Une TVA moins invisible
Elle est partout cette TVA ! Mais, en dernière instance, c’est le consommateur final qui est censé la supporter. Telle est la règle de la « neutralité économique » de cette taxe. Cependant, dans certains cas, elle est définitivement prise en charge par l’entreprise. Et, jusqu’à la Loi de finances 2016, c’était le cas des entreprises agroindustrielles. par M. Amine
La Loi de finances de l’année 2016 a introduit un traitement spécial favorable au secteur agroalimentaire pour lui permettre de récupérer une « TVA non apparente » sur l’achat de légumes, fruits et légumineuses non transformés d’origine locale, destinés à être transformés et à être consommés localement. En effet, au Maroc, les activités agricoles sont hors champ d’application en matière de TVA. De ce fait, la TVA payée par l’agriculture à travers les intrants utilisés, est définitivement supportée, en tant que charge. A moins d’être exportateur. Si c’est le cas, l’agriculteur exportateur bénéficie du remboursement de la TVA qui a grevé les charges d’exploitation.
Les produits agricoles éligibles au régime particulier de la TVA non apparente
Le nouveau régime introduit par la Loi de finances 2016 concerne les légumes, les fruits et les légumineuses non transformés d’origine locale, destinés à la production agroalimentaire vendue localement. Ce régime particulier aurait notamment pour objectifs de rendre une partie du secteur agroindustriel plus compétitif par rapport aux produits agroalimentaires importés et de favoriser l’intégration des unités opérant dans l’informel.
La note circulaire de la DGI aurait dû préciser qu’il s’agit de produits agricoles achetés auprès d’un agriculteur local. Car si l’achat de ces produits est opéré auprès d’un fournisseur intermédiaire (à moins d’être un agrégateur), il s’agit d’une opération purement commerciale et par conséquent taxable. Selon la lettre et l’esprit des dispositions régissant la TVA, l’approvisionnement en produits agricoles non transformés doit être direct, auprès de l’agriculteur.
Par ailleurs, le régime de la « TVA non apparente » ne s’applique pas aux légumes, fruits et légumineuses importés. Car, dans ce cas, la TVA payée à l’import est connue et est récupérable. Paradoxalement, c’est aussi le cas en cas d’exportation. Cela peut se comprendre si les produits agricoles transformés localement ont été importés et transformés avant d’être réexportés. Mais s’il s’agit de produits agricoles achetés localement pour être transformés et exportés, ils ne peuvent pas ne pas avoir supporté une « TVA non apparente». Or, c’est surtout au niveau du marché international que le secteur agroalimentaire souffre le plus de compétitivité, concurrencé par des produits à TVA zéro. Peut-être que la Loi de finances de l’année 2017 corrigera le tir, en étendant le régime particulier de la « TVA non apparente » aux produits agricoles concernés exportés.
Comment déterminer la «TVA non apparente» et la rendre «apparente» ?
Il ne s’agit pas d’une opération magique. En réalité, il s’agit plutôt d’une « TVA rémanente », c’est-à-dire une TVA supportée par l’agriculteur local et non récupérable, car l’activité agricole est hors champ d’application de la TVA. L’agriculteur, pour produire des légumes, fruits ou légumineuses a dû effectuer des dépenses grevées par la TVA. C’est le cas du gasoil au taux de 10%, d’une bonne partie du matériel agricole au taux de 10%, voire 20% (…). L’agroindustriel s’approvisionne auprès de l’agriculteur qui lui vend TTC les produits agricoles non transformés. A défaut de pouvoir distinguer la TVA supportée par l’agriculteur et comprise/diluée dans le prix d’achat des produits agricoles, la Loi de finances 2016 a prévu un mécanisme de calcul de cette « TVA non apparente ». Le montant de cette TVA doit être déterminé sur la base d’un pourcentage de récupération ou ratio calculé par l’assujetti, à partir des opérations réalisées au cours de l’exercice précédent, soit :
– Au numérateur : le montant annuel des achats des produits agricoles non transformés, plus ou moins la variation des valeurs des stocks desdits produits et du coût d’achat desdits produits utilisés dans la production stockée des produits finis ;
– Au dénominateur : le montant annuel total du chiffre d’affaires TTC déclaré au niveau du compte produits et charges, y compris le chiffre d’affaires à l’export plus la TVA fictive y afférente.
Le pourcentage obtenu ou ratio, déterminé au début de chaque année, est applicable, pour toute l’année, sans possibilité de régularisation, même en cas de variation importante par rapport à l’année précédente, au chiffre d’affaires taxable réalisé localement au titre du mois ou du trimestre de l’année en cours. Et cette base, une fois déterminée, est soumise au même taux de TVA applicable au produit agricole transformé. Le chiffre d’affaires réalisé à l’export est exclu du calcul de la taxe non apparente. Il en est de même du chiffre d’affaires réalisé localement sur la base de produits agricoles importés. Voilà donc une nouvelle dépense fiscale qui reste à évaluer, car ne figurant guère dans le dernier rapport des dépenses fiscales. En contrepartie, le secteur agroalimentaire s’est engagé à investir, à innover et à créer de l’emploi. Rendez-vous donc, bientôt, en fin d’année, pour faire un premier bilan et comparer ce que l’Etat, c’est-à-dire le contribuable, a consenti, et ce que la collectivité a pu gagner. Si les engagements du secteur agroalimentaire sont respectés et si les résultats sont positifs et bénéfiques pour tous, le régime particulier de la « TVA non apparente » pourrait être étendu à d’autres produits agricoles, en plus des légumineuses, légumes et fruits. Et pourquoi pas aussi aux produits agricoles transformés et exportés, en attendant d’autres alternatives, telles que l’intégration, tout au moins des grandes exploitations agricoles, dans le champ d’application de la TVA ?