Une meilleure prévention et sensibilisation garantirait la santé rénale pour tous
Comme chaque année, ce 10 mars a été consacré à la Journée mondiale du rein. Cette campagne a été l’occasion pour le Professeur Amal Bourquia, Présidente de l’association REINS, de revenir sur la nécessité de mieux sensibiliser le grand public et d’étendre la mobilisation à tous les niveaux des soins de santé, et même au niveau national.
Le manque de sensibilisation et d’informations sur la pathologie est cœur des préoccupations. Cette méconnaissance chez le patient, la société en générale, les professionnels de santé, les organismes de couverture, les responsables de santé, entraine de sérieuses répercussions dans le quotidien des personnes atteintes. La journée mondiale du rein est une opportunité pour rappeler l’importance de s’informer sur la maladie et ses fâcheuses conséquences.
Les chiffres ne rassurent pas
Il est admis qu’environ 10% de la population mondiale a une atteinte rénale chronique et la majorité l’ignore. Proportionnellement, le Pr Amal Bourquia évalue à 3 millions le nombre de Marocains qui seraient donc concernés sans en être forcément conscients. Avec le temps, ces personnes pourraient développer une insuffisance rénale chronique qui nécessiterait la dialyse et la transplantation.
Au Maroc, on estime à 32000 le nombre de personnes traitées par dialyse chronique dans un peu plus de 300 centres répartis à travers le Royaume. Cela représente environ 1000 patients dialysés par million de Marocains. Chaque année 3500 personnes arriveraient au stade terminal et nécessiteraient la prise en charge en dialyse. Pour ce qui est de la greffe, seules 600 personnes au total ont pu en bénéficier jusqu’à présent, dont 60 à partir de donneurs en état de mort cérébrale.
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En 2020, l’insuffisance rénale chronique est devenue la 5ème cause de mortalité dans le monde. De plus, l’atteinte rénale est un facteur multiplicateur. En effet, il aggrave les autres pathologies (cardiaque, pulmonaire, générale, etc.) et peut ainsi indirectement entrainer la mort. La santé des reins est aussi en danger du fait de certaines maladies telles que le diabète et l’hypertension, l’utilisation anarchique de certains médicaments, du cancer, etc. Avec l’ensemble de ces éléments, les personnes atteintes de la maladie rénale vont continuer à augmenter, et par incidence les besoins en dialyse.
Pour cette raison, Pr Amal Bourquia insiste sur l’importance de la prévention pour stopper l’apparition de l’insuffisance rénale chronique, et sur les moyens de ralentir ou empêcher l’évolution de la maladie déjà installée. « Pour ne pas crouler sous le poids très lourd de la prise en charge de la maladie chronique, il est important de travailler sur la prévention », souligne le Professeur.
- -Dans le monde, environ 2 millions de personnes sont traitées par dialyse ou transplantation.
- -90% de ces personnes se trouvent dans des pays riches occidentaux.
- -La majorité des patients en stade terminal de l’insuffisance rénale meurent du fait de la non-disponibilité de ce type de traitement.
REINS appelle à une prise de conscience et une mobilisation nationale
« Ne plus se contenter des états de fait » ; tel est le vœu ardent du Pr Amal Bourquia. Elle prédit même, si on continue sur cette lancée, une catastrophe en 2040 avec un nombre incalculable de malades qui nécessiteraient la dialyse. Ainsi, l’association REINS donne une place importante à la prévention dans toutes ses activités et au développement de dons pour la transplantation d’organes.
Cette journée mondiale du rein a permis de s’adresser à la population en générale. En effet, l’insuffisance de l’information disponible et la complexité à comprendre la maladie rénale limite les possibilités de prévention. Il y a notamment une difficulté à identifier les symptômes et un manque d’attention dans le suivi qui induisent des réactions tardives, au moment où la maladie est arrivée à un stade critique nécessitant une dialyse. Pourtant, le Professeur Bourquia veut rassurer en affirmant que la population peut déjà prendre certaines précautions en amont. Elle peut initier des actions simples pour protéger les reins et la santé de l’organisme de façon générale ; par exemple boire beaucoup d’eau, et éviter les toxicités (les médicaments utilisés de manière anarchique, les herbes médicinales traditionnelles, la cigarette, la drogue, les conserves, etc.).
La diffusion de l’information doit aussi concerner les maladies rénales dans leur ensemble, à savoir les maladies glomérulaires, les atteintes pyélonéphritiques, les conséquences d’autres maladies générales (diabète, hypertension artérielle, lupus, cancer), etc.
A toutes ces fins, et à l’occasion de cette journée mondiale, l’association REINS a mené à partir du 4 mars, une campagne d’information et de formation, pour offrir à la population des éléments de compréhension. L’objectif est d’aider à la participation de chacun et de créer des relais pouvant stopper la progression de la maladie rénale qui dégrade tous les jours la vie de nombreuses personnes (enfants, jeunes, personnes âgées, personnes actives ou non).
Pour une alliance des professionnels de santé et responsables gouvernementaux
La question qui se pose également, au vu de la situation et de l’attente des populations pour une orientation salutaire, est celle de la source de l’information. Le personnel de santé est en première ligne pour éduquer et accompagner les patients à toutes les étapes de leur maladie. C’est un manque que souligne Pr Amal Bourquia car, précise-t-elle, un dépistage précoce permettrait de traiter, retarder l’évolution de la maladie et éviter la dialyse ou la transplantation. A ce niveau, les médecins ont aussi un rôle capital à jouer. Il faut renforcer leur formation, leur sensibilisation pour un effort continu afin de prévenir et stopper la maladie, et ce quels que soient leur spécialité et cadre de travail.
Le Professeur Bourquia milite d’ailleurs, pour que chaque occasion donnée au corps médical puisse être saisie pour un examen du rein (lors d’un bilan de santé, exploration radiologique, intervention, etc.). Les médecins doivent aussi être en mesure d’informer les patients correctement, afin qu’ils puissent suivre et comprendre leur traitement, éviter l’automédication, et s’impliquer dans leur propre prise en charge. Ainsi, la concertation des spécialistes et médecins traitants est fondamental. De la même manière, le personnel infirmier est aussi invité à participer aux efforts de prévention et d’information, notamment en encourageant le dépistage. Le devoir de collaboration entre médecins et personnel de santé est aujourd’hui fortement plébiscité dans cette lutte contre la maladie.
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Ce combat contre une forme « d’illettrisme » dans la santé rénale, comme le nomme Pr Amal Bourquia, aiderait à soulager les patients, protéger la société au sens large en gardant les personnes en bonne santé et en activité, et alléger le coût financier du traitement de cette pathologie en impliquant les organismes de couverture sanitaire.
« La lutte contre la maladie rénale chronique nous concerne tous : citoyens, médecins, professionnels de santé, société civile, structures gouvernementales, responsables politiques, responsables de soins de santé… Tous nous devons accorder nos violons pour en faire une véritable symphonie pour lutter contre ce fléau, aider les patients, et soulager le poids financier de la maladie ». Pr Amal Bourquia, Médecin, professeur de médecine, spécialiste en néphrologie
Force est de constater le peu d’intérêt accordé par les pouvoirs politiques et responsables gouvernementaux à la lutte contre la maladie rénale. En effet, la question n’est quasiment jamais intégrée dans les programmes de prévention et lutte contre les maladies non transmissibles. En dépit du fait que le traitement par la dialyse et la greffe en fait la maladie la plus coûteuse à travers le monde, aucun investissement n’est fait et aucun programme ne prévoit de dépistage de la maladie. Une démarche inverse permettrait d’avoir une évolution favorable et de réduire considérablement les budgets de prise en charge médicale. La construction systématique de centres de dialyse ne résout pas le problème si en amont la prévention n’est pas intégrée dans les efforts.
A la place, des moyens devraient être mis en place pour mettre à disposition des médicaments, introduire les nouvelles technologies, faciliter la surveillance à distance et l’accès aux soins dans les endroits enclavés, former le personnel de toutes les structures, etc. Et pour tout cela, il faut une volonté politique manifeste. « J’espère que les responsables politiques vont entendre cet appel et collaborer avec les spécialistes, les experts et les professionnels pour trouver la meilleure solution adaptée à nos moyens, à nos conditions et à nos populations », conclut Pr Amal Bourquia.
Plaidoyer en faveur du don d’organes
« Don et transplantation d’organes. Quel espoir ? », le nouvel ouvrage du Professeur Amal Bourquia s’ajoute aux précédents pour appeler à l’essor et au développement du don d’organes au Maroc. L’appel est lancé à l’ensemble des Marocains pour plus de générosité dans ce domaine afin de préserver et sauver plus de vies. Le Professeur Bourquia espère à travers ce livre contribuer aux solutions, propositions, et recommandations du don et de la transplantation d’organe. Elle invite aussi à ne pas oublier la souffrance des patients en dialyse, les complications qui en découlent et les conséquences sur leur vie familiale. Consolider la culture du don et faire un appel à tous les responsables pour développer ce moyen thérapeutique, telles sont les espérances que nourrit Pr Amal Bourquia dont l’ambition ultime est d’offrir une meilleure vie à l’ensemble des Marocains.