Vers une nouvelle ère de la diplomatie chérifienne
En 2020 une nouvelle ère s’offre à la diplomatie marocaine, la reconnaissance des États-Unis de la marocanité du Sahara ne renverse pas simplement l’équilibre géopolitique autour du Sahara, mais redessine les potentialités géoéconomiques du Royaume. Il faut pour cela comprendre l’impact de la reconnaissance de Washington du Sahara sur le Maroc et réorienter l’appareil diplomatique vers les nouveaux objectifs du Royaume.
Une diplomatie du lobbying
Depuis presque 40 ans, le Sahara est au cœur de la diplomatie du Maroc, ce litige territorial a conditionné tout l’appareil diplomatique à lutter, convaincre et influencer les décisions internationales pour qu’elles aillent dans le sens des intérêts du Maroc. Au fil du temps le ministère des Affaires étrangères s’est fortement spécialisé, se transformant en super lobby de la question du Sahara. Les alliés, les adversaires, les partenaires du Maroc, sont souvent déterminés à l’aune de leur position sur le Sahara et cette dernière devient l’intérêt diplomatique majeur qui passe avant tout les autres, à l’image de contacts diplomatiques rétablis avec Israël, bien que le Maroc comme la grande majorité des pays arabes soit critiques vis-à-vis de la politique d’expansion et de colonisation du gouvernement Israélien.
Cette spécialisation de la diplomatie marocaine a permis d’enchainer les victoires diplomatiques avec une baisse importante de la reconnaissance internationale du Polisario, suivi de l’ouverture de plus d’une vingtaine de représentations diplomatiques au Sahara. Enfin la reconnaissance des États-Unis de la souveraineté marocaine semble achever la victoire diplomatique du Maroc et tue de manière définitive tout plan d’indépendance des provinces du sud.
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Après l’annonce de Washington, Rabat doit revoir en profondeur sa vision des affaires étrangères. Naturellement, le Sahara reste une question prédominante, et le Maroc doit continuer à arracher la reconnaissance d’un certain nombre de puissances jusqu’à ce que soit entérinée sa pleine souveraineté auprès des Nations-Unies. Néanmoins, il est nécessaire de penser à un rééquilibrage progressif des priorités, auquel cas le Maroc risque d’être victime de son succès et ainsi de se retrouver dans la situation des États-Unis qui après la chute de l’URSS se sont rendu compte qu’ils avaient déserté bien des terrains notamment celui de la diplomatie économique au détriment du Japon qui en avait fait son cheval de bataille.
Vers une diplomatie économique
Le Maroc est entré dans une nouvelle réalité géopolitique après le soutien de Washington. En Effet, Rabat va progressivement voir se dessiner dans les années à venir deux blocs régionaux auquel elle fera partie et aura la pleine capacité d’en prendre le leadership, l’UMA et la CEDEAO. En effet, l’UMA le projet mort-né du fait de la rivalité entre l’Algérie et le Maroc sur le Sahara a aujourd’hui toute sa place. Le soutien clair et manifeste de la première puissance du monde et la forte probabilité que cela fasse effet domino auprès d’autres puissances européennes ont définitivement tué les ambitions algériennes. De plus, la crise politique, économique, et énergétique que connaît l’Algérie ne lui permet plus de se priver des deux points de croissance que lui fournirait un marché unifié. Enfin, la récente brouille diplomatique avec la Tunisie qui lui fait porter la responsabilité de l’échec de l’UMA accentue un peu plus la pression régionale en plus de la pression internationale déjà existante sur le régime algérien. Les paradigmes politique et économique de l’Algérie sont morts et ils pourront être renouvelés qu’à travers l’UMA. La prochaine visite du Roi en Mauritanie en plus du fait que les pourparlers de paix inter libyen se soient tenus au Maroc met Rabat dans une position stratégique dans la constitution de cette future union économique dans laquelle le Royaume a un avantage de compétitivité économique important à jouer.
De la même manière, les raisons qui font que le Nigeria ait été réticent à l’adhésion du Maroc à la CEDEAO sont caduques. En effet, Abuja avait des réserves pour trois raisons principales, la peur de la compétitivité des entreprises marocaines, la concurrence du Maroc pour le leadership régional et enfin le différend sur le conflit du Sahara.
Au vu de l’évolution de la scène africaine ces dernières années, il semble qu’un rapprochement des positions entre le Maroc et le Nigeria est en train d’être opéré. Sur le plan économique, le refus de l’adhésion du Maroc ne protègerait plus les entreprises nigérianes du fait qu’entretemps le Nigeria comme le Maroc ont été signataires du ZLEC -la zone de libre-échange continentale- et de ce fait se retrouveront tous deux dans un espace économique commun. Sur le plan politique enfin, bien que le Nigeria soit un soutien du Polisario, il est peu probable qu’au vu de la nouvelle donne, Abuja s’entête à soutenir un mouvement condamné à disparaitre, mais se rangera certainement du côté du Maroc par pragmatisme politique.
L’accord du Gazoduc Nigeria Maroc qui passe sur les eaux territoriales du Sahara est une preuve de ce revirement diplomatique discret d’Abuja. Quant à ce qui attrait du leadership de la région, à l’image du projet de Gazoduc il est important pour le royaume de souligner qu’un partenariat avec le Maroc serait davantage un multiplicateur de puissance qu’une perte d’influence pour le Nigeria. Il suffit d’un autre grand projet structurant pour qu’Abuja confirme ce que ses élites semblent percevoir et ainsi donne son aval a l’intégration du Maroc à la CEDEAO. À ce titre, malgré la richesse du pays, l’un des grands problèmes du Nigeria est le financement des grands projets, comme la raffinerie Dangote qui n’a pu voir le jour que grâce aux fonds propres de l’homme le plus riche d’Afrique alors que les élites politiques étaient toutes conscientes de la nécessité de réduire l’importation de carburant. Il existe de nombreux autres projets majeurs dont le financement privé reste un frein, autant d’opportunités pour les banques marocaines dotées d’une véritable expertise dans le domaine.
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Avec l’apparition de ces deux blocs régionaux, le ministère des Affaires étrangères doit muter vers une diplomatie économique proactive. Avec la multitude des traités de libre-échange, et les grandes opportunités commerciales du Royaume du fait de l’intégration régionale en plus du plan de se positionner comme une alternative à la relocalisation des industries Européennes, le ministère des Affaires étrangères doit se pencher sur la diplomatie économique pour assurer un véritable leadership. Dans des régions économiquement intégrées, le leadership ne se fait pas par la puissance militaire, mais par la puissance économique comme en témoigne l’Allemagne qui a laissé à la France tous les apparats de la puissance, mais qui est le pays le plus influent d’Europe.
En somme, la diplomatie doit aider les entreprises marocaines à devenir la dominante économique de ces blocs régionaux. Ce n’est qu’en offrant aux entreprises marocaines un marché de plus de 450 millions d’habitants dont une forte croissance des classes moyennes que le Maroc trouvera l’échelle de ses ambitions de développement économique. Alors seulement, quand viendra le temps de l’émergence, l’on devra se pencher sur les éléments objectifs de puissances.
Par Anas Abdoun
Anas Abdoun est analyste en prospective économique et géopolitique chez Stratas Advisors, une compagnie de consulting spécialisée dans le secteur pétrolier, où il suit les marchés énergétiques au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, ainsi qu’en Afrique subsaharienne. Il est également consultant indépendant basé à Casablanca.