Tourisme : Haddad défend ses chantiers
Plan Azur : «Nous sommes, à présent, en train de sortir ces stations de terre au forceps». Tourisme interne : «Le ministère du Tourisme est prêt à débloquer 50 millions de DH pour l’émergence d’un Tour Opérateur national pour le tourisme interne». Mise en place des chèques vacances: «Le projet est fin prêt». Réforme des statuts de l’ONMT : «Aujourd’hui, l’Office doit mettre un coup d’accélérateur pour que ce projet voit le jour». Stratégie MICE : «Une cellule en interne à l’ONMT doit voir le jour pour se charger de la promotion de ce segment, en attendant la mise en place effective du Moroccan Convention Bureau qui se fera rapidement». Stratégie pour l’aérien : «Nous allons arriver à notre objectif de 1700 vols hebdomadaires hors Casablanca et Rabat, par la mise en place d’un budget conséquent de 200 millions de DH par an ». Taxe aérienne : «Pour la première année, 200 millions de DH iront pour le Fonds de solidarité et 200 millions de DH pour l’ONMT». Haute Autorité du Tourisme : «La désignation des représentants de cette nouvelle instance et le feedback sur le projet de texte devraient se faire ce mois-ci. Et l’approbation du décret de création par le Conseil du Gouvernement devrait avoir lieu en mai 2015»…Des thèmes chers au ministre du Tourisme, Lahcen Haddad qui a livré en exclusivité à Challenge ses chantiers prioritaires, ainsi que leur état d’avancement. Le ministre du Parti du Mouvement Populaire, qui est à la tête du département du Tourisme depuis janvier 2012, est optimiste. Franc et direct, il ne cachera pas sa stratégie et position sur les principaux chantiers du secteur, même sur certains pour lesquels les professionnels reprochent un retard dans leur concrétisation.
Dossier réalisé par Adama Sylla
L’actuel ministre du Tourisme reprend à bras-le-corps un plan Azur très mal préparé, à ses yeux. Aujourd’hui, Lahcen Haddad épingle explicitement ce programme ambitieux, ex-bras armé de la vision 2010 du tourisme, lancé en 2001, qui devait mobiliser 80 milliards de DH d’investissements pour la construction de six stations balnéaires afin de permettre à la destination Maroc, d’accueillir 10 millions de touristes en 2010.
Plan Azur
Il faut dire, que depuis la signature des toutes premières conventions du plan Azur, il s’est passé 11 ans. Sur le papier, les projets Saïdia, Mazagan, Lixus, Mogador, Taghazout, bouclent leur première décennie. Mais ce n’est que sur le papier! Valeur d’aujourd’hui, le Maroc ne dispose pas encore de stations de nouvelle génération proprement dites. A peine deux stations sont vraiment opérationnelles. Et encore! C’est le cas de Saïdia et Mazagan. « Aucun pays ne s’est jamais aventuré sur la réalisation de 6 grandes stations balnéaires en même temps. L’approche stratégique de base, le b.a.ba d’une démarche vraiment stratégique, favorise une construction progressive, une station tous les quatre ans ; comme ça on s’assure que l’infrastructure est là, la marque est construite, l’environnement est sécurisé, les partenaires mobilisés et l’aérien mis en place », martèle-t-il. Comment une telle erreur a-t-elle pu être commise ? Livrant le fond de sa pensée et sans vouloir faire de procès à personne, le ministre met tout cela sur le compte de l’euphorie et d’un certain romantisme des débuts, qui a fait qu’on a voulu naïvement tout faire en même temps durant la décennie 2000-2010. « En fait, on a confondu l’objectif stratégique (capacité litière balnéaire accrue) avec un autre objectif stratégique non-déclaré (toutes les côtes marocaines dotées de stations balnéaires). C’était une erreur stratégique de taille. Les gourous de la planification stratégique l’appellent « Strategiccategoricalfallacy » ; un problème de définition de l’objectif stratégique tout court. Quand l’objectif stratégique de la Stratégie Balnéaire (Plan Azur) est ambigu, mal défini, mal conçu, tout l’édifice s’écroule », dit-il.
Pourtant, si tous les premiers signataires (Fadesa, Thomas&Piron et Orco) ont planté le Maroc en cours de route, ne laissant au Royaume que des conventions d’investissement coûteuses, l’objectif principal de 10 millions de touristes a été atteint. Mais pour le ministre du Parti Mouvement Populaire, les objectifs intermédiaires (Stations mises en place, marques construites…) ne tiennent plus. « C’est pourquoi on est arrivé à l’objectif de la Vision 2010 (10 millions de touristes) par le détour de Marrakech et pas par le biais du balnéaire comme on l’avait clamé haut et fort depuis 2002 jusqu’à 2008 », tient-il à justifier. A la tête du Département du tourisme depuis janvier 2012, qu’est-ce que Haddad a depuis lors, entrepris sur ce chantier phare. « Nous sommes, à présent, en train de sortir ces stations de terre au forceps », lance le ministre. Il faut dire, que ce dernier n’y va pas par quatre chemins pour exhiber ce que son département entreprend en termes de réajustement au sein des cinq stations du Plan Azur. Station par station, le ministre a livré en exclusivité à Challenge, aussi bien l’état d’avancement des travaux que le calendrier d’exécution des prochaines étapes. Mieux encore, la nouveauté réside dans les orientations et le timing. Prochaines ouvertures programmées, Lixus et Mogador (voir encadré).
Aujourd’hui, si le Royaume n’enregistre que 40 000 lits environ, il faudrait entre 100.000 et 120.000 lits pour développer le tour operating, selon le département du Tourisme. C’est dire que les nouvelles capacités litières qui viendront des stations ne pourront faire que du bien à la destination Maroc dont l’offre balnéaire demeure encore insuffisante. La liste des chantiers est encore longue.
Tourisme interne
Haddad planche également sur le développement du tourisme interne. En effet, les touristes nationaux, longtemps négligés même s’ils frisent les 30% des nuitées dans les hôtels, ne seront plus en reste de la stratégie touristique. « Le Tourisme interne représente 28 % du Tourisme national et c’est une niche en plein essor. Les grandes infrastructures autoroutes, corniches… ont contribué au développement du Tourisme interne. La classe moyenne voyage de plus en plus et les prix sont de plus en plus abordables. Mais nous pouvons faire encore mieux », estime le ministre. Rappelons que la Vision 2020 du tourisme prévoit de tripler le nombre de voyageurs au terme des huit prochaines années. Lahcen Haddad est sur tous les fronts. Le ministre planche également avec ses équipes sur l’émergence d’un Tour Opérateur national pour le tourisme interne, à même de composer et de distribuer des packages alléchants pour les touristes nationaux. Selon lui, son département est prêt à débloquer 50 millions de DH qui pourront être injectés dans ce projet. Le principe de base, est qu’il faut démocratiser le droit au tourisme et ce droit passe par plusieurs choses importantes. En détails, il s’agit d’abord d’avoir un produit convenable dans les stations biladis à des prix abordables. A noter que deux sont terminés, une est en cours, celle de Mehdia. Autre action phare en faveur de cette niche, mise en place des chèques vacances (voir encadré) : le projet est fin prêt. « Nous attendons le retour de la CGEM avant de soumettre le projet au ministère des Finances et au Chef du Gouvernement », annonce Haddad. Pour le volet animation, ce dernier mise sur les parcs de jeux, les musées, les marinas, les golfs et les villes anciennes. « Mon ambition est d’arriver à ce que le tourisme interne représente 40 % du tourisme national », précise-t-il.
Promotion
Encore, faudrait-il que des moyens conséquents soient alloués à l’ONMT pour mener sa mission de bras armé de la promotion de la destination Maroc. Considéré comme un pilier du secteur, Haddad est attendu au tournant. Une des grosses attentes justement : la réforme des statuts de l’ONMT. Depuis 2010, l’ambition est là, mais rien ne change. C’est un sujet de fond que les urgences des autres composantes du secteur et la conjoncture ne doivent pas occulter. Pourtant, c’est un projet que l’on reporte d’année en année. Or, cette réforme menée à bout permettra toute la créativité et toutes les innovations nécessaires au développement du secteur. «Il s’agit d’un engagement pris en 2010, afin d’assurer un accompagnement cohérent de la Vision Stratégique du secteur à horizon 2020. Aujourd’hui, l’ONMT doit mettre un coup d’accélérateur pour que ce projet voit le jour », souligne le ministre Haddad. Mais sur ce chantier de la promotion, dont l’argent reste toujours le nerf de la guerre, ce n’est pas le seul thème cher au ministre haraki. Il y a aussi la stratégie digitale pour laquelle ce dernier veut faire la part belle. En effet, il est convaincu de l’efficacité de passer par ce canal stratégique. « Toutes les études menées par l’Office ou l’Administration centrale ont démontré la nécessité et l’urgence de faire aboutir ce segment, à dominance majeure dans les politiques promotionnelles de la destination», explique-t-il. En matière de promotion touristique, la tendance a beaucoup évolué au cours de ces dernières années. L’usage du web pour connaître les disponibilités, puis réserver, est en nette progression sur tous les marchés émetteurs. Les trois quarts des packages individuels dans le monde actuellement, se font sur Internet. C’est pourquoi la destination Maroc qui veut profiter de ce nouveau comportement des touristes cherche à accorder une place de choix au digital. « De nombreux plans d’actions et engagements ont été présentés au Conseil d’Administration sur ce volet », annonce le ministre. En attendant, l’Office a commencé à se lancer dans la bataille du web en consacrant depuis 2012 près de 50% de son budget de communication et de promotion aux programmes sur le Web, contre 5% seulement en 2009. Le ministère, à travers l’office a déjà mis en place une structure e-tourisme entièrement dédiée à la veille «Je suis pour une digitalisation tous azimuts», précise Haddad.
Sur les tablettes également de Haddad, le tourisme d’affaires et de congrès, communément appelé Mice, aura sa stratégie qui est en cours de lancement.
A noter qu’actuellement, il est difficile de chiffrer exactement la part du tourisme d’affaires dans les flux globaux. On les estime à 20% des réalisations totales. Un peu plus en période de forte croissance. Le Mice est une des priorités du ministre. Cette stratégie a pour mission de consacrer la notoriété du Maroc en tant que destination d’affaires, de créer une marque forte à l’international et de mettre en place, à terme, un relais central pour toutes les opérations Mice à travers le Moroccan Convention Bureau (MCB), dont le protocole d’accord a été conclu en 2009, mais sur le papier seulement. Les professionnels reprochent un retard dans la concrétisation. « Le Moroccan Convention Bureau doit voir le jour rapidement. Une cellule en interne à l’ONMT doit voir le jour pour se charger de la promotion de ce segment, en attendant la mise en place effective du MCB», assure Haddad. Il faut dire que le Maroc bénéficie d’un atout de taille, la proximité. C’est l’élément le plus décisif dans le choix d’une destination pour abriter un salon ou une convention. Maintenant, il y a les équipements à avoir. A titre d’exemple, Marrakech, la plus grande ville de Mice au Maroc, offre à peine 6000 sièges, alors qu’une ville comme Istanbul en offre 150.000.
Sur ce volet promotion, le MCB n’est pas le seul chantier sur le papier que le ministre a décidé de concrétiser sur le terrain. Il y a en effet, le chantier majeur de la Vision 2020 qui devait être mené depuis plus de 4 ans, afin de donner aux opérateurs, prescripteurs et pouvoirs publics de la visibilité sur le positionnement marketing de chaque territoire, tel que défini dans la Vision stratégique du tourisme, et permettre la mise en œuvre des stratégies de promotion et de communication de chaque territoire d’une manière cohérente, efficace et pérenne. Pour le ministre, « la mise en place de ces marques territoriales est primordiale ».
Autre priorité de patron du tourisme national, la promotion de l’aérien (voir interview). « Une stratégie à moyen et long terme de soutien de l’aérien doit être déployée. Ce volet essentiel au développement de l’activité touristique des différentes régions ne saurait se contenter d’ouvertures de lignes « saisonnières», mais devrait davantage être pensé comme une stratégie complète avec une visibilité précise sur le rôle de chaque intervenant, afin d’assurer la pérennité des dessertes aériennes et en garantir le développement », dit-il.
Les stations Azur et le tourisme interne auront aussi une part importante en termes de promotion. « L’accompagnement de l’ONMT dans le travail de repositionnement des stations balnéaires du plan Azur doit être efficient, pour accompagner les stations émergentes afin de les positionner auprès des prescripteurs, tout canal confondu. L’Etat, à travers les différents partenaires financiers, investit dans la reprise de ces stations et l’ONMT doit être présent dans ce processus, qui exige l’implication et les efforts de tous », estime Haddad. Pour le tourisme interne, il affirme que la stratégie de développement du marché intérieur doit être réfléchie et sortir du seul cadre des quelques campagnes publicitaires déployées dans le cadre de Kounouz Biladi. « Une véritable stratégie volontariste de développement de ce segment s’impose, car le tourisme interne représente le 2ème marché pour les hôtels classés sur le plan des nuitées», dit-il.
A l’instar du marché local, Haddad veut conquérir de nouveaux marchés émetteurs. Son plan cible quatre pays émetteurs, en plus de la Scandinavie et de l’Europe de l’Est. « Les derniers Conseils d’Administration ont conclu à la nécessité de redoubler d’efforts sur les marchés à fort potentiel de croissance, tels que l’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie, l’Espagne, la Scandinavie et l’Europe de l’Est. Une stratégie créative de consolidation et de développement des parts de marchés doit être déployée, afin que nous puissions profiter suffisamment du potentiel qu’offrent ces bassins», affirme-t-il.
Toujours sur le volet promotion, le ministère entrevoit un salon du tourisme. « Il est indispensable que nous ayons au Maroc un Salon d’envergure consacré au Tourisme. L’ONMT devra s’atteler à concevoir un tel évènement qui sera un vecteur de dynamisme pour le secteur », souligne-t-il.
Gouvernance
Autre grand chantier cher au ministre Haddad, la Haute Autorité du Tourisme (HAT). Il ne semble pas perdre de vue que le retard de chantier de la gouvernance irrite aussi les professionnels. C’est un des axes fondamentaux de la Vision 2020 qui est à la traîne, estiment ces derniers.
La Haute autorité du tourisme, qui n’est pas encore opérationnelle, est une instance nationale de pilotage regroupant l’Etat, le secteur privé et les régions. L’objectif visé est de faire de cette institution, un instrument de suivi, d’ajustement et d’arbitrage de la Vision 2020. « La désignation des représentants de cette nouvelle instance et le feedback sur le projet de texte devraient se faire ce mois-ci», rassure le ministre. Et l’approbation du décret de création par le Conseil du Gouvernement devrait avoir lieu en mai 2015. C’est ainsi, que la première réunion de la HAT devrait se tenir dès juin 2015 », rassure le ministre.