Sur la route du charbon au Maroc
Le triste événement de la mort de deux frères, dans une mine clandestine de charbon à Jerrada, a remis sur le devant de la scène, en décembre dernier, un aspect que le Maroc voulait occulter : celui du passé minier de la ville et de son héritage fort encombrant.
À savoir des milliers de mineurs laissés pour compte depuis la fermeture de la mine au début des années 2000. Un taux de chômage qui pulvérise tous les records au niveau national, dans un contexte où l’emploi constitue l’une des priorités majeures des décideurs. Et des séquelles sur la santé laissées par quatre-vingt ans d’extraction de charbon chez les mineurs. Le décès de Houcine et Jedouane, âgés de 23 et 30 ans, a mis en émoi la ville de charbon qui a profité de l’enterrement de ses mineurs pour manifester en masse contre la marginalisation de leur région. Faisant grandir la vague des contestations sociales survenues dans d’autres régions du royaume.
De quoi Jerrada est-elle le nom ?
La ville, produite par l’économie charbonnière en 1927 pendant le protectorat français au Maroc, est faite de migrants de différentes régions du Maroc. Ce bassin carbonifère s’est créé une population stable, unie par un même mode de vie et dont l’appartenance véritable devient le milieu ouvrier du centre minier. Elle s’est consolidée aux générations suivantes avec les enfants qui sont nés et qui ont grandi et travaillé dans ce milieu. Ce gisement d’anthracite a été donc géré depuis 1927 par « la mine de Jerrada » devenue « Charbonnages du Maroc », qui a exploité le filon jusqu’en 2001, date de fermeture de la mine car jugée trop coûteuse par les autorités. Et donc non rentable. Car si la qualité du charbon (anthracite) qu’on y extrayait était parmi les meilleures au monde, en revanche il était très difficile à exploiter car les veines avaient entre 20 et 30 cm de hauteur. Très rares étaient celles qui atteignaient 80 cm. Ce qui revient à dire que le charbon extrait était, lui, de très mauvaise qualité, car plein de poussières. Cette décision aura laissé sur le banc quelque 9 000 mineurs dont dépendent des communautés entières. Deux décennies après la fermeture et faute de requalification dans d’autres bassins d’emploi, le besoin de survivre fait depuis redescendre quotidiennement dans les mines désaffectées plus d’un millier de personnes, sans aucune protection et au péril de leur vie. Un maigre butin qui est ensuite vendu à des négociants locaux. Bien qu’elle soit illicite, cette forme d’exploitation artisanale fait quand même l’objet de permis de recherche attribués à des entrepreneurs, qui se sont plutôt avérés des intermédiaires entre les artisans mineurs qui eux extraient le charbon et les consommateurs.
Le Charbon a encore la cote
La sortie du ministre de l’Énergie et des mines, Aziz Rebbah, suite aux manifestations de la population, vient confirmer que le charbon aura encore la cote à Jerrada, citant à cet effet la construction par l’État « d’une unité de production d’électricité à base de charbon importé à Jerrada, avec une capacité de 350 mégawatts ». Selon le ministre, cette unité « entrera bientôt en service et emploiera 500 personnes, majoritairement de la région ». Ajoutant qu’une étude est prête pour identifier le potentiel minier de la zone et encourager les investisseurs à y venir. Car malgré le positionnement du Maroc en matières de nouvelles énergies, le charbon ne fait pas encore partie des énergies du passé. Et pour cause, en matière de production d’énergie, le Maroc dépend encore, en grande partie, du charbon. Le Maroc a même placé le charbon au cœur de sa stratégie de diversification, une option qui passe inaperçue, face aux mégas projets solaires et éoliens annoncés. Comme l’a relevé dans sa publication mensuelle, l’agence Apicorp Energy Research, dans laquelle elle met la lumière sur le mix énergétique dans les pays de la région Mena. Jusqu’à 2015, le charbon a représenté 31% du mix énergétique marocain. Le gaz et le pétrole importés constituent respectivement 22 et 20% de ce mix alors que l’énergie hydraulique et l’éolien n’en représentent que 15 et 10%. Malgré sa fulgurante ascension, l’énergie solaire ferme la marche avec 2%. Une part appelée à augmenter, tenant en compte l’essor des projets photovoltaïques. Pour subvenir à ses besoins en matière de charbon, le royaume dépend, logiquement, des importations. Il renforce en outre son infrastructure avec la construction de nouvelles installations dédiées à l’importation et à la production. 9GW. C’est, selon Apicorp Energy Research, la capacité totale de production d’énergie en 2016 qui devrait passer à près de 12 GW d’ici 2021. Actuellement, le royaume possède trois centrales de charbon, avec une capacité totale d’environ 2.5 GW sans oublier les deux projets supplémentaires, à savoir Safi et comme annoncé par le ministre Rebbah, Jerrada, dotés d’une capacité combinée de 1.7 GW. Si les installations existantes nécessitent des importations de charbon de plus de 11 millions de tonnes par an, les deux usines en construction nécessiteront des quantités supplémentaires avoisinant 7,8 m t/a.
La contribution de la première unité de Safi, propriété du consortium Engie, Nareva et Mitsui, s’élèvera à hauteur de 1.4 GW dès sa mise en service en 2018. En revanche, le deuxième projet de la centrale de Jerrada, construite par le chinois SEPCO et dont la mise en service est attendue cette année, est d’une capacité de 318 MW. De quoi faire renaître la ville fantôme de ses cendres.