Villes africaines : plus de 80 milliards de dollars d’investissement par an
L’Afrique est le continent qui s’urbanise le plus et qui offre encore le plus fort potentiel d’urbanisation de la planète. Elle comptera 1,3 milliard d’urbains en 2030. Les 52 métropoles de plus d’un million d’habitants et la multitude de villes intermédiaires, concentrent des
opportunités uniques d’innovation et de développement économiques et humains à saisir par l’ensemble des acteurs économiques. par S.ALATTAR
La Conférence Résolutions Afrique organisée la semaine dernière à Marrakech sur le thème «Financer les Villes Africaines : Agenda, Alliances et Solutions», a été l’occasion de parcourir les différents outils et mécanismes dont les collectivités locales disposent aujourd’hui dans la chaîne du financement urbain. Selon le rapport introductif de la Conférence, toute la dynamique économique des villes africaines devrait reposer essentiellement sur le renforcement des classes moyennes qui devraient, si les tendances positives actuelles se prolongent, avoir un poids économique estimé à 700 milliards US$ (soit 36% du PIB du continent). Depuis plus de 10 ans, la plupart des pays africains connaissent un taux annuel de croissance de leur PIB de l’ordre de 5%, que les experts estiment devoir durer pendant les vingt prochaines années et que la richesse cumulée des villes africaines est évaluée à environ 50 milliards USD avec une capacité actuelle d’endettement de plus de 8 milliards USD. De même, les bilans des 200 premières grandes banques en Afrique totalisent plus de 1.000 milliards USD, avec un produit bancaire net d’environ 45 milliards USD, ce qui montre que les marchés financiers africains sont de plus en plus matures.
Mais des villes encore largement sous équipées
Néanmoins, les villes africaines souffrent encore d’un déficit en équipements effrayant et de systèmes de gestion et de gouvernance défaillants. Et pour que les villes africaines de demain deviennent des territoires à l’environnement économique sécurisé et attractif aux niveaux national, régional et international, il est nécessaire d’améliorer de toute urgence la gouvernance politique et administrative, de mettre en place des cadres réglementaires adaptés, de fournir les équipements d’infrastructures nécessaires, de renforcer les capacités de planification et de gestion pour attirer et sécuriser, dans le long terme, les investissements nécessaires à la mise en valeur des territoires.
Pour les promoteurs de cette Conférence, l’urbanisation ne deviendra un atout que si les villes africaines sont en mesure de répondre aux défis actuels et d’anticiper ceux de demain, ce qui suppose la planification et la mise en œuvre de politiques d’aménagement, d’accès aux services de base, de promotion du développement économique et de l’emploi et de développement économique intégré, le droit à la ville pour tous, la préservation des ressources naturelles, la résilience face au changement climatique, entre autres. Répondre à ces enjeux demande de mobiliser des investissements estimés à environ 80 milliards US$ par an. Mobiliser de tels niveaux de financement demande d’impliquer l’ensemble des acteurs concernés, aussi bien publics que privés (collectivités locales, propriétaires fonciers, populations, autorités et institutions publiques nationales ou locales, secteur privé, banques et investisseurs institutionnels et privés).
Des villes qui créent de la richesse mais des municipalités pauvres
Au Maroc, la problématique se présente autrement. Avec près de 18 millions de citadins, les villes sont aujourd’hui devenues le cadre de vie de la majorité des marocains, le territoire d’implantation de la plupart des activités productives et le lieu de création et de la concentration de l’essentielle de la richesse nationale. L’urbanisation crée de la richesse et de nombreuses opportunités d’investissement pour une multitude d’acteurs aux profils variables. Mais l’urbanisation est également porteuse de nombreux risques et crée d’innombrables charges pour la collectivité publique. Chaque année il faut ouvrir plus de 5000 hectares à l’urbanisation, construire des centaines d’équipements publics et creuser des millions de kilomètres linéaires de réseaux d’eau potable, d’assainissement, d’électricité et de voirie. Tous ces investissements sont estimés en centaines de milliards et dépassent largement les capacités des municipalités, dont les budgets dépendent encore dans une large mesure, des subventions de l’Etat. D’où le paradoxe suivant : des villes qui s’enrichissent de plus en plus face à des municipalités qui s’appauvrissent sous le poids d’une urbanisation galopante.
Vers le partage des plus values générées par l’urbanisation
S‘il en est ainsi, c’est en raison de l’absence de mécanisme de récupération d’une partie de la plus value générée par les plans d’urbanisme et qui est captée totalement et injustement par les seuls propriétaires fonciers. La valeur vénale d’un terrain peut passer de 1 à 20 quand il passe en zone urbaine constructible. Et cette valeur peut encore doubler ou tripler avec l’arrivée des équipements d’infrastructure et des équipements publics. Actuellement, tout l’effort de financement est supporté soit par le budget municipal, soit par les départements ministériels concernés. Et lorsque les financements publics font défaut, ces équipements ne se réalisent pas, ce qui est souvent le cas. On estime que seuls 20% des équipements publics prévus par les plans d’urbanisme se réalisent effectivement. De même, de nombreuses zones ouvertes à l’urbanisation par les plans d’urbanisme, restent en fait gelées faute d’opérateurs pour engager les travaux de viabilisation qui sont très coûteux. Cette situation commence à pénaliser les propriétaires eux mêmes, qui se trouvent en possession d’un bien dont ils ne peuvent pas entièrement jouir dans le court ou le moyen terme.
Des projets de réformes mais qui n’aboutissent jamais…
Pour sortir de cette impasse qui n’arrange plus personne, il faut que l’on s’oriente vers un système de partage des coûts à travers des partenariats publics-privés intelligents et innovants. En d’autres termes, il faut que l’urbanisation finance l’urbanisation.
En principe, l’équation est simple : une partie de la valeur créée par l’urbanisation devra aller aux financements des équipements publics et d’infrastructure. Le tout doit s’inscrire dans une logique gagnant-gagnant. Mais la mise œuvre de ce principe passe par une réforme législative qui doit créer l’obligation pour le propriétaire de restituer une partie de la plus value créée par les plans d’urbanisme et les équipements publics pour participer aux coûts d’aménagement. De même, la loi doit obliger le lotisseur et les promoteurs immobiliers à livrer des ensembles immobiliers totalement équipés, en écoles, dispensaires, centres de commerce…
C’est là où les choses se compliquent. Toutes les réformes législatives de l’urbanisme et du système foncier urbain sont lourdes, complexes, suscitent des craintes, soulèvent des passions et rencontrent des oppositions irrationnelles. Le débat sur l’aménagement concerté remonte à plus de trente ans et les projets succèdent aux projets sans jamais aboutir. Le principe dans le projet de code de l’urbanisme élaboré en 2009 mais abandonné depuis, faute de consensus interministériels.