l’assèchement progressif des réserves et la chute des niveaux des nappes phréatiques. Le gouvernement doit par conséquent intervenir, par exemple, en rationalisant l’utilisation de l’eau au sein de ce secteur qui, rappelons-le, est fortement corrélée à la situation critique de pénurie d’or bleu à l’échelle du pays.
Quelle réaction de l’Exécutif face à cette violente crise de l’eau ?
Le Maroc a engagé depuis une soixantaine d’années une politique de stockage de l’eau à travers une construction massive de barrages. On en compte 120, plus exactement. Cette politique, d’abord initiée par feu Hassan II, avait pour objectif de couvrir les besoins en eau de la population et d’irriguer un milliard d’hectares à l’horizon 2000. Il fut atteint et le Royaume connut ainsi des décennies agricoles prospères lui permettant d’exporter massivement, notamment vers l’Union Européenne.
Le Maroc mène également, et ce depuis les années 1990, une politique visant à permettre au monde rural d’accéder à l’eau potable. Le taux d’accès s’est considérablement amélioré et en quelques décennies, ce dernier converge vers 100% (97% très exactement). Néanmoins, le monde rural demeure très fragilisé par la sécheresse actuelle que traverse le royaume. Malgré tous ces efforts, le taux de remplissage moyen des barrages n’est que de 28%, conséquence de la sécheresse en lien avec la conjoncture et la crise climatique. Pour faire face à l’urgence et à la gravité de l’instant, l’exécutif, conscient de l’insuffisance de l’eau stockée, opte pour une politique d’austérité et de réduction massive de la consommation en eau, en rationnant de manière significative. Ainsi, il est désormais prohibé :
-D’arroser les espaces verts
-De prélever sans autorisation dans les puits
-De laver les voitures
Par ailleurs, le gouvernement a donné son feu vert pour forer de nouveaux puits, et la construction d’une vingtaine de stations de dessalement d’eau de mer est également prévue à l’horizon 2030. Un plan national de l’eau a été mis en place par les autorités, ce dernier prévoyant l’épuration des eaux usées.
Dessalement de l’eau de mer, unique solution à long terme ?
Le recours au dessalement de l’eau de mer est de plus en plus fréquent, tout particulièrement dans les pays du Golfe, fortement exposés au stress hydrique et à la pénurie d’eau douce. Parmi les procédés et technologies de dessalement, on retrouve la méthode de l’osmose inverse, l’électrodialyse, la distillation dont les origines remontent à plusieurs millénaires ou encore la congélation de l’eau de mer. Les techniques de dessalement de l’eau de mer semblent de plus en plus inéluctables avec la crise mondiale de l’eau qui se profile. Mais revers de la médaille, les impacts écologiques de ces procédés sont souvent très nocifs et les coûts y relatifs particulièrement énergivores, notamment lorsqu’on fait appel à des énergies fossiles.
Compte tenu du resserrement et du déséquilibre de l’offre et de la demande en eau douce, ainsi que de l’abondance de l’eau salée, le dessalement de l’eau de mer semble être une solution durable et efficace à long terme, notamment dans les pays souffrant de stress hydrique sévère. Cependant d’autres solutions existent, plus écologiques et moins nocives pour la planète, à l’image de ce que propose l’innovante start-up tunisienne Kumulus, qui transforme l’air ambiant en eau potable. Kumulus reproduit le phénomène de rosée matinale, et grâce à cette technologie prometteuse, la startup arrive à produire plusieurs dizaines de litres d’eau potable par jour et par machine. Le projet a été testé en Tunisie, dans une école sise à El Bayadha, village situé à proximité de la frontière algérienne.
Stress hydrique : quelles prévisions pour les années et décennies à venir ?
La rareté progressive de l’eau entraînera fort probablement dans les prochaines décennies des exodes massifs des zones arides vers celles moins touchées par la pénurie. En outre, des guerres ne sont pas à exclure du fait du caractère vital que revêt l’or bleu. Quant à la spéculation sur l’eau, elle croît de plus en plus, principalement aux Etats-Unis et en Australie, (où) les investisseurs identifient et anticipent des opportunités de gains à moyen-long terme. Cette crise de l’eau du réchauffement climatique et de la surconsommation humaine, du fait de la dynamique démographique mondiale, bien qu’elle soit déséquilibrée et concentrée dans certains pays, accroitra de plus en plus les inégalités d’accès à l’eau. Des dépendances inter-pays, vis-à-vis de cette ressource vitale verront le jour, ce qui représentera un danger pour les futurs importateurs d’eau.
S’agissant de l’Afrique, dont les émissions carboniques sont très réduites comparées à d’autres continents, elle subit une sécheresse aiguë due en partie au réchauffement climatique dont sont responsables les pays fortement émetteurs de CO2. Un système de solidarité international, basé sur les différentiels d’émission intercontinentaux doit impérativement voir le jour, afin de compenser les dégâts causés par la surémission carbonique des pays fortement émetteurs vers les pays faiblement émetteurs.
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Enfin, les préconisations et recommandations des instances internationales compétentes, à l’image du GIEC et figurant dans leurs rapports annuels publiés, doivent être prises très au sérieux, voire appliquées à la lettre. Le risque de la financiarisation progressive de l’eau est bel et bien présent, si celle-ci venait à être normalisée un jour, c’est tout simplement une) catastrophe car une eau assujettie aux marchés connotera ipso facto avec orientations fortement haussières du fait de la tendance déséquilibrée entre l’offre et la demande à l’échelle de la planète. Cela induira une hausse brutale de la soif et des décès y relatifs au niveau mondial et en particulier dans les pays pauvres.
Charaf Louhmadi est ingénieur financier au sein de Natixis France, auteur de l’ouvrage « Fragments d’histoire des crises financières » et intervenant au sein du pôle Léonard de Vinci, ainsi qu’à IMT Atlantique. Il publie des chroniques économiques et financières pour la presse espagnole et portugaise.