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Une initiative de dernière minute : quelles motivations ?

C

’est une initiative gouvernementale qui n’a pas été insérée dans les documents de présentation du projet de Loi de Finances. Le contexte de sa proposition et de son adoption reste insaisissable dans sa globalité. Amnistier les détenteurs de biens et d’avoirs illégaux détenus à l’étranger est un acte qu’on peut qualifier de courageux tout en doutant de son efficacité. Acquérir illégalement un bien à l’étranger n’est pas un acte qu’on peut isoler pour le traiter comme une fraude fiscale, douanière ou de change. L’amnistie, telle qu’elle a été présentée et détaillée dans la circulaire de l’Office des changes du lundi 3 février 2014 isole la détention frauduleuse des biens et des avoirs à l’étranger du fait générateur de la fraude à la réglementation de change. A la base de la fraude, il y a une manipulation de fonds dont les origines sont à déterminer. Une partie pourrait provenir de l’exercice normal d’une activité commerciale ou industrielle. Des marocains aisés ont fait le choix de se mettre à l’abri des péripéties d’un avenir qu’ils considèrent comme incertain et ont pu trouver les astuces frauduleuses pour concrétiser leurs projets. Ceux-ci sont les vrais clients de l’amnistie qui est proposée par la Loi de Finances. Les autres sont ceux qui sont arrivés à être détenteurs de biens et d’avoirs sans avoir exercé une activité autre, qu’administrative ou de représentation communale ou nationale. Ceux-ci ne doivent pas emprunter cette voie pour laver ou blanchir des fonds acquis dans l’illégalité. L’amnistie pour des «responsables ayant exercé dans le secteur public» est une opération politiquement coûteuse pour la crédibilité du gouvernement. 

La lutte contre le blanchiment ne concerne pas seulement des fonds provenant du trafic illicite de drogues ou de la contrebande, elle concerne principalement ceux qui cumulent dans le noir des procédures de patrimoines placés en grande partie à l’étranger. Leur permettre de laver un passé douteux par une simple opération de déclaration et de paiement d’une pénalité qui s’apparente à une commission est un message fort de capitulation devant les fraudeurs.

La circulaire de l’Office des changes est très neutre dans son langage. Des définitions et des précisions sont données pour éclairer le chemin vers l’ablution et le solde de tout compte. Les montants des pénalités et les détails sur l’ouverture des comptes en dirhams convertibles ou en devises sont donnés aux intermédiaires agréés.

Les principales dispositions pour bénéficier de l’amnistie

L’article premier rappelle aux personnes intéressées le devoir de déclarer ce qu’elles ont acquis à l’étranger en commettant une infraction à la réglementation de change et à la législation fiscale. Il s’agit des personnes physiques de nationalité marocaine ayant la qualité de résident au sens de la réglementation des changes et des personnes morales de droit marocain qui détiennent avant le 1er janvier 2014 des biens, avoirs et liquidités à l’étranger. Un imprimé doit être servi par les intéressés pour décrire la nature des biens et liquidités susvisés et ce, conformément à l’article 4 de la Loi de Finances.

Les banques qui reçoivent les déclarations doivent recueillir l’ensemble des informations et notamment, celles devant requérir l’obligation de vigilance. La nature des biens et liquidités doivent figurer sur la déclaration. Le rôle qui incombe aux banques dans cette opération est grand et demande un travail dont la nature n’est pas habituelle au quotidien des banquiers.

L’article 3 de la circulaire est très ambitieux et semble s’adresser à des anges convertis à la croyance déclarative et aux bienfaits de la citoyenneté agissante. A l’appui de leur déclaration, des documents très importants sont demandés. Le certificat de propriété et l’acte d’acquisition ou l’attestation délivrée par le notaire ou tout autre officier public sont requis pour les biens immeubles. Tout document ou attestation peut être présenté pour les actifs financiers. Les comptes bancaires doivent être appuyés par des relevés datés du 31 décembre 2013. Une déclaration sur l’honneur qu’il procédera à la déclaration de tous ses avoirs et liquidités détenus à l’étranger au titre de la contribution libératoire au plus tard le 31 décembre 2014. 

Nous sommes devant de très bonnes intentions qui donnent le temps à un fraudeur de faire une première déclaration et qui s’engage à en faire une autre dans une année pour détailler l’ensemble des avoirs acquis à l’étranger. La question de la faisabilité se pose avec sérieux. Comment peut-on imaginer qu’une telle opération puisse trouver la voie vers la réalisation, alors que nous trouvons les plus grandes difficultés à combattre l’informel et le noir dans les transactions qui se passent sous nos yeux chaque jour ? 

La circulaire offre des cadeaux de compensation aux bons déclarants. Ils ont la possibilité de garder dans un compte en devises ou en dirhams convertibles un maximum de 75% des avoirs liquides qu’ils ont virés de l’étranger. Les 25 % restants seront cédés à titre définitif sur le marché de change. (Article 7 et 8)

Le produit de cession ou de liquidation des biens immeubles ou d’actifs financiers seront portés au crédit des comptes ouverts auprès des banques marocaines avec la possibilité de garder en devises 75% dans les comptes réservés à cet effet. Le même traitement est réservé aux produits des avoirs détenus à l’étranger. 

La contribution libératoire au service de la cohésion sociale ?

La Loi de Finances 2014 a fixé la contribution libératoire à 10 % de la valeur des acquisitions de biens immeubles détenus à l’étranger et de celle d’acquisitions ou de souscription des actifs financiers. Les dépréciations des prix de ces avoirs immeubles ou financiers ne sont pas prises en compte. Les appréciations survenues après l’acquisition ou les souscriptions sont ,par contre, prises en charge au niveau des autres taux. Ces taux sont de 5% et de 2%. Ils concernent les avoirs en devises rapatriés et déposés dans des comptes en dirhams convertibles ou en devises et ceux déposés dans des comptes en dirhams après cession sur le marché de change de 25 % au moins des avoirs susvisés. Le caractère libératoire est généreux et permet d’éviter le paiement des pénalités sur les manquements à la réglementation des changes et sur celle relative à la fiscalité. Comme toute «action relevant des bonnes intentions» le produit de cette contribution libératoire sera porté au crédit du fonds d’appui à la cohésion sociale.

Nous sommes devant un texte qui porte sur une amnistie à l’égard des personnes ayant commis des infractions dans le domaine du change et de la fiscalité. Les anciens MRE ou ceux qui résident simultanément au Maroc et à l’étranger peuvent se sentir visés par ces dispositions, même si leurs biens immeubles ou avoirs financiers ont été acquis dans des conditions normales et sans infraction à la réglementation nationale. La notion de « résident »  n’est pas connue de tout le monde. Un effort est à faire pour éviter les situations de confusion. La question principale demeure celle relative aux moyens dont le gouvernement peut disposer pour exercer une pression quelconque sur les détenteurs des biens immeubles, des avoirs financiers ou des comptes à l’étranger. Pourrions-nous pouvoir espérer que nos partenaires étrangers nous donnent les informations et les renseignements qui peuvent confondre nos fraudeurs ? C’est improbable. 

Dissimuler les richesses est toujours possible en dehors de nos frontières. Les systèmes d’échange d’informations dépendent d’un équilibre des forces entre les Etats. Les grandes puissances ont toujours les moyens de faire pression sur les pays du tiers monde pour accéder aux informations sur l’étendue des richesses de leurs citoyens. La réciprocité n’est pas possible dans ce domaine.

Enfin, qu’allons-nous faire pour ceux qui ont constitué des patrimoines en faisant pire que la fraude fiscale ou celle liée à la réglementation de change ? Les trafiquants de drogue, les contrebandiers et les rentiers de la corruption et des détournements de l’argent public ne doivent pas emprunter cette voie libératoire pour se laver politiquement. Les amnisties ne doivent pas casser les frontières entre le bien et le mal dans la cité. 

 
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