Une pièce maîtresse de la nouvelle architecture de l’Etat de droit
La Cour Constitutionnelle. La mise en œuvre des dispositions de la constitution de 2011 concernant la justice constitutionnelle est en marche ; la Loi organique relative à la Cour Constitutionnelle est déjà en vigueur, en attendant celle qui définira les conditions d’exercice du recours d’exception d’inconstitutionnalité. par C.A.H
Les apports de la constitution de 2011 sont multiples ; ils touchent de nombreux domaines de la vie politique du pays. Mais, il faut reconnaître que certains aspects sont passés plus ou moins sous silence ; c’est le cas de la justice constitutionnelle qui connaît avec la nouvelle constitution, une réelle avancée grâce notamment à l’élargissement de ses compétences. Pour l’implémentation des nouvelles dispositions constitutionnelles, une Loi organique vient d’entrer en vigueur ; le Conseil constitutionnel vit ses derniers jours en attendant l’installation de la Cour Constitutionnelle.
La justice constitutionnelle marocaine est relativement jeune ; elle a fait ses premiers pas avec la constitution de 1962, même si certains font remonter ses origines au projet de constitution de 1908.L’approche adoptée par la constitution de 1962 était très timide, mais elle a eu le mérite de jeter les bases qui vont servir par la suite à la consolidation graduelle du système de la justice constitutionnelle. Le contrôle de la conformité constitutionnelle était ainsi confié à une Chambre créée au sein de la Cour Suprême ; ses attributions étaient limitées, outre le contrôle de la régularité de l’élection des membres du Parlement et des opérations de référendum, au contrôle de la constitutionnalité des Lois organiques et des règlements intérieurs du Parlement.
La construction du système marocain de la justice constitutionnelle s’est faite d’une manière progressive et selon un rythme voulu qui tient compte du degré de maturité du système politique.
Après une période de trois décennies, la justice constitutionnelle va atteindre son âge de maturité en 1992 à l’occasion d’une révision constitutionnelle. Sur le plan organisationnel, elle prend son indépendance vis-à-vis de la Cour Suprême ; le Conseil Constitutionnel voit le jour en remplacement de la Chambre Constitutionnelle. Ses attributions sont aussi renforcées ; le contrôle de la constitutionnalité n’est plus limité aux Lois organiques et aux règlements intérieurs du Parlement, il est élargi aux lois ordinaires.
Comme on le voit, la construction du système marocain de la justice constitutionnelle s’est faite d’une manière progressive et selon un rythme voulu qui tient compte du degré de maturité du système politique. Avec la constitution de 2011, la justice constitutionnelle va connaître un tournant historique ; le Conseil Constitutionnel est érigé en Cour Constitutionnelle ; sa mission elle-même évolue ; elle n’a plus un simple rôle de garant de la suprématie de la constitution, elle se voit aussi confier un rôle important en matière de protection des libertés et droits fondamentaux des citoyens. Avec cette nouvelle prérogative, la Cour Constitutionnelle voit sa place renforcée non seulement vis-à-vis des acteurs politiques, mais aussi vis-à-vis des autorités judiciaires du pays.
Le passage du Conseil Constitutionnel à la Chambre Constitutionnelle n’est pas un simple changement de dénomination, il traduit une volonté de raffermissement de l’Etat de droit. La Cour Constitutionnelle est appelée à jouer un rôle important dans la vie politique du pays à travers les nouvelles attributions qui lui sont confiées par la constitution. Sa mission traditionnelle est confirmée ; elle consiste à veiller à ce que toutes les normes juridiques soient en conformité avec les dispositions constitutionnelles. Dans ce cadre, sa saisine est obligatoire en ce qui concerne les Lois organiques et les règlements intérieurs des Chambres du Parlement et d’un certain nombre de conseils prévus par la constitution. En matière de lois ordinaires, la saisine de la Cour est tributaire de la volonté des acteurs politiques ; elle ne peut être saisie pour se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi avant sa promulgation, que par le Roi, le Chef du Gouvernement, le Président de la Chambre des Représentants, le Président de la Chambre des Conseillers ou par le cinquième des membres de la Chambre des Représentants ou par quarante membres de la Chambre des Conseillers.
Les prérogatives de la Cour Constitutionnelle sont également étendues au contrôle de la régularité de la procédure de révision de la constitution par voie parlementaire et aussi au contrôle de la constitutionnalité des conventions internationales. La Loi organique précise dans ce sens que « lorsque la Cour constitutionnelle déclare qu’une disposition d’un engagement international est contraire à la constitution, sa ratification ne peut avoir lieu ». Mais il est certain que l’apport essentiel de la constitution de 2011 en matière de justice constitutionnelle demeure l’introduction du recours pour exception d’inconstitutionnalité qui ouvre à chaque citoyen la possibilité de soulever devant les tribunaux l’inconstitutionnalité d’une loi. Aux termes de l’article 133 de la constitution « la Cour Constitutionnelle est compétente pour connaître d’une exception d’inconstitutionnalité soulevée au cours d’un procès, lorsqu’il est soutenu par l’une des parties que la loi dont dépend l’issue du litige, porte atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution ».
Donner au citoyen le droit de soulever l’inconstitutionnalité d’une loi au motif qu’elle porte atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution, traduit sans doute le choix irréversible du Maroc de construire un vrai Etat de droit.
Sans exagération, il s’agit d’un pas de géant sur la voie de la construction d’un Etat de droit moderne et du renforcement du « socle juridique des droits humains au Maroc ». Rares sont les pays qui ont osé faire ce pas. La France, une des plus vieilles démocraties du monde, n’a reconnu ce droit à ses citoyens qu’en 2009 et ce, après plusieurs tentatives avortées. Le Maroc démontre avec l’adoption de ce nouveau mécanisme que son régime politique a atteint un degré de maturité qui l’autorise à adopter des normes qui répondent aux meilleures pratiques internationales. Donner à chaque citoyen et à chaque entreprise (en matière de droit des affaires, droit social, droit fiscal…) le droit de soulever l’inconstitutionnalité d’une loi au motif qu’elle porte atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution, traduit sans doute le choix irréversible du Maroc de construire un vrai Etat de droit doté d’une justice constitutionnelle répondant aux meilleurs standards internationaux.
« Garantie des garanties » comme l’appellent certains spécialistes du droit constitutionnel, l’exception d’inconstitutionnalité va sans doute entraîner une montée en puissance de la Cour Constitutionnelle dont les décisions sont définitives et ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et judiciaires.
Ses décisions dans le cadre des recours d’exception d’inconstitutionnalité s’imposeront à toutes les juridictions, y compris la Cour Suprême.
Il est clair que cette montée en puissance de la Cour Constitutionnelle va nécessiter des changements profonds au niveau de son mode de fonctionnement et du choix de ses membres. Son domaine d’intervention n’est plus limité au contentieux électoral et au contrôle de la constitutionnalité de quelques lois avant leur promulgation (Contrôle a priori de la constitutionnalité); il s’étend au stock de toutes les lois quelle que soit la date de leur entrée en vigueur (contrôle a posteriori de la constitutionnalité). Ceci exige la nomination au sein de la Cour de grands professionnels du droit comme c’est le cas dans certains pays à l’instar de l’Allemagne et de l’Espagne. Leur choix doit être dicté par le seul souci de doter la Cour constitutionnelle de magistrats compétents, loin de tout calcul politique. La Cour constitutionnelle n’est pas un acteur politique ; elle est une juridiction, au sens plein du terme, qui a en charge de veiller au respect de la constitution et des droits fondamentaux des citoyens ; elle n’est plus une institution qui n’agit qu’à l’initiative des acteurs politiques ; elle est aussi une juridiction à la portée de tous les citoyens qui peuvent y recourir pour défendre leurs droits et libertés. Un grand changement ; « le droit constitutionnel n’est plus le droit de l’Etat, il devient le droit de toute la société ».