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Une hémorragie qui coûte 150 millions de dollars au Maroc

Surestaries conteneurs. Le Royaume paie chaque année des millions de dollars en devises de surestaries conteneurs au niveau de ses ports aux armateurs étrangers. Le ministère de l’Equipement et des Transports a décidé d’y voir plus clair afin de mieux cerner la problématique en termes d’enjeu financier et de facteurs déclencheurs et d’en réduire l’impact. Et  l’Agence nationale des ports (ANP) mène l’enquête. par Adama sylla

Dans le jargon des professionnels du secteur maritime, on l’appelle « surestaries conteneurs ». Mais ces frais d’immobilisation du conteneur qui ne sont en réalité que des pénalités que font payer les armateurs à leurs clients, sur tout retard de restitution d’un conteneur après achèvement de l’opération de transport maritime, font polémique dans le secteur à tel point, que le ministère de l’Equipement, du transport et de la logistique a été obligé de prendre le dossier en main. En effet, si aujourd’hui,  l’Office des changes ne fournit pas de statistiques officielles sur les surestaries conteneurs, nombreux sont les professionnels qui l’estiment à des centaines de millions de dollars. « La flotte de commerce du Maroc a presque disparu. Actuellement, les 80 millions de tonnes du trafic domestique nécessitent le transfert, vers l’extérieur, de deux milliards de dollars puisés dans les réserves en devises du pays. Dans ce gouffre financier, il y a le coût du transport purement maritime (1,4 milliard $) additionné du coût des surestaries navires (450 millions $) et du coût des surestaries conteneurs (150 millions $) », explique Najib Cherfaoui, Ingénieur des Ponts et Chaussées de Paris, expert portuaire et maritime.  
Aujourd’hui, alerté depuis plusieurs années, le département d’Aziz Rabbah a finalement décidé d’y voir plus clair afin de mieux cerner la problématique des surestaries en termes d’enjeu financier et de facteurs déclencheurs. Ainsi, dans ce cadre, l’Agence nationale des ports (ANP) a entamé ses concertations avec les différents opérateurs du commerce international dans le cadre d’une étude sur les surestaries. L’enquête fait suite à une instruction de sa tutelle et a pour objectif d’évaluer l’hémorragie des surestaries et d’en réduire l’impact. Comment les surestaries conteneurs, payées en devises, qui étaient insignifiantes au départ, ont vu leurs montants augmenter ces dernières années, jusqu’à peser de leur poids dans la balance des paiements du transport maritime ?
Il faut dire que les surestaries conteneurs représentent un déficit de travail à terre.  « C’est en voulant régler le problème du congestion du port de Casablanca causé par le nombre élevé de conteneurs non enlevés à temps par leurs réceptionnaires, que les autorités portuaires ont sans doute donné des idées aux armateurs et à leurs agents. En effet, pour dissuader les importateurs d’utiliser les terminaux portuaires comme outil de stockage de leurs conteneurs, elles ont augmenté les tarifs de stockage et de magasinage des conteneurs. Le résultat est que les armateurs et leurs agents n’ont pas hésité à s’inscrire dans cette même logique pour  lutter, disent-ils, contre l’utilisation du conteneur comme dépôt de stockage à l’extérieur du port », souligne un professionnel. Seulement, ce qui était au départ une forme de compensation pour les armateurs qui se trouvent parfois dans l’obligation de recourir à la location de conteneurs vides, s’est transformée en situation de rente. Les armateurs ont augmenté les tarifs des surestaries au fil des années. «En 2011 par exemple, un conteneur de 40 pieds, plein de 12 tonnes de marchandises est débarqué au port de Casablanca. Le temps de franchise convenu est fixé à 7 jours (J). Le conteneur a séjourné au port 31 jours ; donc, il y a 24 jours de surestaries ; le montant des surestaries dû à l’armateur s’élève pour la première décade (hors franchise) à 40 $/J ; à 60 $/J pour la décade suivante ; et à 80 $/J au delà. Au final, il a fallu virer à l’armateur 1 320 dollars au titre des surestaries conteneurs »,  cite Najib Cherfaoui comme exemple concret pour donner une idée quant au  poids de ces surestaries conteneurs qu’il évalue à 150 millions de dollars en devises.
Face à cette surenchère sur les surestaries conteneurs, les importateurs et exportateurs ont demandé en septembre dernier au gouvernement, d’intervenir pour trouver une solution globale aux coûts de transport maritime des marchandises. Cela, suite à la hausse opérée par l’armateur danois Maersk Line. Ce dernier qui détiendrait 23 % des parts de marché du trafic conteneur au Maroc, a revu à la hausse depuis le 1er septembre ses tarifs surestaries conteneurs  au niveau des ports de Casablanca et d’Agadir. Depuis, tout conteneur appartenant à Maersk et dont le délai de séjour autorisé dépasse 6 jours entraînera une surestarie allant de 130 DH à 1 050 DH en fonction du retard, du type de boîte et du port (soit entre 10 et près de 20 % de hausse). Quelle marge de manœuvre pour l’Etat ? «Nous sommes face à un vide juridique », lance Najib Cherfaoui. En effet, l’ANP, l’autorité de régulation, n’a pas la compétence pour régir des activités exercées en dehors du port, encore moins la Direction de la Marine Marchande. Seul le Conseil de la concurrence, pourrait intervenir. Encore faudrait-il que son nouveau pouvoir d’auto-saisine ou de sanctions entre en vigueur. En attendant, l’Office des changes a tenté d’atténuer l’hémorragie en tentant de circonscrire les transferts au titre des surestaries conteneurs et navires. Ainsi, depuis septembre 2012, le transfert des montants des surestaries conteneurs encourus au Maroc, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des enceintes portuaires et des MEAD, ainsi que ceux des surestaries de navires, est soumis à l’accord préalable de l’Office des changes. Ainsi, les demandes de transfert présentées à ce titre à l’Office des changes doivent être appuyées de certains documents. Alors, quelle solution globale à la problématique ? Du côté du ministère de l’Equipement et des Transports, il a été convenu d’arrêter un plan d’action d’urgence pour l’amélioration de la situation du niveau des surestaries à l’issue de l’enquête confiée à l’ANP. « Ce plan d’action devra donner lieu à l’élaboration d’une feuille de route identifiant des modalités opérationnelles à entreprendre par chaque partie pour améliorer les délais et réduire les retards enregistrés dans les échanges des conteneurs et l’accueil des navires. L’Agence Nationale des Ports organisera des réunions au niveau local pour identifier les problématiques et une réunion nationale de restitution aura lieu à la suite, en présence de tous les acteurs afin d’établir une feuille de route visant à limiter au mieux les surestaries », indique le département d’Aziz Rabbah.
Pour les armateurs et leurs agents, c’est la mauvaise gestion et le retard dans les ports marocains  qui sont à l’origine de ces surcoûts considérables qui pèsent lourds sur la balance des paiements. «Les responsables en charge du dossier doivent comprendre qu’à la base, il y a un déficit de travail de l’Administration et que les surestaries ne correspondent à aucun transfert de biens ou de services. Elles constituent donc un obstacle majeur à la croissance de notre économie », martèle Najib Cherfaoui.

 
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